Se mettre dans la peau d’un conférencier et présenter oralement et en équipe son projet devant un public pointilleux, c’est ce qu’ont fait Murielle el-Howayek, 34 ans, Francesca al-Doueihy, 19 ans, Clara Kayrouz, 18 ans, Léa el-Sous, 18 ans, et Salma Hleiss, 20 ans, lors de la table ronde organisée à la faculté de droit à l’Université La Sagesse (ULS) sous le titre « L’euthanasie entre la pratique et la loi ». Sélectionnées et encadrées par la Dr Joumana Debs Nahas, chef de département de droit privé à la faculté de droit, les étudiantes inscrites en première et deuxième année de droit ont présenté le fruit de leurs recherches menées dans le cadre d’un projet universitaire sur cette question épineuse. Au départ, l’idée est née lors d’un débat en salle de cours sur la personnalité juridique de la personne physique et les difficultés observées de plus en plus souvent pour déterminer le moment où se termine la vie humaine. « C’est souvent au détour d’une question banale en classe que surgissent les interrogations les plus brûlantes », avance la Dr Nahas. À la faculté de droit, il est indispensable d’évoquer en amont des questions sensibles d’éthique, afin qu’aucune ne soit mise sous le tapis. Selon elle, le moment semblait opportun pour ancrer les jeunes universitaires dans la réalité. « Nous savons que le droit libanais est largement inspiré du droit français. Comme la France se dirige aujourd’hui lentement, mais sûrement, vers l’adoption de l’euthanasie, probablement au cours de cette année, avec la Convention citoyenne qui vient de préconiser l’adoption de cette pratique après la loi contre l’acharnement thérapeutique (dite loi Léonetti), c’était le moment ou jamais de parler de ce sujet polémique », estime-t-elle.
Dans le cadre de leur projet, les cinq étudiantes ont abordé un dilemme très sensible touchant à la fois au religieux, à la foi et aux convictions tout comme aux libertés individuelles et à la liberté de conscience auxquelles sont confrontés non seulement les médecins, mais aussi le personnel soignant, les proches de la personne malade et bien évidemment le patient. S’il est difficile de cerner une question aussi complexe, il n’empêche qu’elles ont ratissé large avec pour objectif d’explorer le sujet dans toutes ses dimensions : juridique, sociale et religieuse. Pour mener à bien leur entreprise, elles ont travaillé en équipe pendant environ deux mois, unifiant petit à petit leur plan et leur vision. « Sur deux mois, nous avons consacré 100 à 120 heures de travail à ce projet », précise Murielle el-Howayek. « Nous nous sommes réunies sur le campus pour élaborer et partager nos idées, échanger sur la démarche à suivre, effectuer des recherches et préparer les présentations. Nous sommes également allées sur le terrain pour recueillir les opinions des uns et des autres, ainsi que les points de vue de deux figures religieuses, l’une musulmane et l’autre chrétienne », a-t-elle encore ajouté.
Décortiquant la question sous tous ses angles, les étudiantes ont, selon la Dr Nahas, dressé un état des lieux de l’euthanasie à travers le monde. Partant de la Belgique où elle a été légalisée en 2002 en passant par les Pays-Bas où elle sera désormais possible pour les moins de douze ans, le Luxembourg, la Colombie et l’Italie qui l’a dépénalisée en 2019 à l’instar de la Suisse, de l’Espagne, de la Suède et de la Norvège jusqu’à l’Hexagone qui s’apprête à la fin de cet été à promulguer une nouvelle loi sur demande du président Emmanuel Macron. Pour finir au Liban qui, à l’heure actuelle, incrimine dans son code pénal (art. 552/art. 553) l’acte de l’euthanasie. En effet, la loi libanaise stipule clairement que celui qui tuera par compassion sera puni d’une peine qui pourra aller jusqu’à dix ans de prison, rappelle la Dr Joumana Debs Nahas. Par ailleurs, le code de déontologie médicale (art. 27) considère que le médecin doit chercher à maintenir la vie du patient. Cependant, le Liban s’est doté en 2018 d’une loi autorisant les soins palliatifs.
Pour approfondir leurs recherches, les candidates ont recueilli l’avis de deux hommes de religion, l’un chrétien et l’autre musulman, tous deux responsables de centres pédagogiques universitaires, à savoir le père Youssef Abi Zeid et le cheikh Ahmad Taleb, afin de sonder les communautés. Défendant d’emblée la sacralité de la vie, de la naissance jusqu’à la mort, les deux hommes ont, selon la Dr Nahas, catégoriquement rejeté cet acte religieusement répréhensible. Cependant, ce qu’il est intéressant de relever, dit-elle, c’est qu’en réponse à la question de savoir si les communautés s’opposeraient à un projet de loi sur l’euthanasie en vertu de la prérogative que leur accorde la Constitution libanaise de former un recours devant le Conseil constitutionnel au cas où une loi qui les intéresserait venait à passer, le père Abi Zeid avait une position plutôt « nuancée ». Tout en estimant que la vie mérite d’être soutenue jusqu’à sa fin naturelle et qu’il est nécessaire de protéger le droit des patients et leur dignité en phase terminale pour promouvoir les soins palliatifs, ce dernier a rappelé que la vie terrestre et matérielle n’est qu’un passage et que c’est l’âme qui perdure. Cela veut-il dire qu’une loi pourrait avoir une chance d’être adoptée ? « Je ne suis pas sûre. Nous en sommes encore loin. Vu les expériences, il faut une dizaine d’années pour que le Liban envisage de suivre le modèle français », répond la Dr Nahas.
La nécessité de sensibiliser l’opinion publique
Les aspirantes juristes ont développé durant leurs recherches des compétences transférables et interpersonnelles : le travail d’équipe, la communication, la prise de parole en public, la gestion du temps ainsi que la capacité à penser de manière créative, à poser les bonnes questions et à mieux comprendre les sensibilités culturelles. Confrontées elles-mêmes à cette question délicate, elles ont été surtout amenées à s’auto-interroger et à repenser, à la lumière de toutes les données qu’elles ont récoltées, leur propre façon d’aborder, en tant que jeunes femmes mais aussi en tant que futures juristes, des situations similaires. Rien qu’en pointant la question de l’euthanasie, elles ont dû réviser et examiner des textes et des lois, ainsi que des philosophies et des œuvres littéraires liées à des notions telles que l’acharnement thérapeutique, l’éthique de l’autonomie du malade en fin de vie, le droit de décider de son sort, voire de sa propre mort, la question d’abréger ou non la vie, de choisir ou de refuser un traitement, de mettre fin à la vie lors de soins palliatifs ou sous assistance médicale…
Dans une ambition pédagogique et sensibilisatrice, leur projet a été couronné par la table ronde sur l’euthanasie qui a réuni à l’université plusieurs invités et témoins concernés.
Fortes de leur recul, elles ont, tour à tour, rapporté en quelques mots cette expérience. Curieuse de nature, Francesca al-Doueihy a admis qu’avant le projet, elle ne connaissait pas grand-chose sur le sujet. « Le hasard a fait qu’une semaine avant le lancement du projet, la question a été soulevée avec mes amies et je me suis rendu compte que je n’avais pas assez d’informations là-dessus », confie-t-elle. « Ce projet m’a permis d’effectuer des recherches sur les lois et les pays, d’enrichir mes connaissances. Il m’a surtout permis de m’interroger sur l’attitude et l’approche que je devrai adopter en tant que future juriste vis-à-vis de cette question », remarque-t-elle, avant de conclure : « Il n’y a pas de pour et de contre, il y a toujours une position médiane. »
Salma Hleiss, en charge de l’aspect technique, avoue avoir accordé peu d’importance au projet au tout début. « C’est en éditant les séquences filmées que je me suis rendu compte qu’il y a un clivage, voire un conflit intergénérationnel concernant l’euthanasie », admet-elle. « Les jeunes Libanais de 16 à 19 ans étaient plus enclins à accepter cette pratique invoquant la liberté individuelle, le libre choix et le respect de l’opinion de l’autre, alors que les aînés se montraient récalcitrants à l’idée, car fortement attachés à la religion », indique-t-elle, tout en soulignant « l’unicité » de ce projet qui lui a permis de « mesurer l’importance de traiter au cas par cas dans des conditions rigoureusement déterminées ».
« Il s’agit d’un sujet qui me touche de près, puisque j’ai une amie qui a tenté de se suicider sept fois », confie Clara. « C’est pourquoi je me suis sentie personnellement impliquée », indique-t-elle. Admettant être de nature perfectionniste et préférant souvent faire cavalier seul, la jeune fille a eu du mal au début à travailler en équipe, mais elle a fini par surmonter cette difficulté. Rappelant que « des points de vue variés, voire divergents se côtoient lorsqu’il est question d’euthanasie », elle a insisté sur l’importance de « ne pas tout aborder sous l’angle religieux » tout en mettant en avant la notion de « valeur humaine ».
Qualifiant sa participation au projet de « positive », Léa, qui s’est prononcée franchement contre l’euthanasie en raison de ses croyances religieuses, a pour sa part estimé que cette expérience lui a permis, entre autres, de découvrir et de respecter la multitude des points de vue face à ce sujet polémique.
Murielle el-Howayek assure de son côté que le fait de travailler sur cette question lui a permis « d’apprendre surtout à tenir compte des différentes opinions, des pour et des contre, avant d’élaborer, voire d’aboutir à une décision, d’élargir son angle, de changer d’approche, de ne rien refuser ou accepter dans l’absolu, et de traiter au cas par cas suivant le contexte ».
Toutefois, si les étudiantes se sont accordées sur la nécessité de sensibiliser l’opinion publique aux terminologies et de clarifier les mots et les concepts afin que la population libanaise comprenne correctement leur signification et s’implique dans la réflexion et le débat, elles ont néanmoins reconnu que, le chemin au Liban, où la société est multiconfessionnelle et traditionnelle, et où les communautés religieuses ont une grande influence, est encore long. Elles ont particulièrement regretté de ne pas avoir pu obtenir le projet de loi sur l’euthanasie présenté au Liban en 2018 dans la foulée de la loi sur les soins palliatifs, ni à déterminer quelle partie politique l’a proposé. Une preuve supplémentaire que la question divise et dérange.
Les étudiantes ont toutes obtenu une note de 100/100 pour ce projet. Un joli score pour celles qui porteront un jour peut-être la robe pour plaider ou rendre justice.
"Pour approfondir leurs recherches, les candidates ont recueilli l’avis de deux hommes de religion, l’un chrétien et l’autre musulman, tous deux responsables de centres pédagogiques universitaires, à savoir le père Youssef Abi Zeid et le cheikh Ahmad Taleb, afin de sonder les communautés." Et voilà le moyen le plus sûr pour que leurs recherches n'aboutissent que lorsqu'elles auront elles-mêmes besoin d'euthanasie! Ils vont certainement leur débiter leur discours traditionnel sur la "volonté de Dieu", lequel Dieu n'a d'autre souci que celui de faire souffrir les hommes ici-bas pour leur éviter les souffrances de l'au-delà...Heureusement que l'Eglise catholique, à laquelle appartient l'ULS, a eu l'idée géniale du "purgatoire", qui n'est qu'un passage temporaire pour "l'expiation des péchés", et qui permet au clergé de convaincre les cancéreux en phase terminale qu'en souffrant ici-bas, leur passage au purgatoire raccourcit considérablement-je ne dis rien du côté lucratif de l'affaire...
16 h 59, le 21 septembre 2023