
Le groupe de fondamentalistes abordant l’un des couples sur la plage de Saïda, au Liban-Sud, le dimanche 14 mai 2023. Photo prise par un témoin
En ce dimanche ensoleillé, le 14 mai, sur la plage de sable de Saïda, deux couples de baigneurs sont à mille lieues de se douter qu’une visite inattendue va bouleverser leur journée. Une trentaine d’hommes, accompagnés de deux cheikhs, sont venus aborder chacun des couples (qui ne se connaissent pas) pour protester contre la tenue « indécente » des femmes vêtues de... maillots de bain. Et les prier de quitter les lieux sans tarder.
Selon des sources concordantes dans le chef-lieu du Sud, il s’avère que ces hommes ont agi de leur propre chef. Ce sont deux cheikhs fondamentalistes, l’un libanais, A.A., l’autre palestinien, A.H., accompagnés de leurs partisans. Sollicité, l’un des deux cheikhs n’a pas répondu à nos appels pour donner sa version des faits. Contactés par L’OLJ, les deux couples de jeunes gens on fait état d’intimidation. Sous le couvert de l’anonymat, le premier couple, qui venait de Beyrouth, affirme s’être rendu dans la ville côtière du Liban-Sud pour se baigner et découvrir cette localité riche en patrimoine. Une heure après son arrivée à la plage, le duo est abordé par ces deux cheikhs et leurs partisans, venus faire part de leur mécontentement concernant la tenue « osée » de la jeune femme.
Démonstration de force
Le jeune homme fait son possible pour garder son calme. « Les deux cheikhs m’ont serré la main, s’adressant exclusivement à moi et ignorant ma compagne, raconte-t-il. Ils se sont présentés comme étant les imams de deux mosquées différentes. Ils m’ont d’emblée demandé mon prénom et mon nom, j’ai compris qu’ils essayaient de me situer et qu’ils avaient compris que je n’étais pas du coin. » Puis est venu le sermon. « Ils m’ont expliqué, poliment mais fermement, que les coutumes de la ville ne permettaient pas la présence de femmes “dévêtues” dans un endroit public, et m’ont demandé de prier ma compagne de “se rhabiller décemment”, sur un ton qui n’admettait pas de réplique. »
Autour du jeune couple, l’étau se resserre de manière perceptible, et les rangs des individus agressifs grossissent. Les deux baigneurs n’insistent pas et préfèrent plier bagage. « J’aurais réagi autrement si je n’étais pas en présence de deux religieux, et si les hommes qui les entouraient n’étaient pas si nombreux. J’ai préféré privilégier notre sécurité. »
Sa compagne, elle, est toujours outrée d’avoir été traitée de la sorte, et ignorée en plus. « Je ne sais vraiment pas ce qui est pire. Avoir été chassée d’une plage publique pour avoir porté un maillot de bain, ou que ces machistes aient préféré traiter exclusivement avec mon compagnon rien que parce qu’il est de sexe masculin ! »
« Au Liban, chaque région et chaque groupe croient avoir le droit de proclamer des règles comme bon leur semble, et le gouvernement est aux abonnés absents, critique la jeune femme, révoltée. Cet incident n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de sexisme et d’extrémisme qui inonde le pays. »
« C’est la première fois que ça m’arrive ! »
Pour l’autre couple abordé par le groupe d’intimidateurs sur la plage, les choses ne se sont pas passées aussi bien. « Je suis une fille de Saïda et une activiste de la ville. Aujourd’hui, je suis dégoûtée de ce qui s’est passé ! » s’exclame Mayssa Hanouni Yaafouri, dont le contact nous a été communiqué par notre correspondant Mountasser Abdallah.
D’emblée, la jeune femme devine bien que les intentions du groupe de fondamentalistes ne reflètent pas les opinions de tous les fils de la ville, et choisit de leur résister, avec son mari. « Quand ils se sont adressés à mon conjoint pour lui demander que je me couvre, il leur a répondu que cela ne les regardait pas et a refusé de quitter les lieux. L’un des cheikhs a alors haussé le ton, accusant mon mari de ne pas respecter les mœurs de la région. »
Devant le refus du couple d’obtempérer, la discussion a dégénéré. « Ils ont commencé à nous lancer des bouteilles d’eau, du sable, des balles de tennis, et nous ont roués de coups de pied, raconte Mayssa. L’un des cheikhs m’a lancé : Puisque tu te déshabilles devant moi, veux-tu que je fasse de même ? Crois-tu que nous sommes insensibles pour ne pas être troublés quand nous te voyons dévêtue de la sorte ? Ton mari n’est pas un homme véritable pour te laisser te dévêtir en public. »
Confirmant être habituée à fréquenter cette plage en particulier, la jeune femme souligne que c’est la première fois qu’elle est victime d’un tel abus. « Je pense qu’ils se permettent d’agir de la sorte parce qu’ils constatent la déliquescence de l’État et de ses institutions », déplore-t-elle.
« La municipalité ne peut rien faire »
Interrogé par L’Orient-Le Jour, le président du conseil municipal de Saïda, Mohammad Saoudi, a vivement condamné les deux incidents, tout en ajoutant ne pas avoir les moyens d’agir. « J’ai pris connaissance de ce qui s’est passé et je condamne fortement ces comportements. À la municipalité, nous confirmons qu’aucune loi ni coutume n’interdit aux femmes de se baigner en maillot de bain sur une plage publique de la ville », déclare-t-il.
« Malheureusement, nous ne pouvons rien faire de notre côté. La police municipale est en grève depuis plusieurs mois, et la plage publique n’est pas encore officiellement ouverte. Toutefois, les principaux concernés peuvent porter plainte auprès des forces de l’ordre, les seules qui ont les moyens de réprimer de tels abus actuellement. »
Les Forces de sécurité intérieure, ainsi que le bureau du ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, n’étaient pas disponibles pour un commentaire. Les deux couples, eux, n’ont pas porté plainte.
Mardi soir, la Ligue des ulémas musulmans de Saïda a publié un communiqué dans lequel elle « dénonce la campagne médiatique suspecte et systématique qui vise Saïda, ses mœurs, ses cheikhs et sa population ». Cet organisme a fortement nié toutes les allégations de violence qui aurait été perpétrée par les cheikhs et leurs partisans contre les baigneurs, contredisant la version des deux couples et estimant que leur présence sur la plage était « contraire aux mœurs en vigueur dans la ville ».
En ce dimanche ensoleillé, le 14 mai, sur la plage de sable de Saïda, deux couples de baigneurs sont à mille lieues de se douter qu’une visite inattendue va bouleverser leur journée. Une trentaine d’hommes, accompagnés de deux cheikhs, sont venus aborder chacun des couples (qui ne se connaissent pas) pour protester contre la tenue « indécente » des femmes vêtues de... maillots de...
commentaires (33)
Je ne comprends pas ce que l’alliance Aoun Hezbollah a à voir avec cet incident, quand ce sont des cheikhs sunnites!
Najjar Sami
23 h 50, le 17 mai 2023