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Nos Lecteurs ont la Parole

Nous deux, c’est (l’)essentiel

Nous deux, c’est (l’)essentiel

Photo M.J.S.

Il est étonnant comme le réel peut être surréaliste. Ce n’est pas aux Libanais qu’il faut l’expliquer, on ne prêche pas un converti. Il est tout aussi renversant comme la fiction peut s’avérer réaliste. Immobilisé sur un lit d’hôpital, on peut devenir, d’une heure à l’autre, une sorte de Gregor Samsa dans La Métamorphose fameuse nouvelle de Franz Kafka. Lorsqu’on passe ses jours, ainsi, à fixer des yeux le plafond, il est, pour le moins, d’une paradoxalité surprenante comme le réel peut alors devenir intelligible et comme on peut devenir terre à terre.

Sur un lit d’hôpital, lorsque la fin rappelle qu’elle peut à tout moment pointer le bout de son nez, le superflu est de trop. Entre l’oreiller et la barrière inférieure du lit, l’essentiel marque son territoire. Il impose sa loi et sa perception des choses. On pense à ses relations, on les trie, on les classifie. On réalise que dans la vie des êtres et des pays, il est, certes, des relations toxiques, d’autres insignifiantes, marquantes, passagères, intéressées ou, plus ou moins, importantes. Rares sont, cependant, les relations essentielles, celles qui nous rendent des êtres meilleurs, celles qui font ressortir le meilleur en nous, celles qui nous donnent envie de devenir meilleurs. La relation entre le Liban et la France appartient à cette catégorie « essentielle ». Au contact de la France, le Liban trouve une meilleure version de lui-même.

À l’heure actuelle, ce Liban-là est peut-être discret, mais il n’en est pas moins présent. Dans l’espace d’une journée à Paris, ce Liban-là réussira à vous surprendre par l’ampleur de sa présence, même lorsque vous êtes confiné à un espace de 90 x 200 cm qu’est un lit médicalisé. Il est perceptible dans la trompette d’Ibrahim Maalouf qui passe sur les ondes de TSF Jazz. Il s’entend, de bon matin, dans les questions de Léa Salameh sur les ondes de France Inter. Il s’écoute dans la réponse de Rima Abdul Malak qui, interpellée lors de la cérémonie des Molières, a su rester respectueuse, juste et judicieuse, forçant ainsi les applaudissements de ses détracteurs. Il vous surprend dans le « hamdellah aal salemeh » de l’interne, au centre hospitalier d’excellence universitaire, à la suite de l’intervention invasive qu’elle vient d’effectuer sur vous, au sein d’une équipe médicale composée de médecins de diverses nationalités, alors que rien, ni dans ses traits à moitié cachés derrière le masque de médecin ni dans son accent, ne pouvait indiquer qu’elle était « à moitié libanaise ». En effet, la discrète inscription – « Houjeiry » – sur sa blouse blanche vous confirmera ses dires. Le jour de grève des internes qui, en France, ne comptent pas leurs heures de travail pour un salaire de misère (moins que le SMIC), ce Liban-là vous fera aussi un clin d’œil amusé dans l’humour des infirmières et aides-soignantes qui se démènent, le sourire aux lèvres, contre le manque d’effectifs à l’hôpital public. Elles vous préviennent qu’il ne faut quand même pas s’attendre à ce que les plats servis soient aussi bons que les mezzés proposés par les restaurants libanais en France.

Ni fictions, ni romantisme, ni chimères, ni mythes. Ni légendes de grandeur, ni suprémacisme culturel. Ni discours historiographiques construits, à la façon d’un Lammens ou d’un Renan, souvent de toutes pièces, en guise de légitimation pseudo-scientifique d’une relation politico-communautaire au service de projets coloniaux. Ni discours construits, à force d’effets creux de manche et de promesses illusoires, à Gemmayzé, après l’explosion du siècle. Mais du cru. Que du cru. Que du réel, dans lequel s’inscrit véritablement la relation Liban-France, indépendamment de la politique et de ses discours à déconstruire. Que de la vie de tous les jours, dans laquelle le Liban grave très réellement, en s’imprégnant de France, une meilleure version de lui-même.

Cette France libanaise, ou ce Liban français, bref, ce Liban meilleur au contact de la France, on le trouve également de l’autre côté de la Méditerranée. Pas dans les contrats d’investissement, apparemment arrachés un peu à la façon d’une nouvelle Françafrique. Mais dans les salles de l’USJ, au bloc opératoire de l’HDF, dans les colonnes de L’OLJ, dans les classes des écoles francophones du Liban. Il se forge, tous les jours. Il se tisse – en dépit de la pire crise multidimensionnelle – dans le réel, pour le réel et par la force du réel.

Ce Liban-là regarde vers la France et l’avenir. Il rejette le repli identitaire et ses discours fascisants qui, produits à base de statistiques ethniques et autres pyramides des âges comparatives entre résidents libanais et non libanais, sont martelés jour et nuit pour bien alimenter et jouer sur les peurs du « grand remplacement », même à l’encontre d’enfants et de leur innocence, falsifiant, déformant, dénaturant ainsi le patriotisme. Un Liban qui se sent étranger à la haine de l’étranger, au discours qui fut un prélude aux heures les plus sombres de la France de la Rafle du Vélodrome d’Hiver, de l’Allemagne du Lebensborn, de l’Europe des trains de la mort qui emmenaient enfants et parents vers les camps d’extermination. Un Liban qui s’ouvre courageusement à la diversité, à l’Autre, à l’étranger, aux droits de l’homme dont il a participé à l’élaboration de leur déclaration ; sans pour autant tomber dans l’angélisme.

En appuyant la candidature de Frangié, aucun président français n’aura jamais causé de dégâts à l’image de la France aux yeux des Libanais, notamment de ses chrétiens, autant que Macron. Avec le passage en force de la réforme des retraites, aucun président français n’aura jamais causé de dégâts à la démocratie en France et à la confiance des Français dans le système démocratique, autant que Macron. Des deux côtés de la Méditerranée, l’amertume populaire ressentie envers Macron est presque la même, à quelque bruit de casseroles près. Les espoirs qu’avait suscités, au Liban, sa visite à Beyrouth du 6 août 2020, sont un lointain souvenir marqué de déception. Ceux du 7 mai 2017, jour de sa première élection, le sont encore plus, en France.

Mais dans ce roman du réel, il est nécessaire de garder à l’esprit que l’histoire d’amours déçues ne se joue pas à deux, mais à trois : le Liban, la France et Macron. Macron n’est pas la France. Paradoxalement, il est un facteur de rapprochement, par le ressentiment qu’il crée contre sa politique et ses méthodes, entre les deux bords de la Méditerranée. Pour ces raisons, il serait bien triste de jeter l’enfant avec l’eau du bain, de se mettre à haïr la France et sa culture, ainsi que de renier la meilleure version que nous pouvons avoir de nous-mêmes au contact de la France, tout cela juste par détestation de son président.

Macron peut rester avec ses discours, ses promesses et autres méthodes du néolibéralisme décomplexé. Les politiciens libanais, aussi, bien évidemment. Mais, entre nous deux, le Liban et la France, c’est beaucoup plus qu’une question de constructions discursives ou politiciennes. Nous deux, c’est du réel. Nous deux, hier, aujourd’hui et demain, c’est réel. Nous deux, ici et là-bas, c’est le réel. Entre nous deux, c’est beaucoup plus qu’une histoire de fric. Nous deux, c’est essentiel. Nous deux, c’est l’essentiel.

Sagi SINNO

Paris

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Il est étonnant comme le réel peut être surréaliste. Ce n’est pas aux Libanais qu’il faut l’expliquer, on ne prêche pas un converti. Il est tout aussi renversant comme la fiction peut s’avérer réaliste. Immobilisé sur un lit d’hôpital, on peut devenir, d’une heure à l’autre, une sorte de Gregor Samsa dans La Métamorphose fameuse nouvelle de Franz Kafka....

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Maintenant il y a des désaccords entre la France et l’Italie qui sont des voisins

Eleni Caridopoulou

18 h 31, le 10 mai 2023

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Commentaires (1)

  • Maintenant il y a des désaccords entre la France et l’Italie qui sont des voisins

    Eleni Caridopoulou

    18 h 31, le 10 mai 2023

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