
Une employée de maison prononçant un discours pendant la mobilisation devant le Musée national de Beyrouth, le 29 avril 2023. Photo João Sousa
Sous la pluie, enveloppées de k-ways colorés, environ 200 femmes ont manifesté devant le musée National de Beyrouth samedi. Réunies peu après 16h, ces travailleuses domestiques migrantes ont protesté contre les violences qu'elles subissent au Liban : "Abolissez la kafala !", "Le travail domestique est un travail", pouvait-on lire sur les pancartes tenues par ces femmes venues du Sri Lanka, du Bangladesh ou encore de pays d'Afrique.
Une autre manifestante s'exprimant durant l'événement. Photo João Sousa
"Indépendamment de ce que traverse le Liban, il n'y a pas d'excuses pour les abus et les violences", a lancé une employée de maison dans un discours prononcé en anglais. Celui-ci a également été déclamé en français et en arabe par deux autres femmes. Elles ont dénoncé le "système de servitude" qu'est la kafala, un système de parrainage dépourvu de garde-fous garantissant la liberté de mouvement, le droit à des pauses et à du temps libre, et avec la possibilité de mettre fin au contrat de travail avec un préavis d'un mois sans encourir de pénalités financières.
"Nous sommes traitées comme des sous-humains !"
La mobilisation a été organisée deux jours avant la Fête du Travail, jour chômé au Liban. "Nous sommes là pour obtenir la liberté", lance Mercy Peter, une Nigériane âgée de 27 ans et qui vit dans le pays depuis sept ans. "Nos enfants n'ont pas le droit d'aller à l'école et avec la crise, on n'a pas de travail. On réclame un minimum de 5 dollars l'heure", poursuit-elle, affirmant être payée 170.000 livres libanaises à l'heure actuelle, soit moins de deux dollars au taux du marché actuel.
La manifestation se déroule dans le calme, mais Agnès, âgée de 38 ans et venue du Cameroun au Liban en 2014, ne décolère pas. "Nous sommes traitées comme des sous-humains ! Nous manifestons pour être reconnues comme des travailleuses", dénonce-t-elle, se disant "prisonnière" au Liban.
Moins d'employées, mais toujours autant d'abus
Cette manifestation est la première depuis trois ans, ont indiqué plusieurs femmes sur place. Ce sont les manifestantes qui ont lancé l'initiative de la mobilisation, encadrée par l'association "Assez de violence et d'exploitation" (Kafa) ainsi que l'association Amel. "Nous avons grandi ici, nous avons vieilli ici et fondé des familles ici. Nous voulons donc des droits ici", lance Anna Fernando, une travailleuse sri-lankaise de 52 ans qui vit au Liban depuis 35 ans.
Rana el-Andari, membre de l'association Kafa, souligne que "le nombre des travailleuses migrantes a régressé au Liban avec la crise, mais cela n'a pas amélioré pour autant le sort de celles qui sont restées". Et pour cause : le système de la kafala, qui "donne à l'employeur tous les droits" sur ces femmes.
Des femmes manifestent contre les conditions de travail des employées de maison au Liban, devant le Musée national à Beyrouth, le 29 avril 2023. Photo João Sousa
Au Liban, les migrantes employées de maison sont exclues du code du travail et sont complètement dépendantes de leurs employeurs. Elles sont exposées à des maltraitances en tout genre. Le système de la kafala rend également les travailleurs domestiques étrangers vulnérables aux abus, comme le fait d'être privé du droit de poursuivre leurs employeurs en cas de mauvais traitements et de non-paiement de leur salaire.
Depuis la crise économique, la pandémie de Covid-19 et l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, de nombreuses travailleuses migrantes ont quitté le pays. Certaines de leur propre gré en raison de l’appauvrissement de la classe moyenne libanaise et de la raréfaction des devises étrangères, d’autres après avoir été abandonnées par leurs employeurs aux portes des ambassades. Mais, en l’absence de chiffres officiels, on considère toujours que le Liban emploie 250 000 travailleuses et travailleurs domestiques migrants. Et si le secteur comporte un certain nombre d’hommes, c’est un emploi principalement féminin.
Le 13 mars dernier, des dizaines de travailleuses domestiques s'étaient rassemblées devant le consulat de leur pays, la Sierra Leone, pour crier leur colère après le décès de quatre de leurs compatriotes dans un incendie à leur domicile à Sad el-Bauchrié, dans la banlieue-est de Beyrouth. "Justice pour nos sœurs", "Nous sommes traitées comme des esclaves", "Nous voulons rentrer chez nous", "Nous ne sommes pas en sécurité ici", criaient-elles unanimement.
commentaires (10)
Sans être réellement surpris, on reste pantois à la lecture de la plupart des commentaires précédents, pleins de xénophobie et de cynisme esclavagiste. Ce sujet, comme d'autres, est une bonne indication de la matière dont est faite la société libanaise, ou plutôt l'absence de société. Dès lors, il ne faut pas s'étonner de l'apathie générale.
IBN KHALDOUN
19 h 26, le 01 mai 2023