Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

L’héritage historique de la Cour de cassation du Liban

L’héritage historique de la Cour de cassation du Liban

C’est en 1961 que la Cour de cassation déménage du Grand Sérail au Palais de justice, son siège actuel. Photo d’archives Sami Ayad

La Première Guerre mondiale se termina par la victoire des Alliés et l’effondrement de l’Empire ottoman après une présence de plus de quatre siècles au Proche-Orient, ce qui a abouti à un grand vide au niveau institutionnel et judiciaire. Il fallait remédier à cette situation, et les autorités françaises ont pris l’initiative de créer un « tribunal supérieur résidant à Beyrouth faisant fonction de Cour de cassation jusqu’à nouvel ordre ». Il s’agit de l’arrêté n° 452 du 17 juin 1919 signé par le colonel Léon Copin. Ainsi, la création de la Cour de cassation libanaise, la plus ancienne parmi les cours suprêmes judiciaires des pays du Levant, a précédé l’État du Grand Liban proclamé en 1920.

D’autre part, en vertu de l’arrêté n° 954 du 15 juillet 1921, le haut commissaire de la République française, le général Henri Gouraud, avait décidé que ce tribunal devait désormais fonctionner sous la dénomination de Cour de cassation, et que sa compétence territoriale élargie « comprendra normalement les territoires du Grand Liban et continuera à titre provisoire à s’étendre aux territoires des alaouites et au sandjak autonome d’Alexandrette ». La Cour de cassation libanaise était présidée, dès sa création, par le premier président Négib bey Aboussouan, jusqu’en 1932.

Quant à la Cour de justice (ou Haute Cour de justice), elle a été créée, au sein de la Cour de cassation, par l’arrêté 1905 promulgué le 12 mai 1923 par le gouverneur du Grand Liban, le général Albert Trabaud, en tant que « haute cour d’exception » pour juger les crimes commis postérieurement au 15 avril 1923 sur le territoire du Grand Liban.

La fonction du ministère public près ladite cour était assurée par le procureur général près la Cour de cassation. Les dispositions du code de procédure pénale en matière criminelle étaient applicables devant cette cour. L’action civile et l’action publique pouvaient être poursuivies devant ladite cour, qui constituait la plus haute juridiction pénale compétente pour juger en premier et dernier ressorts.

L’évolution de la Cour de cassation libanaise a été marquée par plusieurs périodes. En 1930, sa compétence fut limitée aux affaires criminelles, la chambre civile étant supprimée pour manque de magistrats. Par la suite, en 1934, sa compétence fut restaurée dans son intégralité, mais en 1939, au début de la Seconde Guerre mondiale, elle fut supprimée et remplacée en 1944 par une « Cour d’appel spéciale » d’unification de la jurisprudence. Et ce n’est qu’en vertu de la loi du 10 mai 1950 sur l’organisation judiciaire que la Cour de cassation a été rétablie. Elle comprenait trois chambres : civile, pénale et administrative (cette dernière fut supprimée en 1953 avec le rétablissement du Conseil d’État).

Depuis lors, ladite cour n’a cessé d’évoluer. En 1961, elle déménage du Grand Sérail au Palais de justice, son siège actuel. Elle est désormais régie par la loi d’organisation judiciaire et, à partir de 1983, par le code de procédure civile… Par un décret de 1999, le nombre de ses chambres s’éleve à onze au lieu de huit, et donc aussi celui des juges siégeant à ladite cour.

La onzième chambre est restée vacante jusqu’à présent. Par ailleurs, le premier président de la Cour de cassation, M. Mounir Honein, a signé avec son homologue français le premier président Guy Canivet la convention de jumelage entre les deux cours à Beyrouth en 2001, puis par la suite, les quatre premiers présidents Antoine Kheir, Ghaleb Ghanem, Jean Fahed et Souheil Abboud ont présidé successivement l’Association des cours suprêmes judiciaires francophones (Ahjucaf). Enfin, la célébration du premier centenaire de la création de la Cour de cassation libanaise, au temps du premier président Jean Fahed, a eu lieu le 12 juin 2019 au Palais de justice, à la grande chambre de ladite cour.Étant la cour judiciaire suprême, quel est le rôle de la Cour de cassation et qu’en est-il de son contrôle sur les juridictions inférieures ?

Le rôle de la Cour de cassation

Malgré le tumulte politique actuel aggravé par une crise économique, la Cour de cassation continue à maintenir les principes de base d’un État de droit, car sa jurisprudence, en tranchant les litiges en dernier ressort, crée le droit lorsqu’elle est confrontée à des lacunes ou obscurités de la loi, et les juges du fond ont tendance, en raison de la hiérarchie judiciaire, à ne pas contredire ses arrêts sous peine de voir leurs jugements cassés, ce qui renforce sa jurisprudence et la stabilité de sa doctrine, et cela n’est pas considéré comme une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ni aux attributions du législateur, car la Cour de cassation contribue, par nécessité, à compléter les textes de loi.

Le contrôle de la Cour de cassation sur les juridictions inférieures

Ce contrôle se fait à travers les cas d’ouverture de cassation énumérés limitativement dans l’article 708 du code de procédure civile libanais, et qui sont les suivants :

1- La violation de la loi ou l’erreur dans l’application ou l’interprétation de la loi.

2- La violation des règles de compétence territoriale ou d’attribution.

3- La contradiction dans le dispositif rendant impossible l’exécution de l’arrêt attaqué.

4- Le fait d’omettre de répondre à l’une des demandes.

5- Le jugement se rapportant à ce qui n’a pas été demandé par les parties ou en plus de ce qui a été demandé.

6- Le défaut de base légale.

7- La dénaturation des pièces du dossier.

8- La contrariété entre deux jugements définitifs.

À l’issue du contrôle, la Cour de cassation rend un arrêt de rejet ou de cassation, et dans les deux cas, l’arrêt a une force juridictionnelle absolue.

a- En cas de rejet du pourvoi, l’arrêt d’appel devient irrévocable en vertu de l’article 731 du code de procédure civile libanais, et en vertu de l’alinéa 3 de l’article 553 du même code, cet arrêt acquiert la force de chose jugée.

b- En cas de cassation, l’arrêt d’appel est annulé et il n’y aura pas renvoi devant le juge du fond, et c’est à la Cour de cassation de juger le procès en fait et en droit en appliquant les règles applicables devant la cour d’appel, à l’exclusion des points que le pourvoi n’aura pas soulevés (article 734 du code susmentionné).

D’autre part, des conflits peuvent naître à l’occasion de recours soulevant des problèmes identiques concernant la compétence de plusieurs chambres de ladite cour, car les attributions de certaines chambres ne dépendent pas seulement de la nature des affaires (foncière, civile, sociale ou pénale…), mais encore d’un découpage géographique.

Pour parer aux risques de divergence de jurisprudence entre ces différentes chambres, ainsi qu’entre certains tribunaux de fond, tant judiciaires que religieux, le législateur a institué l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui est l’autorité suprême de cette cour. Elle est présidée par le premier président de ladite cour et comprend comme membres tous les présidents de chambre. Le quorum exigé pour les réunions de l’assemblée se limite à la présence du premier président et de quatre présidents de chambre. Elle a, par son arbitrage, un rôle régulateur et unificateur de la jurisprudence. Lorsque la décision est rendue par l’assemblée plénière, la chambre de la Cour de cassation peut trancher rapidement la « question de principe » en se basant sur cette décision et unifier ainsi la jurisprudence.

De même, il résulte de l’alinéa 5 de l’article 95 du code de procédure civile libanais que le procureur général près la Cour de cassation peut saisir l’assemblée plénière d’un recours en cassation « dans l’intérêt de la loi ». L’erreur commise par l’arrêt attaqué peut ainsi être corrigée par ladite assemblée, ce qui contribue à la formation de la jurisprudence.

S’agissant des règles de procédure et de jugement applicables devant l’assemblée plénière, ce sont généralement les mêmes règles applicables devant la Cour de cassation. Cependant, il faut mentionner que la présence et l’avis du ministère public sont obligatoires…

Enfin, s’agissant de la Haute Cour de justice, son statut est actuellement bien confirmé et n’a cessé d’évoluer. Elle constitue la cour suprême criminelle et est présidée par le premier président (actuellement M. Souheil Abboud)* et quatre magistrats de la Cour de cassation (présidents de chambre et conseillers) en tant que membres, qui « sont nommés par décret pris sur proposition du ministre de la Justice après consultation du Conseil supérieur de la magistrature ». Il faut mentionner ici que « la nouvelle étape législative concernant cette consultation consolide l’indépendance de la justice et constitue une sorte de barrière à l’ingérence du pouvoir politique dans les affaires de la justice ».

D’autre part, le ministère public auprès de la Cour de justice est représenté par le procureur général près la Cour de cassation ou celui qu’il chargera de le remplacer parmi ses adjoints…

« Ladite cour est saisie en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres qui décide des affaires qui lui sont déférées », notamment lorsqu’il considère que les crimes se rapportent à la sûreté de l’État et que la procédure judiciaire doit être, par conséquent, rapide.

En effet, la mission de la Cour de justice commence à compter de la date de publication de ce décret. Sa compétence actuelle est définie par l’article 356 du code de procédure pénale libanais.

Le critère sur lequel cet article s’est fondé est la nature du crime et son degré de gravité, et par conséquent la Cour de justice est compétente principalement pour juger des atteintes à la sécurité intérieure et extérieure de l’État. Elle statue, en dernier ressort, à l’unanimité ou à la majorité des voix.

En 2018, une association a été créée, au sein de la Cour de cassation, sous le nom d’« Association libanaise pour le patrimoine de la Cour de cassation et la diffusion de sa culture ». Elle est présidée actuellement par le premier président honoraire de ladite cour, M. Ghaleb Ghanem, et a les objectifs suivants : organiser des séminaires, conférences, réunions et recherches sur divers sujets juridiques et judiciaires se rapportant au rôle de la Cour de cassation ; collecter les documents se rapportant au patrimoine de ladite cour, les conserver et les diffuser; publier des recueils juridiques comprenant les principaux arrêts rendus par la cour précitée, commentés…

Anthony ISSA EL-KHOURY

Président honoraire de la Cour de cassation du Liban et président de la Ligue des anciens magistrats du Liban. Ancien président de la (Haute) Cour de justice et de l’Inspection judiciaire par intérim.

Note : ce texte est tiré d’une intervention au séminaire de l’Ahjucaf de Rabat sur l’histoire des cours suprêmes judiciaires des pays francophones.

*Selon l’article 358 du code de procédure pénale libanais, en cas d’empêchement du premier président, la Cour de justice sera présidée par le membre le plus haut gradé.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

La Première Guerre mondiale se termina par la victoire des Alliés et l’effondrement de l’Empire ottoman après une présence de plus de quatre siècles au Proche-Orient, ce qui a abouti à un grand vide au niveau institutionnel et judiciaire. Il fallait remédier à cette situation, et les autorités françaises ont pris l’initiative de créer un « tribunal supérieur résidant à...
commentaires (1)

Il était une fois maintenant c’est bla bla bla c’est le Hezbollah qui dirige tout

Eleni Caridopoulou

18 h 24, le 12 avril 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Il était une fois maintenant c’est bla bla bla c’est le Hezbollah qui dirige tout

    Eleni Caridopoulou

    18 h 24, le 12 avril 2023

Retour en haut