
Grimper pour mieux connaître le Liban, malgré les mauvaises surprises rencontrées parfois en pleine nature. Ici, à Janné. Photo Antoine Gallenne
Abdo enduit brièvement ses mains de magnésie, une fine poudre blanche permettant d’absorber l’humidité. « Avec ça, on accroche mieux la pierre », affirme le grimpeur avant de s’élancer. Autour de lui, un paysage luxuriant où cascades, cèdres et roches rocailleuses sont rois. Le spot est nouveau, près de la localité de Janné (entre les cazas du Kesrouan et de Jbeil), dont le nom signifie « paradis » en libanais. En ce samedi ensoleillé, ils sont six à s’être retrouvés pour une session d’escalade.
La semaine, chacun s’exerce en salle en attendant avec impatience le week-end, synonyme d’évasion en plein cœur de la nature. « S’entraîner en intérieur, c’est génial, mais rien ne peut remplacer ce panorama », souligne le trentenaire en frottant la roche à l’aide d’une brosse pour y enlever la poussière. Ancien comptable, Abdo a découvert ce sport par hasard il y a quatre ans grâce à des amis. Désormais ancré dans son quotidien, il considère l’escalade comme un exutoire face à la crise qui ravage le Liban : « Si je n’avais pas l’escalade, je ne sais pas ce que je serais devenu », lâche-t-il laconiquement.
Un atelier pour réparer les chaussures
Tous ici mettent en avant l’aspect thérapeutique de ce sport. « Cela nous sort du chaos ambiant », raconte Élias. Ce jeune homme aux cheveux longs a lancé, avec son frère Jad, un atelier permettant de restaurer les semelles usées des chaussures (« Climberspace »). L’initiative de réparation est locale, tandis que la totalité du matériel est importée d’Europe ou des États-Unis, et est vendue à des prix élevés. « Au début de la crise, nous n’arrivions plus à acheter de nouvelles chaussures. Nous avons donc décidé de nous débrouiller pour les réparer. Crise ou pas, nous ne voulions pas arrêter de grimper », explique Jad en déplaçant un matelas de protection pour explorer un nouveau parcours.
La flambée des prix du matériel de grimpe n’empêche pas les passionnés de trouver des solutions. Photo Antoine Gallenne
Sur le rocher d’à côté, Laura visionne, en direct sur son téléphone, la prestation de son amie Betheny qui participe à une compétition d’escalade en Jordanie. « Venez, elle va bientôt commencer ! » s’écrie la jeune femme. Quelques secondes plus tard, les six passionnés sont devant l’écran pour l’encourager à distance. Un soutien qui portera apparemment ses fruits puisque la jeune femme se qualifiera pour la finale. On devine une fierté certaine des jeunes sportifs à l’égard de cette ambassadrice de l’escalade libanaise.
Au fil de l’après-midi, la bande de grimpeurs expérimente de multiples pistes. La crise économique semble bien lointaine. Mais la discussion sur la situation du pays revient vite sur la table lorsque Abdo observe un projet de barrage non achevé à quelques centaines de mètres de là. Les riverains contestent sa construction en raison de la pollution visuelle qu’elle occasionnerait, d’autant plus que les travaux, comme sur beaucoup d’autres sites d’ailleurs, sont au point mort depuis plusieurs années, en raison des difficultés financières de l’administration libanaise qui paie de plus en plus mal ses entrepreneurs. « Les constructeurs ont simplement fait ça pour prendre l’argent et partir avec », accuse Abdo.
La vue paradisiaque ne semble finalement pas infinie. « Même ça, ils nous l’ont pris », dit-il en soupirant.
Mais son découragement ne sera que de courte durée. Le groupe d’amis s’apprête à se rendre, le lendemain, dans les montagnes de Tannourine, plus au nord (dans les hauteurs du caza de Batroun). Encore plus loin des problèmes de la vie quotidienne.
Merci
16 h 11, le 12 avril 2023