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Nos Lecteurs ont la Parole

Le quorum requis pour l’élection du président de la République

Il résulte de l’alinéa 2 de l’article 49 de la Constitution libanaise que le président de la République est élu au « scrutin secret » par la Chambre des députés, ce qui implique qu’aucune « clé électorale » (1) ne doit ressortir des bulletins de vote.

Il ressort aussi du même alinéa 2 que « le président de la République » est élu à la majorité des deux tiers par la Chambre des députés. Et « après le premier tour du scrutin, la majorité absolue suffit ». Donc le candidat à la présidence n’est élu que s’il obtient la majorité des deux tiers des voix au premier tour du scrutin.

Sinon, pour qu’il soit élu, il suffit au candidat d’obtenir, au second tour du scrutin, la majorité absolue (c’est-a-dire la moitié plus une) des voix.

Cependant, une question se pose ici : sur quelle base doit-on calculer le quorum requis pour l’élection du président de la République libanaise ? Le quorum de la majorité absolue suffit-il, ou faut-il le quorum des deux tiers des députés composant la Chambre ?

Il y a eu controverse doctrinale quant au quorum requis pour l’élection présidentielle. En effet, il y a deux thèses différentes.

A- Une première thèse (2) estime que le quorum ordinaire, c’est-à-dire celui de la majorité absolue, suffit. Selon les auteurs de cette thèse, le quorum requis est celui mentionné dans l’article 34 de la Constitution qui dispose que « la Chambre ne peut valablement se constituer que par la présence de la majorité des membres qui la composent légalement », par conséquent « la majorité absolue » des députés, c’est-à-dire la moitié du nombre plus un.

Donc, dans le cas de la Chambre actuelle composée de 128 députés, la majorité absolue est la suivante : 64 + 1 = 65.

D’autre part, par rapport à la majorité des deux tiers mentionnée dans l’article 49 pour l’élection du président au premier tour du scrutin, les auteurs de ladite thèse estiment que la majorité exigée n’est pas celle des deux tiers des députés formant la Chambre, mais celle des deux tiers des suffrages exprimés.

Pour ces auteurs, si les constituants ont voulu un quorum et une majorité qualifiée calculés sur la base des députés formant la Chambre, ils l’auraient énoncé clairement, comme ils l’ont fait dans les articles constitutionnels 60 (concernant la mise en accusation du président de la République pour les délits de droit commun ou pour la violation de la Constitution ou pour haute trahison), 70 (concernant la mise en accusation du président du Conseil et des ministres pour haute trahison ou pour manquement aux devoirs de leur charge), 77 (concernant la révision de la Constitution) et 79 (concernant l’amendement de la Constitution).

Or, d’après les auteurs de ladite thèse, les constituants ne l’ont pas fait pour l’article 49 susmentionné se rapportant aux modalités d’élection du président de la République, et qui dispose que ce dernier est élu à la majorité des deux tiers des suffrages par la chambre des Députés.

Par conséquent, selon ces auteurs, l’article 49 n’a pas imposé la majorité des deux tiers des membres composant la Chambre, et donc l’expression « par la chambre des Députés » mentionnée dans cet article veut dire « l’organe compétent » pour élire le président de la République.

B- Une seconde thèse (3) estime que « le quorum requis pour l’élection du président est celui des deux tiers des députés composant la Chambre au premier tour du scrutin et aux tours de scrutin suivants ». D’après les tenants de cette thèse, le quorum des deux tiers est décompté, à juste titre, par rapport à l’ensemble des députés composant la Chambre. Cette thèse (que nous soutenons) se base sur deux arguments essentiels : l’interprétation des textes et l’importance de l’institution de la présidence de la République.

1- L’interprétation des textes : appliquée aux textes constitutionnels, la méthode d’interprétation proprement scientifique œuvrant directement sur le texte, indépendamment de ses origines formelles (4), implique que l’article 49 relatif aux modalités d’élection du président de la République exclut l’application de l’article 34 concernant le fonctionnement de la Chambre des députés comme pouvoir législatif car, selon l’article 75, la Chambre précitée se transforme en un organe électoral pour élire le président de la République.

Donc l’inapplicabilité de l’article 34 précité implique que la disposition de l’article 49 (« Le président de la République est élu à la majorité des deux tiers par la Chambre des députés (...) ») veut dire que la majorité des deux tiers et la majorité absolue (la moitié plus un) ne se calculent pas par rapport aux suffrages exprimés mais relativement à la totalité des membres composant la Chambre.

2- L’importance de l’institution de la présidence de la République : cette importance implique que l’élection du président doit découler d’une représentation large du fait qu’il est « l’arbitre » entre les différents pouvoirs de l’État et qu’il est, selon l’alinéa 1 de l’article 49 de la Constitution, « le chef de l’État et le symbole de l’unité du pays. Il veille au respect de la Constitution, à la sauvegarde de l’indépendance du Liban, à son unité et à l’intégrité de son territoire, conformément aux termes de la Constitution ».

Par conséquent, son élection doit se faire à une large majorité représentant la plupart des courants politiques et les différentes composantes du pays.

En conclusion, en vertu de ce qui précède, la seconde thèse doit être adoptée et, en effet, elle a été appliquée dans la pratique constitutionnelle d’une manière constante jusqu’à nos jours…

Anthony ISSA EL-KHOURY

Président honoraire de la Cour

de cassation et président

de la Ligue des anciens

magistrats du Liban. Ancien

président de la Cour de justice

et de l’Inspection judiciaire

par intérim

(1) La « clé électorale » est un signe distinctif qu’on donne au député avant les élections, pour le mentionner dans le bulletin de vote. Ce peut être soit une formulation, par exemple on met le nom avant le prénom, soit un titre, par exemple excellence ou président.

(2) Nady Tyan, Le pouvoir exécutif dans le régime politique libanais, thèse, Lyon, 1970. En arabe : Antoine Baroud, Le quorum et la majorité pour l’élection du président de la République, La revue judiciaire, Beyrouth 1962 ; Anouar Khatib, Les pouvoirs publics – l’État et les régimes politiques – la Constitution du Liban, Beyrouth, 1970.

(3) Salim Sleiman, Le Parlement libanais, thèse, Nice, 1973 ; Edmond Rabbath, La Constitution libanaise, origines, textes et commentaires, V, Publication de l’université libanaise, Beyrouth, 1982 ; Anthony Issa el-Khoury, Le président de la République en droit constitutionnel libanais et français comparé, 2e édition, Beyrouth, avril 2016. Et les ouvrages en arabe : Abdo Oueidat, Les régimes constitutionnels au Liban, dans les pays arabes et le monde, Beyrouth, 1961 ; Mohsen Khalil, Les régimes politiques et la constitution libanaise, Beyrouth, 1973.

(4) François Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, tome II, Paris, 1932.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Il résulte de l’alinéa 2 de l’article 49 de la Constitution libanaise que le président de la République est élu au « scrutin secret » par la Chambre des députés, ce qui implique qu’aucune « clé électorale » (1) ne doit ressortir des bulletins de vote.Il ressort aussi du même alinéa 2 que « le président de la République » est élu à la...
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