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Idées - Commentaire

Élection présidentielle : et si le Liban s’inspirait de l’étranger pour mettre fin à la paralysie ?


Élection présidentielle : et si le Liban s’inspirait de l’étranger pour mettre fin à la paralysie ?

Le Parlement libanais réuni en séance électorale, le 15 décembre 2022. Ali Fawaz/Parlement libanais

Comme entre 2007 et 2008, puis entre 2014 et 2016, quelques partis politiques sabotent ou boycottent les séances parlementaires dédiées à l’élection d’un chef de l’État mettant en avant les contraintes de la démocratie consociative et la Constitution libanaise pour empêcher le processus électoral de suivre son cours démocratique. Dans ce contexte, le président de la Chambre des députés, Nabih Berry, a tout le loisir de manipuler les règles qui président à l’élection.

Ces excès ont d’ores et déjà été dénoncés par un certain nombre de constitutionnalistes : adoption arbitraire d’un quorum de présence de deux tiers de l’ensemble des membres du Parlement (au lieu de la majorité absolue, comme le prévoit l’art. 34 de la Constitution libanaise), répétition à l’infini du premier tour de scrutin lors de chaque séance électorale (pour ne pas abaisser le seuil électoral de la majorité qualifiée des deux tiers à la majorité absolue), et calcul de ladite majorité sur base du total des députés que compte le Parlement (au lieu de prendre le nombre de suffrages exprimés comme nombre de référence, comme il peut être déduit de l’art. 12 du règlement intérieur du Parlement, adopté en 2003).

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La pratique qui a actuellement cours attente aussi bien à la lettre qu’à l’esprit de la Constitution, car en posant le cadre institutionnel dans lequel doit se dérouler le jeu politique, celle-ci ne fait aucunement primer l’exception consociative sur la règle majoritaire et démocratique. En d’autres termes, l’esprit des textes de loi vise à faciliter l’élection d’un président de la République plutôt qu’à la soumettre à une somme de conditions qui permettent la paralysie institutionnelle (en témoigne l’abaissement de la majorité requise des deux tiers à la majorité absolue à partir du deuxième tour de scrutin). C’est d’ailleurs le même esprit qui anime les normes régissant l’élection du chef de l’État (ou du pouvoir exécutif dans son ensemble) par le pouvoir législatif dans d’autres républiques parlementaires. Des normes dont l’examen fournit autant de pistes possibles pour une amélioration à venir de notre propre Constitution sur cet enjeu devenu périodiquement l’otage d’une pratique aux antipodes de la volonté de ses rédacteurs.

Limiter les abus

Dans certains pays, un processus officiel de dépôt de candidatures par les groupes parlementaires prend place en amont des séances électorales. En Hongrie et en Albanie, chaque candidature doit être soutenue par respectivement un cinquième (art. 11 de la Constitution hongroise) de 2011 et 1/7ème des membres du Parlement (art. 87 de la Constitution albanaise de 1998), ce qui permet de limiter le nombre de candidats habilités à concourir lors du scrutin. En Allemagne et en Afrique du Sud, l’approbation écrite du candidat doit nécessairement être déposée auprès du bureau du Parlement par le groupe parlementaire duquel émane la candidature, ce qui permet d’éviter que des personnalités politiques ne se retrouvent candidates malgré elles.

En Allemagne, de nouvelles candidatures peuvent être déposées jusqu’au troisième tour de scrutin uniquement (art. 9 de la loi sur l’élection du président de la République fédérale d’Allemagne). De même, lors de l’élection des membres du Conseil fédéral suisse, les députés peuvent voter pour les personnalités de leurs choix lors des trois premiers tours de scrutin uniquement ; à partir du quatrième tour, les candidatures sont limitées aux personnalités ayant reçu au moins une voix lors des tours précédents (art. 132 de la loi de 2002 sur l’Assemblée fédérale). De telles normes interdisent aux potentiels candidats de temporiser jusqu’à ce que la conjoncture politique leur soit favorable et leur impose de se porter candidats dès le début du processus électoral.

Dans de nombreux pays, un mécanisme d’élimination des candidats les moins bien placés se met également en place au fil des tours de scrutin, ce qui limite automatiquement les tours suivants aux candidatures les plus sérieuses et impose un report des voix des perdants sur les candidats restants. C’est ainsi qu’en Suisse, les candidats ayant obtenu moins de dix voix au second tour sont éliminés de la course, tandis qu’à compter du troisième tour, le candidat arrivé en dernière position ne peut plus concourir aux tours suivants (art. 132 de la loi sur l’Assemblée fédérale) ; une règle similaire permet de départager les candidats à la présidence de l’Afrique du Sud (art. 7 de l’annexe 3A à la Constitution sud-africaine). Il est de plus courant que la majorité requise diminue au fil des tours : tel est notamment le cas en Grèce – elle passe ainsi par étapes de deux tiers à la majorité simple entre le cinquième et dernier tour (art. 32 de la Constitution de 1975) – et en Hongrie (art. 11 de la Constitution). De manière particulièrement intéressante, en Irak, où le régime politique, en partie confessionnel, est comparable à celui que connait le Liban, la majorité requise au premier tour est celle des deux tiers des membres qui composent le Parlement, mais ce seuil est ensuite abaissé à la majorité absolue des suffrages exprimés (art. 70 de la Constitution de 2005).

Certaines constitutions cherchent à limiter le processus électoral dans le temps : en Albanie, il est prévu qu’il ne doit pas s’écouler plus de sept jours entre deux tours de scrutin (art. 87 al. 3 de la Constitution albanaise) tandis qu’en Hongrie, l’entier de l’élection doit se tenir en deux jours (art. 11 al. 5 de la Constitution hongroise). Il est vrai que cette dernière norme, de même que celle qui impose une réunion « immédiatement et de plein droit » du Parlement libanais en cas de vacance de la magistrature suprême (art. 74 de la Constitution libanaise), ne peuvent faire l’objet d’une application forcée en cas de crise institutionnelle grave. La détermination d’un cadre temporel strict empêche néanmoins que la convocation du Parlement ne soit, comme au Liban, soumise – avec la complicité des députés – à l’arbitraire de son président.

Revenir au texte

Cette comparaison des normes sur l’élection des chefs d’État de sept républiques parlementaires démontre qu’au-delà des droits des minorités et des facteurs de consensualisme, ce sont la démocratie majoritaire et l’élection d’un chef d’État qui priment. À l’inverse, au Liban, l’obligatoire consensus entre les chefferies politiques traditionnelles et la violation des normes constitutionnelles confèrent à chaque camp un droit de veto et conduit à la vacance institutionnelle et au délitement de l’État. Les Libanais pourraient donc s’inspirer des mécanismes en usage à l’étranger quand viendra l’heure d’une refonte des institutions de l’État.

Pour l’heure, il demeure nécessaire de revenir à une pratique politique conforme aux dispositions de la Constitution et de la loi, ce qui faciliterait l’élection d’un chef d’État en quelques tours de scrutin.

Une version longue de cet article est disponible en arabe sur le site de Legal Agenda.

Par Gabriel Abou Adal

Étudiant en droit à l’Université de Zurich.

Comme entre 2007 et 2008, puis entre 2014 et 2016, quelques partis politiques sabotent ou boycottent les séances parlementaires dédiées à l’élection d’un chef de l’État mettant en avant les contraintes de la démocratie consociative et la Constitution libanaise pour empêcher le processus électoral de suivre son cours démocratique. Dans ce contexte, le président de la Chambre des...
commentaires (7)

Heureusement qu’au Liban les candidats n’ont pas besoin de l’accord du parlement pour se présenter. Vous imaginer Berry exerçant de plein droit sa censure en toute légalité? Oui parce que depuis 30 ans qu’il est là il exerce déjà son veto pour que la constitution ne soit jamais appliquée et personne ne trouve à redire alors que serait une campagne présidentielle avec son accord en amont? Une dictature pure et simple légitimée par décret. En d’autres termes le rêve absolu pour tous ces vendus qui monopolisent le pouvoir.

Sissi zayyat

17 h 41, le 05 février 2023

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Commentaires (7)

  • Heureusement qu’au Liban les candidats n’ont pas besoin de l’accord du parlement pour se présenter. Vous imaginer Berry exerçant de plein droit sa censure en toute légalité? Oui parce que depuis 30 ans qu’il est là il exerce déjà son veto pour que la constitution ne soit jamais appliquée et personne ne trouve à redire alors que serait une campagne présidentielle avec son accord en amont? Une dictature pure et simple légitimée par décret. En d’autres termes le rêve absolu pour tous ces vendus qui monopolisent le pouvoir.

    Sissi zayyat

    17 h 41, le 05 février 2023

  • Si les textes de loi étaient appliqués au Liban, aucun déposant n'aurait perdu ses fonds et la plupart des leaders politiques et des banquiers se trouverait derrière les barreaux! Les textes existent mais les juges ont peur de les faire appliquer ou bien sont payés pour faire obstacle à leur application!

    Georges Airut

    02 h 18, le 05 février 2023

  • Le problème n'est pas dans le texte de la Constitution. Il réside uniquement dans la mauvaise foi de certains leaders et du Président du Parlement qui veulent sciemment bloquer le processus de l'élection tant que le candidat qu'ils appuient n'a pas reçu le nombre de voix qu'ils estiment nécessaire! Tant que cette volonté de blocage subsiste et reste impunie, toutes les modifications de texte ne pourront rien y faire!

    Georges Airut

    02 h 14, le 05 février 2023

  • Tristes sirs que ces deputes qui gesticulent pour la facade et qui n'osent pas tenir leurs engagements !!!!

    RAYMOND SAIDAH

    18 h 33, le 04 février 2023

  • Aucune plainte n'a été portée auprès de la cour constitutionnelle. Aucune. Les journalistes écrivent des articles, les députés gesticulent devant les médias,mais personne n'a porté plainte. Est-ce que cela veut dire qu'en réalité tout le monde accepte le jeu et que la contestation n'est qu'une contestation de façade ?

    K1000

    10 h 51, le 04 février 2023

  • "il demeure nécessaire de revenir à une pratique politique conforme aux dispositions de la Constitution et de la loi" ... et c'est tout! Nul besoin de réformer la Constitution: il suffit de la respecter, et, comme je le répète incessamment: en 24h maximum, nous aurions un président.

    Yves Prevost

    07 h 14, le 04 février 2023

  • A quoi bon discuter de réformes constitutionnelles quand la constitution existante est si allègrement violée?

    Naccache Georges

    02 h 22, le 04 février 2023

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