Zeinab Hammoud frissonne. Les rues des Pays-Bas sont légèrement recouvertes de neige, après un Noël étrangement doux. La météo est l’une des nombreuses choses qui séparent ses deux foyers. Les gens en cette même période se baignent dans la ville balnéaire de Tyr au Liban-Sud, où est née la jeune femme de 34 ans.
Récemment rentrée d’Afghanistan, après avoir filmé quelques segments pour Nieuwsuur – l’équivalent néerlandais de NewsHour de la BBC, sans doute le plus important programme télévisé journalistique de fond – où elle travaille en tant que rédactrice et reporter pour le Moyen-Orient depuis 2019, elle planifie déjà son prochain voyage de reportage en Irak, où elle s’est rendue à quatre reprises l’année dernière.
Comment cette Néerlandaise d’origine libanaise est-elle passée de Tyr à la banlieue d’Utrecht, puis aux reportages dans tout le Moyen-Orient et ailleurs dans le monde ? Ses origines libanaises ont-elles influencé son choix de carrière ? Bien que la migration du Liban vers les Pays-Bas ait été relativement minime par rapport à d’autres pays européens, comme la France et la Suède – les derniers chiffres officiels du Bureau central néerlandais des statistiques datent de janvier de cette année et font état d’environ « 8 969 Néerlandais issus de l’immigration libanaise » –, le pays n’est pas absent de la conscience collective néerlandaise. Après la double explosion au port de Beyrouth en 2020, le public néerlandais a collecté environ 11,5 millions d’euros en moins de 14 heures, ce qui est assez impressionnant pour un pays de 17 millions d’habitants n’ayant aucun lien historique avec le Liban.
L’exil : deux mondes différents
Zeinab Hammoud explique que ses parents, qui ont fui le Liban vers la fin de la guerre civile de 1975-1990, ont choisi les Pays-Bas pour démarrer une nouvelle vie, plutôt que des endroits où les communautés libanaises sont plus nombreuses, parce qu’ils voulaient s’éloigner le plus possible des horreurs de la guerre civile, ce qui signifiait aussi s’isoler des gens qui y faisaient sans cesse référence. Elle n’était qu’une enfant lorsqu’elle a entrepris ce voyage qui a marqué sa vie, de Tyr à un pays qui ne pouvait pas être plus différent que le sien. « Mes parents voulaient tout laisser derrière eux et repartir à zéro. Ce qui, à l’époque, était possible dans un pays comme les Pays-Bas. »
À partir de ce moment-là, elle confie avoir vécu dans deux mondes différents. « Ma maison familiale ressemble à n’importe quelle maison au Liban : du mobilier à la décoration des murs en passant par la musique, dès que vous entrez dans notre maison, vous pourriez aussi bien être au Liban, dit-elle. Le matin, vous êtes accueilli par l’odeur du café arabe fraîchement préparé et accompagné par les notes de Feyrouz. Même le café doit être du Najjar rapporté du Liban. Ils en vendent ici, mais mes parents insistent sur le fait qu’il n’a pas le même goût. »
Zeinab et ses trois sœurs ont toujours parlé arabe à la maison, mais étaient par ailleurs totalement immergées dans la vie néerlandaise. Ce qui les a amenées à avoir une identité mixte, que Zeinab ne considère pas du tout comme un fardeau. « Je n’ai jamais vraiment compris cette idée qu’une identité mixte est une sorte de poids énorme que vous portez sur vos épaules, dit-elle. Je me sens plutôt fière et chanceuse d’être à la fois libanaise et néerlandaise. Je peux participer à deux cultures, parler et comprendre les deux langues... Imaginez comme c’est génial d’avoir le sens de l’humour et de comprendre les blagues en deux langues ! Avec mes trois sœurs, nous avons mélangé les deux cultures, littéralement. Nous parlons même un mix des deux langues entre nous, à tel point que certains mots sont une combinaison, comme un préfixe néerlandais et un verbe libanais. »
Le retour : une expérience merveilleuse
Cet exercice d’équilibriste était normal pour les sœurs. Alors que Zeinab venait de terminer sa première année au lycée, ses parents décident de ramener la famille à Tyr. « L’idée de rentrer était toujours dans un coin de leur tête. C’était difficile pour eux de voir que par exemple notre arabe n’était pas aussi courant qu’ils l’auraient voulu, ils ont senti qu’une partie de notre identité libanaise s’échappait. Et pour eux, les Pays-Bas n’étaient pas leur maison et ne le seraient jamais. Même si pour nous, mes sœurs et moi, c’était le cas. »
Inscrite au lycée de Tyr, ce qui selon elle a été une expérience merveilleuse car elle a eu une classe formidable. « Les gens étaient si accueillants, même si j’étais différente. Aux Pays-Bas, quand on est différent à l’école, les enfants peuvent être assez méchants. Mais ici, j’ai été accueillie à bras ouverts. Aujourd’hui encore, je suis très amie avec beaucoup de mes camarades de classe. » Bien qu’elle ne sache ni lire ni écrire l’arabe, elle réussit à maîtriser les deux en trois mois, ce qui lui a permis de passer les examens du brevet « avec brio ». Dans la plus pure tradition libanaise, cela a donné lieu à une situation cocasse où l’un de ses camarades de classe a obtenu des résultats inférieurs aux siens aux examens d’arabe et a été appelé le Hollandais pendant le reste de l’année. Elle sourit à ce souvenir. « J’ai passé un bon moment ici. »
La vocation : une fascination
En raison de ses bonnes notes, tout le monde s’attendait à ce qu’elle étudie la médecine à l’Université américaine de Beyrouth, « comme toutes les jeunes filles ayant eu de bonnes notes sont censées le faire ». Mais elle caressait depuis un certain temps l’idée d’étudier le journalisme. Puis la guerre de 2006 a éclaté. Elle se souvient d’avoir dû se déplacer jusqu’à la maison de repos de Tyr pour être évacuée vers les Pays-Bas, comme beaucoup d’autres personnes ne détenant pas la nationalité libanaise. « Lorsque j’ai aperçu ces journalistes néerlandais à Tyr, au milieu de tout ce chaos, j’ai compris qu’ils étaient venus des Pays-Bas pour voir de leurs propres yeux ce qui se passait et en rendre compte... J’étais tellement fascinée que je me suis dit : OK c’est ça, je veux ça. Et c’est à ce moment précis que j’ai su avec certitude que j’allais devenir journaliste. »
Renonçant à étudier la médecine sur le plus beau campus du pays – bien qu’elle y soit retournée pour un programme d’études à l’étranger –, elle s’inscrit à une école de journalisme aux Pays-Bas. « Travailler aux Pays-Bas n’a pas toujours été une promenade de santé, souligne-t-elle. Peu importe à quel point je me considère néerlandaise, tout le monde ne le voit pas de cette façon et il y a eu des moments où j’ai pensé : j’en ai assez, je pars. Mais peu importe comment on voit les choses, les Pays-Bas, c’est chez moi. Et ces dernières années, je me suis pleinement engagée à y faire carrière, ce qui, rétrospectivement, s’est plutôt bien passé, je pense. »
Elle retourne encore au Liban au moins une fois par an. « Je dis toujours que je suis néerlandaise aux racines libanaises. J’ai deux maisons. Et je suis deux Zeinab : la Zeinab libanaise et la Zeinab néerlandaise. Et elles cohabitent parfaitement bien ensemble. »
Cet article est paru dans « L’Orient Today » le 26 janvier 2023.
Le Liban a beaucoup d'excellents journalistes et le journalisme c'est un point fort du Liban et de ces gens.
10 h 17, le 31 janvier 2023