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Nos Lecteurs ont la Parole

Angoisses et misères....

Dans ce pays qui appartient à tout le monde sauf aux Libanais, nous avons dû composer avec la réalité en nous disant dans notre for intérieur : « Patience, le temps finira par arranger les choses. » Merveilleux fatalisme qui nous aide, en dépit de la conjoncture et du pourrissement de la situation, à prendre notre mal en patience. Et pourtant, aucune éclaircie à l’horizon. Une nouvelle année commence, et nous sommes toujours tiraillés par un instinct de conservation et par une envie irrépressible de vivre.

Nous vivons dans le précaire, et une stabilité durable nous est refusée par ceux qui ont juré notre perte. Quelle souffrance de voir toutes les communautés dressées les unes contre les autres au lieu de former un modèle de compréhension et de tolérance !

Comment éponger tant de haine, effacer tant de ressentiment alors que la violence verbale est à son paroxysme? Quel crédit accorder à un gouvernement (et on est en pleine vacance) qui se vante pour une unité nationale et dont les membres sont hostiles les uns aux autres ? N’est-ce pas plutôt un comité où se juxtaposent les turpitudes et où s’assemblent les rancœurs ?

Plus personne ne pourrait croire que nos responsables auraient réellement l’intention de dialoguer ou d’œuvrer à sortir la nation de l’épreuve qu’elle traverse. Les conclaves, les Libanais en ont l’habitude : les participants se mettent d’accord sur un ensemble de principes généraux assez flous pour permettre des interprétations diverses, assez générales pour n’engager la responsabilité de personne. Que de propos courtois échangés entre la poire et le fromage, au point que le peuple se demande si ce sont les mêmes leaders qui procèdent à des escalades verbales fulgurantes.

Dans un pétrin de méfiance, comment exiger du peuple un surcroît de confiance, comment l’intransigeance pourrait-elle s’avérer en exigence ?

On dirait que les Libanais, pourtant si intelligents et astucieux, n’arrivent plus à franchir la barrière psychologique de certaines attitudes, ni à surmonter ce qui les oppose les uns aux autres. Leur courage moral n’est plus à la hauteur de leur intelligence. Ils semblent donner raison à ces vers de Corneille dans Polyeucte : « La source de ma haine est trop inépuisable... À l’égal de mes jours je la ferai durer… Je veux vivre avec elle, avec elle expirer. »

Devrions-nous, étant au seuil d’une nouvelle année, être optimistes impénitents ou lassés d’être sceptiques ? Devrions-nous refléter l’image d’une nation toujours fidèle à elle-même, mais d’une classe politique non moins fidèle à ses intérêts immédiats qui sont souvent en contradiction avec ceux de l’État ?

Tous ces leaderships qui se rencontrent, bavardent, déjeunent copieusement et ne sont jamais d’accord : à quoi bon ? Que l’on nous assure d’abord l’eau, l’électricité, le médicament... un minimum d’organisation, un peu moins d’anarchie et un peu plus de sécurité... Corruption totale !

Humiliés, frustrés, martyrisés, nous Libanais, durant ces années de catastrophes interminables, comment pourrions-nous croire à l’efficacité de la politique, du pouvoir ?

On attend un gouvernement à la mesure de nos tragédies, de nos angoisses et de nos misères. On a l’impression d’assister à une représentation surréaliste où le comique est le compagnon fidèle du tragique. On dirait un film de Pasolini ou de Fellini, avec le grotesque en plus et la profondeur en moins.

Nous vivons une véritable crise de confiance. Parodie affligeante que résume si bien cette phrase d’Ionesco : « Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. »

Comment croire en la résurrection du Liban tant que ses responsables ne parlent plus le langage de la raison mais celui de la logique passionnelle et de l’exclusion, de l’intransigeance et du fanatisme ? Est-il encore possible de voir renaître le Liban tel que cru par nos humanistes et qui est l’aspiration profonde – quelle lancinante nostalgie – de la majorité des Libanais ? Voici ce qu’écrit Michel Chiha dans Visage et présence du Liban : « Dans ce monde de valeurs où l’esprit a le premier rôle et qui fait les élites, ce que nous aimons, ce que nous cherchons, ce n’est plus la chose matérielle, c’est la substance et la force du discours, c’est la finesse du jugement et du regard, c’est la hauteur des vues, c’est la qualité morale. »

Comment ne pas succomber à la nostalgie qui est la négation du Liban d’aujourd’hui en même temps que la conscience diffuse du Liban d’autrefois ?

« Celui qui se sent isolé comme un étranger parmi les étrangers et comme le survivant mélancolique d’une époque défunte se sent par la même solidarité d’une autre cité, d’une autre patrie, d’une ville invisible, d’une république lointaine. » (Vladimir Jankelevitch).

Une nouvelle année ? Qu’on écoute à travers les ramures le bruit doré d’un arbre qui ne veut pas mourir !

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, «L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Dans ce pays qui appartient à tout le monde sauf aux Libanais, nous avons dû composer avec la réalité en nous disant dans notre for intérieur : « Patience, le temps finira par arranger les choses. » Merveilleux fatalisme qui nous aide, en dépit de la conjoncture et du pourrissement de la situation, à prendre notre mal en patience. Et pourtant, aucune éclaircie à...
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