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Lifestyle - Les inoubliables

Sherihan, Sabah, Googoosh... dans une région rongée par l’obscurantisme, les divas continuent de briller

Elles sont chanteuses, actrices, danseuses et surtout porte-parole des douleurs de personnes vivant dans le rejet. Puissantes, glamours, passionnées, les divas cultivent un avant-gardisme artistique et social tout aussi enthousiasmant que fascinant.

Sherihan, Sabah, Googoosh... dans une région rongée par l’obscurantisme, les divas continuent de briller

Les divas, de gauche à droite : Googoosh, Sabah et Sherihan. Photos DR/Montage L’OLJ

En Orient où les inégalités sont nombreuses et où l’injustice règne en maître, les divas, ces personnalités majoritairement féminines du monde des arts et de la scène, représentent une lueur d’espoir pour bon nombre de femmes et de communautés marginalisées. Figures engagées, elles défient les codes de sociétés orientales dictés par le respect de la religion et des bonnes mœurs. Sherihan l’Égyptienne, Sabah la Libanaise et Googoosh l’Iranienne font partie du cercle fermé des personnalités saluées dans le Moyen et Proche-Orient pour leur modernité.

À l’image de Kaiti Garbi en Grèce, Mylène Farmer en France ou Celia Cruz en Amérique latine, les divas orientales puisent leur inspiration dans un public fidèle, une histoire souvent poignante et une image travaillée jusqu’à l’obsession. Le tout enrobé de beaucoup d’audace, face à un système d’oppression bien implanté en raison du conservatisme de cette région du monde. Si leurs réputations de chanteuses égocentriques et capricieuses leur collent à la peau, elles apparaissent en réalité comme les parfaites ambassadrices des blessures profondes de leurs admirateurs et comme une fenêtre inespérée vers une réalité moins amère. Trois portraits de ces femmes exceptionnelles permettent de mieux comprendre un combat qui passe par la scène.

Sherihan en 2021 en Coco Chanel. Photo Kareem Nour

Sherihan, reine révolutionnaire d’Égypte

Il a suffi d’un spot publicitaire de quatre minutes pour enflammer le monde arabe. Nous sommes en 2021, en plein mois de ramadan, quand Sherihan, icône des années 1980, réapparaît sur les écrans dans toute sa splendeur, après presque vingt ans d’absence. Connue pour ses Fawazeer ramadan, un show télévisé présentant des énigmes et charades sous forme de danses et de performances scéniques et musicales ultrarecherchées, elle était la parfaite représentante d’une bulle artistique panarabe en pleine mutation. Chant, comédie, danse, Sherihan s’est essayée à tout, considérée comme une pionnière dans le monde des arts en Égypte. Sa popularité dans toute la région a fait d’elle l’une des rares artistes à avoir multiplié les rôles sur le petit et grand écran durant trois décennies. Au fil des épisodes et des saisons, Sherihan et ses célèbres Fawazeer illustreront la magnificence et l’évolution de la mode des années 1980 et 1990 au-delà des frontières européennes. Les couleurs scintillantes, l’excentricité jamais loufoque et la modernité assumée d’une garde-robe fantasque font de cette femme originaire du Caire une référence. C’est avec le début des années Sherihan que l’antagonisme artistique entre l’Orient et l’Occident se fait le plus ressentir. Si l’Amérique puritaine de l’ère Reagan fantasme secrètement sur les provocations de Madonna, la voix rauque de Laura Branigan ou les chorégraphies élaborées de Paula Abdul, le monde arabe découvre les originalités visuelles qui ont inondé les magazines de papier glacé quelques collections plus tôt entre New York et Milan. Loin de l’ambiance du Studio 54, Sherihan fait renaître le divertissement chic dans les foyers des téléspectateurs captivés.

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Alors que l’Égypte perd en Dalida l’une de ses plus éblouissantes étoiles un soir de mai 1986, et que le pays bascule de plus en plus dans le conformisme artistique après une période de liberté presque absolue, surtout cinématographiquement, Sherihan va, au travers de la plateforme qui lui est offerte, bousculer les codes médiatiques poussiéreux et créer une interaction inédite entre le spectateur et l’artiste. L’esthétique kitsch et l’audace moderniste de l’interprète feront sa légende. Mais derrière la façade exubérante d’une artiste plurielle se cache la réalité d’un État traditionaliste et, surtout, la maladie. Sherihan quitte le devant de la scène en 2002 après avoir été diagnostiquée souffrant d’une rare forme de cancer. Son combat contre la maladie se fera loin des feux des projecteurs. Parce que savoir se mettre en retrait est un art à part entière, elle cultivera la discrétion jusqu’à l’obsession, au grand dam d’une presse qu’elle qualifiait de voyeuriste. Avant de sortir de son silence après une période de convalescence difficile pour faire une nouvelle fois barrage à la noirceur d’un pouvoir en danger. Sherihan participera à la révolution égyptienne de 2011 et manifestera avec ardeur contre le régime de Hosni Moubarak. Celle qui se disait fatiguée et lassée par la politique stagnante et injuste de son pays retrouve un semblant d’élan patriotique et une fierté vis-à-vis d’une jeunesse en quête d’un idéal démocratique. C’est avec précaution que Sherihan acceptera de réapparaître sur la scène culturelle. Pour son grand retour, elle se glisse dans la peau de Coco Chanel dans une pièce de théâtre et n’hésite pas à mettre à profit sa notoriété pour venir en aide aux plus fragiles. Politiquement engagée, la diva égyptienne, et ce n’est pas étonnant, ne regrette aucune de ses actions et encore moins ses silences.

L’élégance de Sabah en 1990. Photo d’archives L’OLJ

Sabah, un Liban nostalgique en technicolor

C’est au début des années 1990, avec la fin de la guerre civile, que le Liban devient un réservoir de jeunes talents : Nawal el-Zoghbi, Carole Samaha ou encore Élissa connaissent un succès retentissant dans le monde arabe. L’époque leur est propice : les vieilles gloires qui se sont retirées du devant de la scène pendant la guerre n’arrivent plus à retrouver l’attention d’un public en quête de plus de légèreté face aux crises successives d’un pays en lente reconstruction.

Rares sont celles qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Si l’éternelle Feyrouz retrouve les sommets grâce à ses collaborations avec son fils Ziad Rahbani, Sabah, elle, confirme son statut d’icône Camp. Cette notion, surtout utilisée par les critiques culturels et les connaisseurs d’art, décrit un style, une attitude ou un mouvement d’une grande extravagance. Si Donna Summer, Cher ou Liza Minnelli étaient Camp, Sabah l’était encore plus. Que ce soit dans ses gestes, dans son langage ou dans ses tenues, elle incarnait un courant qui mêle créativité et désordre pailleté rappelant ainsi les milieux underground queer et la sensibilité du pop art. Source d’inspiration, idolâtrée par la communauté homosexuelle, Sabah reste encore aujourd’hui une valeur sûre de la scène drag. Imitée pendant des années par l’humoriste et drag-queen Bassem Feghali, elle deviendra sa grande amie et lui offrira son aval et une vaste visibilité dans les médias, preuve ultime de son ouverture d’esprit et de son acceptation de la différence. Le célèbre imitateur nous confiait son amour et son respect immense pour la chanteuse aux cheveux d’or : « C’est la femme qui a le plus vécu sa vie au Moyen-Orient, tout en restant honnête et authentique. Ils lui ont voulu une fin triste et malheureuse, ils ont espéré la voir punie. Mais en 90 ans, elle n’a fait que le bien. Si elle n’avait pas été aussi généreuse, elle aurait été richissime. »

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Mariée à dix reprises, elle a confié sans hypocrisie aimer les hommes et assumé fièrement son désir de plaire. Cette liberté et cette presque insouciance rafraîchissante que peu de femmes de la région, à cette époque, ont osé avoir, fait de la Chahroura une figure avant-gardiste. L’acceptation du public arabe envers le parcours privé, les relations et les séparations de Sabah, qui n’ont rien de traditionnel, confirment leur attachement et leur fascination envers celle qui a toujours ouvertement évoqué ses combats, sa solitude et ses craintes. Une façon pour elle de se rendre plus accessible et plus transparente. « J’ai été très courageuse dans ma vie. J’ai tout décidé moi-même et je n’en fais qu’à ma tête. On ne vit qu’une seule fois », confiait-elle à L’Orient-Le Jour en 2001. Cette rage de vivre et cette vivacité d’esprit ont fait de celle qui restera « la petite Jeannette de Bdadoun » une proie facile pour les médias et les tabloïds. Trop généreuse, trop populaire, trop naïve, elle a subi les foudres d’un système cruel pouvant vite devenir destructeur.

Feyrouz et Sabah ont toujours été comparées, plus souvent pour leurs différences que leurs points communs. Outre leur style divergent, la première n’accorde pratiquement pas d’interviews, se fait discrète et tient à rester inaccessible. La seconde était très médiatique, jouait de ses relations avec les diverses personnalités télévisuelles des années 2000 et acceptait volontiers de se plier au jeu de l’interview racoleuse. En Feyrouz, on retrouve la mélancolie, la tristesse et la voix nostalgique d’une interprète discrète et fidèle à son image mystérieuse. Sabah, qualifiée de personnalité préférée des Libanais, un mandat à vie dont elle était fière, incarne l’exubérance, sans jamais tomber dans la vulgarité. À l’apogée du nouveau millénaire, alors qu’elle sait que sa carrière est désormais derrière elle, consciente de son statut privilégié et de son potentiel sympathie, Sabah n’a jamais souhaité quitter le show-business et ses lumières.

Si la diva cultive son image à l’extrême, la dramaturgie autour de son histoire fait aussi partie du mythe et Sabah en est le parfait exemple. Elle a vécu libre, une âme généreuse et orientée vers ceux dans le besoin. Malheureuse en amour, incomprise par ses propres enfants, pas assez reconnue par l’État libanais, elle partira discrètement, ruinée et entièrement dépendante de certains. Des artistes, quelques rares personnalités politiques et têtes couronnées qui ont tenté, généreusement et discrètement, d’accompagner la Sabbouha, devenue frêle, jusqu’à son dernier souffle.

Googoosh en concert en 2022. Photo Hamid Moslehi tirée de la page instagram@googoosh

Googoosh, symbole de l’Iran libre

Le modèle le plus représentatif de la diva reste sans doute la chanteuse iranienne Googoosh, Faegheh Atashin de son vrai nom. Icône culturelle qui transcende les décennies, elle a connu le sommet de sa gloire au début des années 1970 avant d’être confrontée aux idéologies de la révolution iranienne de 1979 interdisant aux femmes de se produire sur scène. « J’ai dû accepter de dire au revoir à Googoosh contre mon gré. D’abord confinée chez moi et inconsciente du danger à venir, j’ai ensuite vu la guerre de mes propres yeux », confiera-t-elle dans un documentaire intitulé Twenty-One, retraçant ses années « d’exil de soi ». Idole d’une jeunesse autrefois affranchie, Googoosh s’est enfermée dans un silence forcé pendant de longues années, sera privée de passeport et d’une liberté de parole jusqu’en 2000 où elle réussit enfin à quitter l’Iran pour le continent américain. C’est en larmes qu’elle effectue un retour fracassant sur le devant de la scène avec une tournée qu’elle inaugurera à Toronto devant 12 000 fans nostalgiques d’une ère libertaire désormais lointaine. Jadis une référence hippie adorée par la génération nonchalamment bohème des seventies, sa musique et les thèmes abordés dans ses textes restent dans l’imaginaire collectif de la majorité des Iraniens, comme une ode indémodable à la liberté tant elle est toujours d’actualité. Alliée de la cause LGBTQ+, alors qu’en Iran l’homosexualité est condamnable de la peine de mort, féministe avant l’heure, elle dédie plusieurs titres au courage et à la détermination de celles et de ceux forcés de vivre en marge d’une société qui ne veut pas d’eux.

Googoosh en concert en 2021. Photo Nazanine Ram tirée de la page Instagram@googoosh

Avec ses longs cheveux blonds qu’elle n’a jamais couverts, l’exilée iranienne la plus célèbre du monde de la pop ne cache pas son soutien au récent soulèvement historique de sa population face à l’oppression d’un régime archaïque et défaillant : « Je suis fière des femmes qui manifestent leur colère dans la rue. Je veux dire aux citoyennes de mon pays : ne vous résignez pas », dit-elle au micro de Christiane Amanpour sur CNN en octobre 2022. Représentante d’une communauté iranienne éparpillée dans les quatre coins du globe, elle s’efforce de continuer à chanter en langue farsi « parce qu’elle se perd », dit-elle, parce que la nouvelle génération qui n’a connu que l’Occident se doit de faire face à son histoire et à son héritage. Cela prouve une nouvelle fois la symbolique de la diva, l’importance qu’elle peut avoir dans la diaspora et sa forte représentativité identitaire. De Los Angeles à Dubaï, elle continue, à 72 ans, à remplir les stades et les plus grandes salles de concert, une façon de compenser 21 années de soumission et de mutisme contraint. La barrière de la langue fait que la diva perse au charisme magnétique est moins reconnue que certaines de ses consœurs dans la région, mais le courage et la détermination de la chanteuse font néanmoins de son vécu un récit médiatique attrayant.

Si la nouvelle génération contestataire érige ses titres tels des hymnes à la gloire d’un possible renouveau, celle qui a connu l’Iran glorieux écoute cette voix mature retenir la mélancolie de leur jeunesse. Parce que Googoosh, pendant de longues années, a incarné à elle seule la résistance d’un peuple face à un régime barbare et indéfendable. Femme, engagée, divorcée, libre... de quoi terrifier les hommes les plus insécurisés de sa nation.

Les parcours de ces trois personnalités reflètent les lentes évolutions sociétales dans la région moyen-orientale. Sherihan, Sabah et Googoosh ont mis leur notoriété au service des causes qui reflètent bien les combats de la seconde moitié du XXe siècle et qui restent pour beaucoup toujours d’actualité. Face à l’intolérance, les divas, plus que jamais, symbolisent la résistance culturelle face à la montée des extrêmes dans le monde.

En Orient où les inégalités sont nombreuses et où l’injustice règne en maître, les divas, ces personnalités majoritairement féminines du monde des arts et de la scène, représentent une lueur d’espoir pour bon nombre de femmes et de communautés marginalisées. Figures engagées, elles défient les codes de sociétés orientales dictés par le respect de la religion et des bonnes...

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On ne site pas Fayrouz parmi les autres .Fayrouz à elle seule représente un mythe et un cas unique dans le monde.

G M

12 h 28, le 28 décembre 2022

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Commentaires (1)

  • On ne site pas Fayrouz parmi les autres .Fayrouz à elle seule représente un mythe et un cas unique dans le monde.

    G M

    12 h 28, le 28 décembre 2022

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