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Culture - Quoi qu’on en lise

Le portrait d’un homme libre qui fera trembler le Kremlin

« Moscou-sur-Vodka » est l’histoire d’une soûlerie colossale dans un train qui mène de Moscou à Pétouchki. Roman non autorisé en URSS, il circulait en samizdat dans les années 70. Il est devenu depuis le livre de chevet de milliers de lecteurs dans le monde. En ces temps de guerre russo-ukrainienne, il est bon de s’y replonger.

Le portrait d’un homme libre qui fera trembler le Kremlin

Vénédict Erofeiev. Photo DR

J’ai un petit cousin que je surnomme Pavlov, mais dont le vrai prénom est Pablo. Pavlov, c’est son nom de scène, de futur artiste. Ses parents lui ont toujours demandé de « ne surtout pas faire comme son grand cousin », ce qu’il a minutieusement respecté. Il est devenu serveur dans un bar (manager est son vrai poste mais chut, il ne faut pas le dire à son père, mon oncle que j’aime, qui comme beaucoup d’intellectuels de gauche ne valident pas certains métiers pour leurs enfants). On déjeune souvent ensemble avec Pavlov, j’essaie de le convaincre de jouer mon double, de devenir mon Émile Ajar, ce qui l’amuse vraiment. Il en a surtout assez d’être manager d’un bar. « Ce n’est pas une vie, me dit-il, je ne peux plus voir aucun de mes amis. » Alors tandis qu’on tergiversait à propos de son avenir, je lui ai conseillé de partir en Russie avec son appareil photo (Pavlov veut être photographe ou écrivain, il ne sait pas, enfin c’est pareil, il veut recréer un monde, son monde) et de réaliser un reportage sur les jeunes de son âge là-bas. Comment vivent-ils cette guerre ? Que boivent-ils ? Qu’écoutent-ils comme musique ?

Comment s’habillent-ils ? Avec qui font-ils l’amour ? Ce sont ces images, ce récit que j’aurais envie de voir dans une exposition sur cette guerre russo-ukrainienne. À mon retour du déjeuner, je me suis souvenu n’avoir pas terminé Moscou-sur-Vodka de Vénédict Erofeiev (aussi l’auteur du grand Mon Lénine de poche). J’avais aimé le titre de ce livre que j’ai trouvé d’occasion au moment où Beyrouth-sur-Seine venait tout juste d’arriver en librairie, ravi d’avoir découvert ce titre après et non avant la sortie du mien. Roman non autorisé, Moscou-sur-Vodka a été publié dans les années 70 et a circulé en « samizdat » (publication circulant clandestinement et critiquant les autorités dans les pays du bloc soviétique, NDLR) en URSS. Il est devenu depuis le livre de chevet de milliers de lecteurs dans le monde. Albin Michel le publia notamment en français en 1976. Moscou-sur-Vodka, c’est le film Drunk de Thomas Vinterberg avant l’heure, c’est l’histoire d’une soûlerie sans fin dans un train qui mène de Moscou à Pétouchki, c’est la vie d’un homme, Vénédict, désabusé par le monde, qui décide de se réfugier dans l’alcool et de boire à en perdre haleine. « Tous les hommes de valeur, en Russie, tous les gens utiles au pays buvaient comme des trous. Tous les gens honnêtes en Russie buvaient. Et pourquoi buvaient-ils ? Ils buvaient de désespoir. Ils buvaient parce qu’ils étaient honnêtes. Parce qu’ils n’étaient pas en mesure d’améliorer la condition du peuple… » Vénédict ponctue chaque événement par : « Et sur ce je bus ! »

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Le ciel parle à Vénédict, les anges aussi et Vénédict nous parle à nous, pauvres hommes, qui n’en voulons pas du pouvoir : « Si seulement le monde entier, si chacun en ce monde était comme moi maintenant, écrit-il, docile et pusillanime, incertain de tout, de soi, de la place qu’il occupe sous le soleil, comme ce serait bien ! Finis les enthousiasmes et les exploits, finie l’abnégation ! Partout la lâcheté. Je serais d’accord pour vivre sur terre si l’on m’indiquait un endroit où l’on se fiche bien des exploits. » Lorsque Pavlov ira réaliser son reportage, il tombera sans aucun doute sur un Vénédikt d’aujourd’hui à Moscou. Il tirera le plus beau portrait de cet homme dont la photographie et le regard feront trembler le Kremlin. Rien n’effraie plus le pouvoir que les hommes libres qui n’ont plus rien à perdre. Et mon oncle sera ravi, car Pavlov, son fils, n’aura pas fait comme son cousin, il aura fait bien mieux.

« Moscou-sur-Vodka » de Vénédict Erofeiev, Albin Michel.

Pour aller plus loin : « Mon Lénine de poche » de Vénédict Erofeiev, Les éditions de l’Anatolia.

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