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Culture - Quoi qu’on en lise

Du rouge sur ses lèvres

Il m’a fallu lire « Sur la bouche » de Rebecca Benhamou pour réaliser que le rouge à lèvres allait divinement bien à ma compagne Alma.

Du rouge sur ses lèvres

Dans l’essai « Sur la bouche », Rebecca Benhamou revient sur l’histoire « insolente » du rouge à lèvres en Europe et aux États-Unis. Photo James Startt

Chaque matin, Alma passe quinze minutes à se maquiller devant le miroir. Au début, ça m’agaçait, je lui sortais le refrain que les hommes répètent souvent à leur compagne : « Tu es plus belle sans maquillage. » Elle ne m’écoutait jamais, elle avait surtout des réponses à me donner : « Je suis trop pâle », « Tu n’as pas vu le bouton sur mon menton », « Je dois cacher mes cernes ». Le seul produit qu’elle ne badigeonne plus sur son visage, c’est du rouge à lèvres. Je me suis permis un jour de lui dire que cela ne lui allait pas. Le lendemain, elle les a tous jetés : le rouge, le marron et le noir, et elle ne m’a pas parlé pendant une semaine. Depuis, nous ne sommes plus jamais revenus sur ce sujet, il y a certains tiroirs qu’il vaut mieux ne pas rouvrir. Les grands-mères de l’écrivaine et journaliste Rebecca Benhamou, elles, ne lésinaient pas sur le rouge à lèvres : « Pour ma grand-mère maternelle, le pigment était mat, contenu dans un étui doré et cylindrique, appliqué avec la plus grande précision, face au miroir, juste avant qu’elle ne vaporise, sur sa coiffure bombée, une laque dont je reconnaîtrais le parfum entre mille. Le rouge de ma grand-mère paternelle, lui, était aussi vif que son caractère. D’autres femmes de mon enfance se peignaient les lèvres comme on enfile un uniforme quotidien (…) je les observais toutes avec un mélange de curiosité et de fascination. »

Dans son essai Sur la bouche, Rebecca Benhamou revient sur l’histoire « insolente » du rouge à lèvres en Europe et aux États-Unis. Symbole à la fois de l’émancipation des femmes et de leur soumission à des canons de beauté, l’écrivaine affirme que cet accessoire « dit, d’une certaine manière, toujours tout et son contraire, presque simultanément », un accessoire que l’on ne peut donc qu’aimer. « De droite, de gauche, féministe à ses heures, patriote à d’autres, plébiscité tantôt par la rue, tantôt par les élites, il est aussi conformiste qu’antisystème, bon élève que rebelle. »

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De la fin du XIXe siècle à nos jours, Rebecca Benhamou traverse la grande histoire à travers ce « bâton de rouge » : les deux guerres mondiales, les années folles, le krach boursier de 1929... jusqu’au mandat de Trump. On croise des femmes aux vies romanesques, Victor Margueritte, l’écrivain du livre La Garçonne, publié en 1922, qui raconte « le destin de Monique Lerbier, laquelle mène une vie sexuelle libre, aussi bien avec des hommes qu’avec des femmes ». Vendu à un million d’exemplaires, le livre sera mis à l’index par le Vatican, retiré des librairies Hachette et son auteur se verra retirer sa Légion d’honneur et exclu de son poste de vice-président de la Société des gens de lettres. On croise aussi le destin d’une femme noire aux États-Unis, Madam C.J. Walker, alias Sarah Breedlove (1867-1919), fille d’esclaves devenue millionnaire, la « first female self-made millionaire », coiffeuse et revendeuse de crèmes cosmétiques pour femmes afro-américaines. Rebecca Benhamou rappelle aussi qu’aujourd’hui encore, « le rouge à lèvres devient un porte-voix pour les minorités restées trop longuement dans l’ombre ». Elle cite notamment une journaliste d’origine philippine, Danielle Odiamar : « Jusqu’à récemment, j’avais tendance à garder mes distances avec le rouge à lèvres (…) car j’avais le sentiment de ne pas faire partie du petit groupe qui en met et pour qui il est perçu comme un emblème de puissance et de beauté. » Tandis qu’Alma se maquillait derrière moi, je me suis souvenu qu’elle aurait voulu être peintre et qu’au fond, ce qu’elle faisait chaque jour, c’était retoucher le plus beau des tableaux, son visage. Je me suis retourné vers elle et j’ai osé dire : « Tu ne trouves pas qu’il manque un peu de rouge sur ta toile ? »

« Sur la bouche », une histoire insolente du rouge à lèvres de Rebecca Benhamou, Premier Parallèle.

Écrivain, journaliste, photographe et commissaire d’exposition, Sabyl Ghoussoub a sorti le 24 août dernier son troisième roman « Beyrouth-sur-Seine » aux éditions Stock, qui figure sur la première sélection du prix Goncourt. Il a publié auparavant de deux autres romans aux éditions de l’Antilope : « Le nez juif » et « Beyrouth entre parenthèses ».

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