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Nos Lecteurs ont la Parole

« Casse-teste »

Ce texte qui relève des sciences politiques est par définition subjectif. Tout commentaire sera gracieusement revu.

Étymologie du mot casse-tête selon le Dictionnaire de l’Académie française : « casse-teste » serait « un vin qui monte à la tête », première utilisation du mot au XVIIIe siècle.

Pourquoi le Liban est-il un État ingouvernable et en faillite ? Les points de vue sont multiples.

Le premier argument est l’incohérence d’un peuple à valeurs opposées. Avec neuf mohafazats (ou provinces : Beyrouth, Nord, Sud, Mont-Liban, Jbeil/Kesrouan, Békaa, Akaar, Baalback/Hermel, Nabatiyé), vingt-six cazas (communes), dix-huit confessions, plus de mille municipalités, près de mille cinq cents villages, plus de trente partis politiques et plusieurs langues enseignées sur un territoire de dix mille mètres carrés, la question est pertinente. Frontières de presque 400 km avec la Syrie, 80 km avec l’État hébreux et 190 km de côte méditerranéenne, il y a de quoi se préoccuper. L’argument contraire est pourtant présent. La Confédération helvétique, la Suisse, à laquelle le Liban fut tellement comparée, se constitue de vingt-six cantons, trois mille communes et reconnaît quatre langues officielles : le français, l’allemand, l’italien et le romanche. De par leur histoire, les Helvètes n’ont guère eu un passé paisible, bien au contraire. Ce pays qui incarne aujourd’hui la paix et la neutralité est passé par des périodes sanglantes au temps des Habsbourg, pour être finalement unifié sous une fédération gouvernée par un gouvernement centrale (la Commission).

Le deuxième argument est la thèse de l’inconstitutionalité des milices armées, « la prise en otage » du Liban par le Hezbollah, parti fondé sur l’islam chiite (dans laquelle la chéhada – se sacrifier en luttant – est une valeur centrale), doté d’un arsenal militaire redoutable, bien supérieur à celui de l’État Libanais. Une armée libanaise que la doctrine absurde de « la force dans la faiblesse » a rendue totalement caduque face aux technologies militaires de pointe, et qui a permis toutes sortes d’ingérences étrangères ainsi que la formation d’innombrables milices en dehors du contrôle de l’État. Les accords de Taëf signés en 1989 interdisent clairement l’existence de telles milices en dehors du monopole de l’État. Le texte est précis. L’autre élément majeur est que la légitimité de la mouqawama (résistance) est reconnue par de multiples déclarations gouvernementales, une coutume devenue constitutionnelle qui accompagne la formation de tout nouveau gouvernement, et est approuvée par le Parlement lors du vote de confiance. D’où la controverse légale, au plus haut niveau, des politologues optant pour le respect strict de la Constitution, tandis que d’autres insistent sur « la légitimité » de la résistance contre l’ennemi israélien, même après son retrait des terres libanaises. Une question subjective qui restera sans réponse probablement à jamais.

Il est crucial, pour comprendre la militarisation du Liban, de rappeler les innombrables guerres, internes et externes, qu’a connues le Liban depuis son indépendance en 1943 : 1) la guerre de 1949 contre Israël (le Liban n’ayant pas participé aux guerres arabo-israéliennes de 1967 et de 1973, au nom de la neutralité) ; 2) la guerre civile de 1958, qui a précipité la chute du président Camille Chamoun et permis l’accès au pouvoir du président Fouad Chehab ; 3) la longue guerre civile de 1975-1990, qui ouvre grand les portes aux ingérences extérieures de toutes origines, qui se termine par les accords de Taëf et qui permettra une tutelle complète du régime syrien (inspirée de la doctrine stalinienne du président Hafez el-Assad), une période qui s’étendra jusqu’à 2005 ; 4) l’invasion israélienne de 1982, qui fait des milliers de morts et se termine avec la fin de la présence de l’OLP au Liban, l’assassinat du chef des Forces libanaises, élu président de la République, Bachir Gemayel, ainsi que par les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, invasion qui résulte en l’occupation d’une importante partie du Liban-Sud et en la « véritable » naissance du Hezbollah. Ensuite bien sûr 5) la libération complète du Liban-Sud en l’an 2000 suite à d’intenses attaques contre les forces israéliennes par le Hezbollah, les forçant à un retrait jusqu’à la frontière sud du Liban, pour culminer avec 6) l’invasion échouée du Liban par l’armée israélienne en 2006, une défaite historique que l’État hébreu ne cesse d’analyser pour en trouver les causes, et enfin 7) la guerre éclair interne de mai 2008 qui aboutit sur l’entente de Doha, au Qatar. Toute cette dissertation pour faire rejaillir la tradition militante du peuple libanais, toujours prêt à s’organiser en milices, soit pour des causes internes, soit pour résister contre une occupation quelconque, depuis le temps des Ottomans.

Le troisième et dernier argument est le système politique « bâtard » créé par les accords de Taëf. Bien que ces accords donnent clairement le leadership exécutif au Premier ministre, en réalité il aboutit à un système de la fameuse «troïka », c’est-à-dire un régime politique où chacun des trois présidents, de l’exécutif et du législatif, pourrait éventuellement s’arroger des pouvoirs de droit importants, selon la personnalité de l’élu. Par exemple, le président Rafic Hariri réussira à dominer la scène politique depuis 1992 jusqu’à son décès en 2005. Pendant son « règne », des personnalités de la finance privée sont désignées aux plus hautes fonctions de l’État, Fouad Siniora au ministère des Finances et Riad Salamé à la tête de la banque centrale par exemple. Les performances de ces personnes-clés sont évidemment controversées, pour dire le minimum sur leurs tracés étatiques. En réalité, une corruption financière est généralisée au sommet de l’État, à laquelle participeront presque toutes les parties, soit au pouvoir, soit « les proches », en incluant le rôle majeur des multiples banques du secteur privé qui trouvent une opportunité inespérée pour s’enrichir illégalement. Une collaboration digne des sociétés les plus secrètes de l’histoire est engagée, et qui produira le pire effondrement économique du Liban. Sur ce point précis, la controverse se dissipe, avec des scandales de grande ampleur. Pour conclure, il est souhaitable d’admettre que la tradition militante du peuple libanais est ancrée dans sa culture. L’autre conclusion est de constater que tandis que les Constitutions sont suprêmes, le droit à la légitime défense l’est aussi bien. En troisième lieu, il est vrai que le Liban est un petit pays, mais grand en même temps, au sens figuré du terme. Enfin, les accords de Taëf de 1989 ont failli et un nouveau système politique est devenu une urgence. L’effort requis pour que le Liban revoie le jour est colossal. Vivre dans l’illusion qu’une nouvelle personnalité unique, même hautement qualifiée, pourrait éradiquer les problèmes du Liban mènera probablement à une déception. Les problèmes sont trop complexes et seul un travail astucieux d’une équipe réaliste et expérimentée pourrait réussir dans cette mission presque impossible. Revoir le passé et le juger méticuleusement est un devoir. Si l’on ne s’accorde pas sur le passé, on ne pourra jamais gérer l’avenir. « Casse-teste » pour casse-tête, on laissera l’histoire dire son dernier mot.


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Ce texte qui relève des sciences politiques est par définition subjectif. Tout commentaire sera gracieusement revu.Étymologie du mot casse-tête selon le Dictionnaire de l’Académie française : « casse-teste » serait « un vin qui monte à la tête », première utilisation du mot au XVIIIe siècle. Pourquoi le Liban est-il un État ingouvernable et en...

commentaires (1)

Très, très intéressant ce qui m’a beaucoup frappé c’est le no. 4 , l’invasion israélienne , l’assassina de Bechir Gemayel et surtout la naissance du Hezbollah le cancer

Eleni Caridopoulou

22 h 10, le 21 décembre 2022

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Commentaires (1)

  • Très, très intéressant ce qui m’a beaucoup frappé c’est le no. 4 , l’invasion israélienne , l’assassina de Bechir Gemayel et surtout la naissance du Hezbollah le cancer

    Eleni Caridopoulou

    22 h 10, le 21 décembre 2022

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