
Le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil lors d’une conférence de presse tenue hier à l’issue de la réunion hebdomadaire du bloc du Liban fort. Photo tirée du site tayyar.org
« Aujourd’hui, nous sommes plus proches des Forces libanaises que du Hezbollah… » Cette déclaration d’un ancien député du Courant patriotique libre illustre parfaitement la colère des aounistes après la réunion du Conseil des ministres controversée tenue au Sérail lundi. Le parti de Gebran Bassil estime en effet qu’en convoquant cette réunion, le Premier ministre sortant Nagib Mikati a outrepassé ses prégoratives et empiété sur celles du président de la République, alors que le pays traverse un vide au niveau de la magistrature suprême. Si le Hezbollah n’a pas soutenu les appels au boycott lancés par le CPL, les FL, grands rivaux des aounistes sur la scène chrétienne (et ennemis jurés du Hezbollah), se sont joints aux protestations sur la tenue de la séance. Alors que les relations du chef du CPL avec le parti de Dieu se refroidissent de jour en jour, M. Bassil pourrait-il ressusciter l’accord de Meerab (conclu entre les deux formations en 2016 et à la faveur duquel Michel Aoun avait été élu président), d’autant que Samir Geagea partage son opposition à l’arrivée de Sleiman Frangié, favori du Hezbollah, au sommet de l’État ?
Sans partenaire chrétien
« Si les FL avaient des ministres dans ce gouvernement, nous n’aurions pas assisté à ce Conseil des ministres », affirme Charles Jabbour, porte-parole du parti de Samir Geagea. Le CPL avait lui aussi appelé les membres du gouvernement qui lui sont proches à boycotter la séance, dans l’espoir de provoquer un défaut de quorum. En vain, Georges Bouchikian, le ministre de l’Industrie affilié au Tachnag (un allié proche des aounistes), ayant fini par assurer la présence des deux tiers des ministres. « Toutefois, cela ne signifie pas que nous avons les mêmes motivations que les aounistes, nuance Charles Jabbour. Eux refusent d’assister à n’importe quelle réunion du gouvernement pour des motivations politiques, dans le cadre d’un bras de fer avec Nagib Mikati. Alors que nous, nous respectons la Constitution qui permet au Premier ministre sortant de réunir un Conseil des ministres pour les questions urgentes, autour d’un ordre du jour restreint de deux ou trois points, maintenant la priorité à l’élection d’un président au plus vite. »
Toutefois, le CPL voit d’un bon œil la position de son rival chrétien. « Il était temps que les FL expriment leur refus de la situation actuelle qui se résume ainsi : Nagib Mikati et Nabih Berry (président de la Chambre, NDLR) veulent gouverner seuls, sans un partenaire chrétien », affirme le membre du courant aouniste. Et de poursuivre: « D’ailleurs, l’Église maronite et les Kataëb partagent aussi notre point de vue. » En effet, le patriarche Béchara Raï avait désapprouvé la tenue d’un Conseil des ministres, appelant dans son homélie de dimanche Nagib Mikati à « rectifier le tir ». « Le pays ne peut supporter de nouvelles dissensions confessionnelles », avait ajouté le chef de l’Église maronite.
Vengeance dans les urnes ?
Cet alignement entre les rivaux chrétiens aura-t-il des répercussions sur l’élection présidentielle, la neuvième séance électorale au Parlement étant prévue pour jeudi ? « L’élection du chef de l’État est avant tout une échéance chrétienne », précise le membre du CPL. Et d’abonder : « Si avec les FL nous nous mettions d’accord sur un candidat, personne ne pourra rien faire pour nous empêcher de l’élire. D’ailleurs, Gebran Bassil avait déjà tendu la main à Samir Geagea très tôt, lui proposant un compromis autour d’une candidature tierce. » Une déclaration qui intervient alors que le courant orange veut tout faire pour mettre des bâtons dans les roues à Sleiman Frangié. Le zaïm de Zghorta est en effet le candidat préféré du tandem chiite Amal-Hezbollah, au grand dam de Gebran Bassil. Ce dernier est plus représentatif des chrétiens (son bloc compte 19 députés, contre quatre pour le bloc proche de Sleiman Frangié), et estime avoir son mot à dire.
Le chef du CPL cherchera-t-il à se venger dans les urnes ? « Nous pensons que ce qui s’est passé ne doit pas être sans conséquences, et le niveau de coordination avec le Hezbollah sera revu à la baisse », menace le cadre aouniste, qui accuse le tandem chiite d’être derrière la prolongation du vide au sommet de l’État. « Nous votons blanc parce que nous n’avons pas de candidat. Eux votent blanc pour nous imposer Sleiman Frangié comme unique sortie possible », dénonce-t-il. Mais du côté des FL, on dit refuser cette main tendue. « Nous coordonnons exclusivement avec l’opposition et ne comptons pas négocier avec le CPL », affirme Charles Jabbour, précisant que son parti est attaché à la candidature de Michel Moawad, député de Zghorta porté par le camp hostile au Hezbollah et considéré comme un candidat de défi par ce dernier. « Nous ne pouvons pas négocier avec le CPL simplement parce que nous avons une vision différente. Eux sont clairement affiliés au camp pro-Hezbollah, nous voulons la construction de l’État », abonde Razi Hajj, député FL du Metn. « Un front commun paraît difficilement envisageable à ce stade, les FL veulent capitaliser sur leur statut de premiers opposants au régime en place, notamment depuis leur score aux élections de mai dernier, estime le politologue Karim Mufti. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y aura aucune coordination entre ces deux acteurs sur d’autres questions ponctuelles à l’avenir. » D’ailleurs, les formations chrétiennes (le CPL, les FL et les Kataëb) ont réussi à torpiller la session parlementaire qui était prévue aujourd’hui pour discuter des allégations de corruption dans le secteur des télécommunications. Les trois groupes ont annoncé leur boycott de la séance, la qualifiant d’« anticonstitutionnelle » sans président élu. Ce qui a contraint le président de la Chambre à revoir ses calculs.
La séance parlementaire d’aujourd’hui reportée à la suite du boycott chrétien
La séance parlementaire qui était initialement prévue aujourd’hui pour discuter de l’épineuse question des allégations de corruption dans le secteur des télécommunications a été reportée, a annoncé hier le bureau du président du Parlement, Nabih Berry, dans un communiqué. Cette décision intervient après que plusieurs députés, notamment ceux des groupes parlementaires des Kataëb, des Forces libanaises, mais aussi du Courant patriotique libre, ont annoncé leur intention de boycotter la réunion. La session a donc été reportée après que le bureau du Parlement « a souhaité que (le président de la Chambre) ouvre la voie à la participation de la majorité de l’Assemblée générale », selon le communiqué. Plus tôt dans la journée, les députés FL, Ghassan Hasbani et Élias Stephan, ont annoncé que leur parti boycotterait la séance. L’ancien vice-Premier ministre, Ghassan Hasbani, a justifié ce boycott en affirmant que toutes les séances parlementaires devraient être consacrées à l’élection d’un président, l’Assemblée étant considérée comme un collège électoral. Le parti Kataëb de Samy Gemayel a également annoncé, dans un communiqué, qu’il boycotterait la session, qu’il a qualifiée d’« inconstitutionnelle » sans président élu. Les Kataëb s’étaient également retirés d’une précédente séance parlementaire, début novembre, qui avait examiné une lettre de l’ancien président Michel Aoun concernant la démission du gouvernement sortant. Dans l’après-midi, le chef du CPL, Gebran Bassil, s’est joint aux FL et aux Kataëb, annonçant lors d’une conférence de presse que sa formation ne se présentera pas au Parlement « s’il n’y a pas une urgence nationale qui nous dépasse à tous ».
Triste fin pour le CPL qui a été le plus grand bloc chrétien et qui aurait pû rétablir l’autorité de l’Etat mais qui a préféré faire volte-face et couvrir la milice sectaire illégale par simple opportunisme politicien. Bassil aujourd’hui supplie tout le monde de prendre la main qu’il tend mais peine perdue. Le CPL est hors jeu et n’a plus aucune crédibilité. Le malheur c’est que ce sont les honnêtes gens qui en paient le prix.
08 h 14, le 08 décembre 2022