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Société - Polémique

À Tripoli, un conseil municipal à deux têtes

Élu président de la municipalité en 2019, déchu par un retrait de confiance en août dernier, Riad Yamak a été réhabilité par le Conseil d’État il y a vingt jours. Élu entre-temps, Ahmad Kamareddine se considère quant à lui comme le président en titre.

À Tripoli, un conseil municipal à deux têtes

Plusieurs membres du conseil municipal de Tripoli autour du mohafez du Liban-Nord. Photo d’archives

À l’heure où leur ville subit les graves soubresauts de la crise socio-économique, il ne manquait plus aux Tripolitains que de se retrouver au milieu de tiraillements entre deux présidents de municipalité proclamant chacun sa légitimité. Dans les faits, Riad Yamak, élu à la tête du conseil municipal en 2019 puis déchu le 1er août dernier par un retrait de confiance du même conseil, a été réhabilité le 26 octobre par le Conseil d’État (CE) à travers un jugement de sursis à exécution de ce vote de défiance. Entre-temps, Ahmad Kamareddine, président du conseil municipal entre 2016 et 2019, lui aussi destitué par un retrait de confiance à l’époque, a été élu le 19 octobre et refuse désormais de quitter son poste. La décision du CE fait suite à un recours présenté par M. Yamak contre la convocation, par le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, autorité de tutelle des municipalités, et par le mohafez du Liban-Nord Ramzi Nohra, des membres du conseil municipal pour la tenue de cette séance qui avait abouti à un vote de défiance contre lui. La bataille entre les deux présidents de municipalité se déroule sur fond d’accusations de corruption et de mauvaise gestion lancées contre M. Yamak, des accusations qui avaient également mené à la destitution de M. Kamareddine en 2019.

Pour mémoire

Kamareddine élu président du conseil municipal de Tripoli

Riad Yamak, qui se dit indépendant, et Ramzi Nohra, proche du Courant patriotique libre (CPL), n’en sont pas à leur premier bras de fer politique. En février 2021, lorsque la thaoura était à son apogée, ils s’étaient opposés lorsque le premier avait été retenu de force par le second dans son bureau après avoir été entendu dans le cadre d’une enquête administrative sur la mise à feu du palais municipal par des contestataires. M. Nohra accusait M. Yamak de ne pas avoir mobilisé la police municipale pour qu’elle pare l’attaque, tandis que ce dernier affirmait que les agents municipaux n’avaient pas les moyens de le faire puisqu’ils n’ont pas le droit d’user de leurs armes.

Quel effet du jugement du CE ?

Le conseil municipal se retrouve donc avec deux présidents à sa tête. L’un, confirmé à son poste du fait que le CE a annulé la séance municipale de retrait de confiance, et l’autre, qui continue de présider les séances du conseil municipal du fait que la décision du CE n’a pas encore été exécutée. Il a d’ailleurs convoqué les membres à une séance prévue aujourd’hui, selon une source informée.

« Le ministre de l’Intérieur ne m’a pas notifié de la décision du Conseil d’État », affirme à L’OLJ Ahmad Kamareddine, soulignant que « celle-ci n’est donc pas exécutoire ». « Le ministre n’a pas de rôle dans la notification du jugement du CE », rétorque Naoufal Abboud, avocat de Riad Yamak, affirmant que c’est à la partie gagnante de faire parvenir le jugement au conseil municipal. « Les formalités ont nécessité du temps, et Ahmad Kamareddine devrait être notifié incessamment », indique-t-il.

Face à cette divergence d’avis, L’OLJ a demandé à une responsable de la Direction des municipalités au sein du ministère de l’Intérieur de lui dire quelle est la procédure légale propre à rendre exécutoire un jugement du CE concernant une municipalité. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait pas répondre dans un contexte de litige dans la municipalité. Sollicité à maintes reprises via son attachée de communication, le ministre sortant de l’Intérieur n’a pas non plus été joignable pour répondre à la question.Si le conseil municipal est notifié par l’un ou l’autre moyen, quel serait l’effet du jugement ? « Si Ahmad Kamareddine n’obtempère pas, il sera dans une situation illégale et passible d’une peine allant de trois mois à trois ans de prison », avance l’avocat de Riad Yamak. Il indique que le sursis à exécution du vote de défiance a pour effet de geler ce vote, et donc de ramener les choses telles qu’elles étaient avant que le conseil municipal n’ôte les prérogatives de son client. Autrement dit, celui-ci serait de nouveau à son poste. Pour M. Abboud, l’élection d’Ahmad Kamareddine doit être annulée puisqu’elle s’est produite après le gel du vote de défiance. Quant aux décisions que le conseil municipal a adoptées ou adoptera sous sa houlette, elles devraient également être annulées, à moins que le Conseil d’État rejette dans son jugement définitif le recours de Riad Yamak, ajoute l’avocat. Or, il est extrêmement rare que le CE valide au final une décision pour laquelle il avait ordonné un sursis à exécution, observe-t-il.

« La classe politique corrompue prend toujours le dessus »

Depuis quelques mois déjà, un différend opposait Riad Yamak à plusieurs membres du conseil proches du Premier ministre Nagib Mikati ou du député Achraf Rifi. L’élection de M. Kamareddine a quant à elle nécessité quatre séances, certains membres du conseil ayant voulu faire parvenir à la tête de la municipalité un indépendant, Khaled Tadmouri. Mais celui-ci s’est finalement retiré de la course, et M. Kamareddine a été élu par 11 des 15 membres présents du conseil, formé de 20 membres.

Pour mémoire

Au conseil municipal de Tripoli, le président fait l’unanimité contre lui

Khaled Tadmouri raconte à L’OLJ les circonstances troubles dans lesquelles le scrutin a eu lieu. « Plusieurs membres du conseil, qui prétendaient vouloir combattre la corruption au sein de la municipalité et désapprouvaient la réélection de M. Kamareddine, s’étaient engagés à mettre un bulletin blanc dans l’urne. Or, seuls quatre, dont moi-même, ont rempli leur engagement », déplore-t-il. « Le résultat a été de remettre la municipalité entre les mains d’un homme qui avait fait preuve de mauvaise gestion et de corruption lors de son premier mandat », commente à cet égard une activiste de la société civile de Tripoli, regrettant que « la caste politique corrompue finisse toujours par reprendre le dessus ». Pour sa part, M. Kamareddine semble fort du score qu’il a obtenu. « Même si le Conseil d’État décide dans son jugement définitif d’annuler mon élection, comment Riad Yamak pourrait-il pratiquement exercer ses fonctions au sein d’un conseil qui lui est en majorité défavorable ? » interroge-t-il.

Marché aux légumes

De son côté, Riad Yamak se dit victime d’une campagne politique. Il raconte que les choses avaient commencé à s’envenimer lorsque sept membres du conseil municipal avaient porté plainte contre lui auprès du ministre sortant de l’Intérieur sur la base d’accusations de gaspillage des deniers publics. « Alors que j’avais moi-même proposé la révision d’un projet municipal immobilier (Abou Samra), qui, à mes yeux, était entaché d’irrégularités au niveau de l’installation de systèmes d’égout et de réseaux électriques, ou encore de vol d’oliviers et de sable qui se trouvaient sur le terrain, M. Maoulaoui m’a déféré au parquet financier », s’indigne M. Yamak. Il souligne qu’après avoir été interrogé à maintes reprises, son dossier s’est avéré « vide ». Interrogée par L’OLJ, une source du parquet nuance toutefois en affirmant que le procureur financier attend encore un rapport que devrait lui faire parvenir après enquête le juge des référés du Liban-Nord.

Riad Yamak est également accusé de corruption dans une affaire d’aides alimentaires à hauteur de trois milliards de livres. « Nous avons distribué plus de 40 000 parts à Tripoli en toute transparence », réplique-t-il à L’OLJ. C’est particulièrement sur un projet de marché aux légumes que s’opposent Riad Yamak et les autres membres du conseil municipal. Ce marché, financé par l’Arabie saoudite et délivré à la municipalité sous le mandat de l’ancien Premier ministre Hassan Diab (septembre 2020-septembre 2021), fait l’objet de calculs clientélistes, affirme l’activiste citée plus haut. Selon elle, Riad Yamak est soutenu dans ce dossier (et d’autres liés à la municipalité) par l’ancien député Fayçal Karamé, tandis que Ahmad Kamareddine est appuyé par le Premier ministre Nagib Mikati. Les élections municipales auraient dû avoir lieu cette année au Liban, mais elles ont été reportées à l’année prochaine en raison de l’impossibilité de tenir deux scrutins, législatif et municipal, à la fois.

À l’heure où leur ville subit les graves soubresauts de la crise socio-économique, il ne manquait plus aux Tripolitains que de se retrouver au milieu de tiraillements entre deux présidents de municipalité proclamant chacun sa légitimité. Dans les faits, Riad Yamak, élu à la tête du conseil municipal en 2019 puis déchu le 1er août dernier par un retrait de confiance du même conseil,...

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Encore une histoire à la con bien digné du mandat écoulé

Lecteur excédé par la censure

10 h 20, le 10 novembre 2022

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Commentaires (2)

  • Encore une histoire à la con bien digné du mandat écoulé

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 20, le 10 novembre 2022

  • Tous des canailles...

    Fadi Chami

    06 h 53, le 10 novembre 2022

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