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Culture - Poésie

« Désaltère » de Ritta Baddoura, une porte à ouvrir doucement

Après « Parler étrangement », un recueil résonant qui lui a valu le prix Max Jacob, la poète et critique littéraire publie « Désaltère », chez L’Arbre à paroles de l’éditeur et écrivain Antoine Wauters. Un recueil intérieur, apaisé. Voilà Ritta Baddoura qui grandit sous nos yeux.

« Désaltère » de Ritta Baddoura, une porte à ouvrir doucement

Ritta Baddoura, l’une des voix poétiques les plus prometteuses de sa génération. Photo DR

Première impression, une poésie d’appartement, de lieux clos, contre arbres et forêts. Des échos de Tranströmer :

« De ce côté un ventilateur laid et blanc

Va de gauche à droite et inversement le cou tendu

Sans trouver ce qu’il cherche. »

Ou encore :

« La télé se tait

L’ordinateur est en veille.

Dans le cri blanc du frigidaire,

Tout dit que c’est dimanche

Pour l’enfant qui dort. »

Puis l’enfant s’invite dans nos vies, et tout change. Ritta Baddoura grandit, étrangère dans un pays étranger.

Née au Liban en 1980, Ritta Baddoura vit et travaille en France depuis 2008. C’est l’une des voix les plus prometteuses de sa génération, auteure de plusieurs recueils, dont l’avant-dernier, Parler étrangement, paru à L’Arbre à paroles, a reçu le prix de poésie Max Jacob. Elle a également un parcours de critique littéraire – avec de remarquables notes de lecture publiées par L’Orient Littéraire, qui la compte dans son comité de rédaction. Elle est aussi chercheuse et psychologue.

Il y a dans Désaltère une mélancolie qui rappelle Schéhadé : celle du déracinement et de l’exil, de la fatigue si commune aux Libanais qui vivent entre deux pays, ne sachant exactement auquel ils appartiennent, et appartenant, « déchirante infortune », aux deux.

Sa poésie, celle des saisons intérieures et extérieures qui « ne concordent pas toujours », est touchante et vraie. Elle cherche moins à plaire qu’à dire, peut-être par antiesthétisme. Elle parle des saisons, des arbres, de la ville, des routes et chemins, des torrents et des retours :

« Et la voix qui l’habite est un torrent

Où nagent la forêt et l’orage. »

Elle dit simplement, et par ruptures pudiques, son bonheur présent et égaré, en choisissant ses mots :

« Personne ne dit entre,

Fais comme chez toi. »

Et encore :

« La main qui guérit colère et douleur

Se nomme amour.

La main qui se pose sur la tête

Se tend depuis l’enfance,

Et ce qui reste de guérir et souffrir

Est une petite fille qui joue. »

« C’est un recueil essentiellement intérieur et il se révèle au fur et à mesure, dans les nuances et l’intériorité », dit l’auteure de Désaltère. « Il y a là un chemin d’apaisement », indique-t-elle. Précieux guide de lecture.

L’œuvre, douce-amère, rappelle un peu le carnet de notes. Parmi les souvenirs, ceux, si pleins d’humour, de la cabine d’essayage chez les couturières ou des armoires et des rangements.

Ritta Baddoura et son mari sont les parents de deux filles âgées de 7 et 2 ans. Elle accompagne « autant que possible » la période complexe que vit le Liban avec, dit-elle, « des passages plus durs, comme pour tous les Libanais ». « Il n’est pas évident d’être loin de mes parents, ma sœur, mes amis, mes proches, dans cette épreuve », précise-t-elle.

« Les portes de la poésie sont singulières et s’ouvrent ou demeurent étrangement closes », dit-elle aussi. Il faut donc doucement pousser la porte de Désaltère :

« Le chat m’en veut.

Citron et thym acidulé,

Des nuits à guetter sur le toit les étoiles, celles qui filent

Loin la moiteur de la ville insomniaque,

Les cris stridents des oiseaux avant l’aube,

Le coq déphasé les aboiements des chiens dans les bruits de fête diffusés par les haut-parleurs du village,

L’invasion du jasmin rappelle les hibiscus sauvages sous la poussière,

La peau de ma mère à travers le reste de parfum et les picotements de la laque,

Tout ce qui est le produit de ses mains et ses mots.

Tu es dans la maison

Le silence et la joie foudroyante de mon père.

Le chat m’en veut et montre ses griffes,

Les draps d’avant sont encore propres et doux,

Tout me rassure et m’inquiète. »

Dans le poème qui clôt le recueil, et qui est comme le répondant de celui que nous venons de citer, Ritta Baddoura, s’adressant à l’une de ses filles, s’identifie à ces plantes rares que l’on trouve chez les fleuristes, commercialisées et vendues en série, loin de leur terre d’origine :

« Nous poussons toutes les deux ici

Sur un sol sous un ciel qui ne sont pas pour nous,

(…) Nous poussons toutes les deux et parlons aux saisons dans notre propre langue,

(…) Toutes deux ici nous vivons. »

Le dessin de couverture du recueil est une création originale de l’artiste plasticien Benjamin Monti, qui crée ses dessins en lisant l’ouvrage et en exprimant ce qu’il en a perçu. Il le fait pour toutes les couvertures de la collection iF dirigée par le romancier et poète Antoine Wauters. « Une chance pour tous les poètes publiés », dit Ritta Baddoura.

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