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Nos Lecteurs ont la Parole

L’impératif et le conditionnel


Entre ces deux modes, la bataille fait rage, peut-être dans le monde entier, mais surtout au Liban. Jusqu’à présent, le conditionnel l’emporte. C’est-à-dire les hypothèses. Il est temps que cette valse à mille temps prenne fin. C’est là où l’impératif s’impose, vu l’urgence.

Au Liban, pour un État frappé par la foudre de la faillite politique et économique, on ne peut que s’évanouir devant l’insouciance des dirigeants qui regardent un peuple être brûlé à vif.

On aurait tout entendu sur les attributs nécessaires d’un chef d’État responsable de guider le peuple vers le salut. Cependant, on oublie que les accords de Taëf, signés par toutes les parties prenantes en 1989, ont bel et bien transféré l’essentiel des responsabilités exécutives à un Premier ministre, désigné par une majorité parlementaire.

Ce changement constitutionnel est un évènement majeur qui établit, dès le début des années 1990, un nouveau régime, qu’on veut bien appeler la deuxième république, et qui s’apparente à un système parlementaire. L’accord de Taëf est régulièrement cité pour de multiples références. On omet souvent de mentionner le point culminant de l’accord qui désigna clairement le Premier ministre comme chef de l’exécutif. Certains politologues et juristes n’ont toujours pas tourné la page : le régime présidentiel instauré par la Constitution de 1926 est obsolète. Depuis l’avènement de cet accord, c’est le Premier ministre qui, en bon premier, est directement responsable devant les élus du peuple.

Dans un Liban écrasé par la double crise économique et politique, la priorité devrait être de trouver le bon leadership. Dans cette deuxième république, c’est donc les qualités individuelles du Premier ministre qui sont primordiales, et non celles de toute autre personnalité. L’histoire aura tort de faire assumer le succès ou la faillite du Liban à un président de la République, dont les pouvoirs ont été soient supprimés, soit de facto étouffés. Il ne s’agit point de défendre un quelconque président. L’enchère égale la plus-value.

À part l’intégrité et l’autorité, un Premier ministre se devrait d’être compétent dans deux domaines particulièrement importants, l’économie et la politique étrangère. Il est temps de reconnaître le lien étroit entre ces deux diplômes, et revoir certains postulats traditionnels.

Sans surprise, sur le plan économique tout comme en politique étrangère, le Liban continue de s’aligner sur les équations théoriques du néolibéralisme, et de la diplomatie néocolonialiste qui en découle. Depuis le début des années 1990, la fonction de Premier ministre devient l’apanage des nouveaux milliardaires, dépourvus de culture économique et d’expérience géopolitique. Que de témoignages à cet égard.

Si l’on tire quelques leçons de la guerre d’Ukraine, il ressort qu’une diversification, économique et diplomatique, est seule capable d’assurer la stabilité à un pays en crise, voire à un continent tout entier, en l’occurrence l’Europe. Les déboires actuels des pays européens, sur les plans économique, politique et social, confirment bien cette thèse.

Concernant le Liban, il serait de bon augure que la gouvernance actuelle remette en question son orientation économique. Pour extraire le Liban de sa crise, la solution n’est pas nécessairement de s’obliger aux conditions du FMI par exemple, une offre controversée par certains économistes qui y voient un subterfuge gouvernemental qui adopte trop vite des solutions aux résultats douteux, et qui exposerait le Liban à un contrôle extérieur quasi certain. La souveraineté, chère à tant de prétendants, est d’abord de nature économique.

Il est dorénavant souhaitable de trouver des solutions « made in Lebanon ». À titre d’exemple, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore la Chine et les États-Unis gèrent leurs crises à travers leurs propres institutions. Au sommet de leurs systèmes, le pouvoir exécutif est le grand responsable. L’expérience de Liz Truss en dit long. En six semaines, son leadership s’effondre suite à un plan de redressement économique qui s’est avéré désastreux. L’histoire républicaine européenne est jalonnée d’exemples de leaders déchus suite à leurs échecs. Même des héros de guerre comme Winston Churchill ou Charles de Gaulle ont dû plier bagage et s’incliner devant leur public.

Poser les priorités économiques, et trouver les solutions créatives et pragmatiques sont seuls capables d’inverser un courant économique qui a failli à chaque épreuve. Catapulter l’économie libanaise vers la croissance est possible. Le gouvernement libanais, l’actuel ou le prochain, devrait puiser dans les ressources libanaises, surtout les ressources humaines, afin de trouver les solutions à long terme. L’incapacité spectaculaire du gouvernement actuel à inverser le cours de l’effondrement devrait produire un nouveau type de leadership pour que le Liban ait une chance de s’en sortir. Ce changement impérieux ne peut advenir que par un remplacement du chef de l’exécutif, c’est-à-dire du Premier ministre actuel. Bizarrement, on ne semble pas s’en préoccuper.

En politique étrangère, c’est la même débâcle. Faute de stratégie astucieuse, le gouvernement actuel insiste à maintenir le Liban dans la lignée du pôle occidental, ignorant l’importance d’une diversification des relations internationales libanaises. Washington, Paris et Riyad sont certes des capitales centrales à toute diplomatie nationale. Cela dit, Pékin, Moscou, Téhéran ou Ankara devraient être inclus en tête de liste afin d’élargir la gamme des pays « amis » du Liban. Une telle diversification est susceptible d’assurer au Liban une autonomie diplomatique solide et une marge de manœuvre plus versatile qu’une politique étrangère figée sur un pôle global unique. Le palais Bustros n’est pas le fief de quelques ambassades. Il n’est pas non plus une institution indépendante de la volonté du chef de l’exécutif, à qui revient la responsabilité de définir et d’exécuter la politique étrangère.

Il se faut un brin de génie pour réinventer un Liban foisonnant économiquement, et autonome diplomatiquement. L’actuel gouvernance n’aura jamais la vision cosmique requise pour actualiser la dimension potentielle du Liban. Il appartient aux Libanais de produire un nouveau type de leadership, pour briser le cercle vicieux dans lequel le pays se trouve. La révolution d’octobre ne mérite pas son nom.

Le génie ne s’invente pas. Il se reproduit. Dans les mêmes conditions, ou sans conditions.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Entre ces deux modes, la bataille fait rage, peut-être dans le monde entier, mais surtout au Liban. Jusqu’à présent, le conditionnel l’emporte. C’est-à-dire les hypothèses. Il est temps que cette valse à mille temps prenne fin. C’est là où l’impératif s’impose, vu l’urgence.Au Liban, pour un État frappé par la foudre de la faillite politique et économique, on...

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