Critiques littéraires

Le bleu, nuance aiguë de l’obscurité

Comment écrire, après Proust, sur la mémoire involontaire ?

Le bleu, nuance aiguë de l’obscurité

Archéologue, fille de l’écrivaine Hoda Barakat et du poète Mohammad Abdallah, Dima Abdallah signe un deuxième roman d’une beauté bouleversante. Dès les premières pages, on assiste au violent passage à l’acte du narrateur qui va littéralement larguer les amarres. Il récure son appartement, met en ordre les robes de sa compagne, Alma, dont il vient d’apprendre le décès, il donne l’impression de réorganiser sa propre vie, mais non. Il sort après une période de réclusion, il quitte son travail, jette sa clé dans le caniveau et part sans se retourner. SDF d’un genre atypique, puisqu’il a de quoi vivre pour un certain temps et refuse de céder au manque d’hygiène, ce qui réclame toute une organisation en soi, il va demander à la rue l’oubli dont sa maison le prive, une mémoire vierge qui lui permette de renaître, ou du moins de parvenir à poursuivre sa vie différemment.

Il va errer dans les environs du cimetière du Père Lachaise où Alma est enterrée, sans pour autant chercher sa tombe. Il va s’organiser pour devenir invisible...

Peut-on aussi facilement fuir ses démons ? Chacune de ces inconnues va réveiller en lui des musiques, des couleurs, des odeurs qui ramènent des souvenirs. La nuit n’est jamais totale, les morts ne sont pas solubles dans les cimetières.

Ce rayon bleu qui trouble l’obscurité désirée n’est qu’une nuance douloureuse du noir. Le bleu fait mal, le bleu nuit (…) Les démons enfouis vont ressusciter l’un après l’autre. Les plus proches d’abord, ramenés par les parfums de la vie, ceux du pain, des croissants, du café torréfié, du linge propre autour des laveries publiques. La mémoire joue les archéologues. Elle dégage une couche pour en révéler une autre, un indice qui va compléter malgré soi l’image qu’on cherche à effacer, un artefact qui va dérouler des histoires enfouies. Petit à petit, les spectres d’une vie antérieure vont déchirer la réconfortante obscurité où le narrateur tente de les enterrer. Croissants amers contre madeleines heureuses, l’auteure oppose à la mémoire sublimée de Proust les maléfices du ressouvenir. Le train de la mémoire peut être infiniment toxique, dépendamment de la marchandise dont ses wagons sont chargés. Ceux du narrateur vont des petits bonheurs de l’enfance, ramenés par ces passantes de hasard, à la violence de la guerre du Liban qu’il n’a fuie que pour ensuite faire semblant de vivre à Paris une vie qui ne lui appartenait sans doute pas.


Bleu nuit de Dima Abdallah, éditions Sabine Wespieser, 2022, 243 p.

Dima Abdallah au festival :

Signature dans « Itinéraire littéraire dans Gemmayzé », samedi 22 octobre de 16h à 18h (Rebirth, Gemmayzé).

« Stories and jukebox » avec Myriam Leroy, Isabelle Wéry, Hyam Yared, Dima Abdallah, présenté par Ysaline Parisis, samedi 29 octobre à 18h30 (Grande Scène, Institut français du Liban).

Archéologue, fille de l’écrivaine Hoda Barakat et du poète Mohammad Abdallah, Dima Abdallah signe un deuxième roman d’une beauté bouleversante. Dès les premières pages, on assiste au violent passage à l’acte du narrateur qui va littéralement larguer les amarres. Il récure son appartement, met en ordre les robes de sa compagne, Alma, dont il vient d’apprendre le décès, il donne...
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