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L'effroyable Livre noir du Béhémoth syrien

L'effroyable Livre noir du Béhémoth syrien

Quelque part en Syrie

Une séparation rigide entre régimes autoritaires et totalitaires risque toujours d'entraîner une attitude d'indulgence camouflée pour les plus sinistres parmi les tyrans, ceux qui réussissent à perpétuer un régime bâti sur le mensonge et la haine sans toutefois disposer des mécanismes de contrôle total sur la population ou pouvoir aspirer à une ingénierie sociale généralisée.

Ainsi, le régime baathiste en Syrie a longtemps profité d'une telle clémence conceptuelle le dépeignant comme un régime autoritaire et sanguinaire, mais capable de garantir la stabilité interne et la rationalité de ses choix comme de ses actions à l'extérieur, faisant mine d'une dictature certainement brutale mais condamnée à rester apprivoisée, pouvant même revêtir un caractère progressiste par rapport à sa propre société considérée plus sujette au tribalisme et plus encline au rigorisme religieux et à l'intolérance de la diversité culturelle.

Le grand intérêt de l'énorme collectif venant de paraître sous le titre Syrie, le pays brûlé sous la houlette d’un comité éditorial composé de Catherine Coquio, Joël Hubrecht, Naïla Mansour et Farouk Mardam-Bey, consiste à saper définitivement les assises même de cette complicité avec le régime syrien dans les milieux académiques et intellectuels en faisant preuve de la nature foncièrement génocidaire de ce qui a été défini par Michel Seurat comme un « régime de terreur permanente ». Un régime qui n'a pas les moyens d'aspirer au totalitarisme pur demeure néanmoins en mesure de traiter le pays qu'il domine comme un camp de concentration, en perpétrant assassinats et massacres, sièges de villes et assainissement démographique. Sous un tel régime, l'emprisonnement de masse devient un archétype d'horreur, destiné à terrifier ceux qui sont encore en dehors des prisons, à l'abri de la torture systématique, mais qui reçoivent autrement la haine que porte les affidés de la meute au pouvoir contre la dignité de la personne humaine.

Le clan à visée dynastique des Assad qui a fait main basse sur l'État en brandissant l'étendard du nationalisme arabe tout en se faufilant derrière un esprit de corps minoritaire et grégaire, ne cherche nullement le consentement de la population et doit sa survie à sa capacité de destruction systématique du corps social, à ses modalités de déstabilisation de toutes les formations sociales, y compris de la communauté alaouite à qui il cherche à faire comprendre que son destin dépend du sort de la famille présidentielle. Simultanément, le régime cultive son sens de l'impunité comme une prédilection, et s'adonne aux genres les plus poussés de cynisme.

« Assad, ou nous brûlons le pays ! » devaient brandir les partisans de cette phobocratie (de φόβος/ phobos qui signifie terreur) quelques semaines avant l'éclatement de l'insurrection populaire de 2011 dans le but d'empêcher - par l'intimidation - toute velléité de rébellion et mettre en garde la population contre la séduction des images diffusées « printemps arabe » qui venaient de se dérouler en Tunisie, Égypte, Lybie, Yémen et Bahreïn. Pourtant, la révolution syrienne a eu lieu, mais aussi la mise en application dans l'intégrale de ce slogan maléfique. Le pays fut effectivement brûlé d'où le nom de cet effroyable livre noir.

Dans son intitulé Béhémoth, Franz Leopold Neumann avait choisi en 1942 de dépeindre la barbarie nazie comme l'expression d'un Non-État chaotique plutôt que d'un État hypertrophié. Cette figure monstrueuse d'origine biblique, le Béhémoth s'impose aussi dans le cas du régime des Assad, à une nuance près : le Béhémoth syrien restait une monocratie jusqu'en 2011, il est devenu une polycratie non souveraine depuis qu'il s'était remis aux Iraniens, aux Russes et leurs consorts pour assurer sa survie au détriment non seulement de la société mais aussi sur les ruines de ce qui restait des institutions étatiques.


Syrie, le pays brûlé (1970-2021). Le livre noir du régime de Assad, dirigé par Catherine Coquio, Joël Hubrecht, Naïla Mansour et Farouk Mardam-Bey, Seuil, 2022, 848 p.

Syrie, le pays brûlé au Festival Beyrouth Livres : Un café avec Farouk Mardam-Bey et Ziad Majed autour de l’ouvrage Syrie, le pays brûlé, dimanche 30 octobre à 18h30 (Café des Lettres).

Une séparation rigide entre régimes autoritaires et totalitaires risque toujours d'entraîner une attitude d'indulgence camouflée pour les plus sinistres parmi les tyrans, ceux qui réussissent à perpétuer un régime bâti sur le mensonge et la haine sans toutefois disposer des mécanismes de contrôle total sur la population ou pouvoir aspirer à une ingénierie sociale généralisée....

commentaires (1)

DANS CETTE SALADE, RUSSE ,AMERICAINE , FRANCAISE ETC. MERCI POUR UNE PAGE SUR L'effroyable Livre noir du Béhémoth ISRAELIEN.....

aliosha

18 h 23, le 22 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • DANS CETTE SALADE, RUSSE ,AMERICAINE , FRANCAISE ETC. MERCI POUR UNE PAGE SUR L'effroyable Livre noir du Béhémoth ISRAELIEN.....

    aliosha

    18 h 23, le 22 octobre 2022

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