La "déception" était palpable lundi pour le 3e anniversaire du mouvement de révolte populaire du 17 octobre 2019. Seules quelques dizaines de personnes se sont rassemblées sur la place des Martyrs, dans le centre-ville de Beyrouth, pour commémorer cet événement connu sous le nom de "thaoura", ou révolution en arabe, à l'appel de plusieurs collectifs.
"Très peu de monde à cause de la crise économique"
Contrairement aux années précédentes, le dispositif sécuritaire mis en place était plutôt léger. Quelques policiers et soldats étaient déployés au moment de ce rassemblement dans le cœur de la capitale qui a été dévasté le 4 août 2020 par la double explosion au port de Beyrouth. L'année dernière également, le rassemblement était déjà timide.
Les manifestants ont installé l'emblème du soulèvement, le poing de la "thaoura", en tissu, sur un échafaudage en métal. Des chants révolutionnaires rythmaient le rassemblement. Des slogans contre l’accord sur la frontière maritime avec Israël ont été brandis sur certaines banderoles.
Jeudi, le président libanais Michel Aoun a annoncé l'approbation par le Liban de la version finale de l'accord sur la délimitation de sa frontière maritime avec Israël, fruit d'un long processus de négociation sous l'égide des États-Unis.
La députée issue de la contestation populaire Najat Aoun Saliba, ainsi que plusieurs autres élus issus de son groupe parlementaire, était présente parmi les manifestants. "Je pense qu’il y a très peu de monde à cause de la crise économique qui ne le permet pas. La politique ne se joue pas que dans la rue, mais aussi au sein des institutions et au Parlement", indique Mme Saliba. "Ce serait génial si la rue pouvait faire pression pour la tenue de l'élection présidentielle parce que nous ne voulons pas de vacance au pouvoir", a-t-elle également dit.
Pour Marc Daou, député également issu de la contestation, "le soulèvement ne peut pas mourir"." C’est un système de valeurs que l’on a pu voir les Libanais exprimer durant les élections législatives par exemple", explique-t-il. Au sujet de l'élection présidentielle, il affirme que "la population devrait se sentir concernée" et qu'il "est important de se mobiliser", alors que le mandat du chef de l'Etat actuel, Michel Aoun, expire le 31 octobre.
Les parlementaires libanais n'ont donc plus que deux semaines pour lui élire un successeur. Lors de la première session électorale du Parlement le 29 septembre, les députés n'ont pas réussi à élire un nouveau président en raison de l'absence de consensus entre les différents partis politiques. Une deuxième session, tenue la semaine dernière, a été ajournée à ce jeudi, faute de quorum.
Les collectifs ont également annoncé une seconde mobilisation pour ce jeudi, parallèlement à la troisième séance du Parlement consacrée à l'élection présidentielle, dénonçant un "spectacle donné par la classe au pouvoir lors de ces séances stériles".
"Déception"
Mohamad, 17 ans, résident de Beyrouth, semble déçu du peu d'ampleur de la participation. "Il y a trois ans, le premier jour, nous étions tous ensemble dans la rue. Depuis, les gens se sont tournés vers leurs zaïms (chefs), vers le communautarisme", regrette ce manifestant. "C'est vraiment triste quand on se souvient des premiers jours", ajoute-t-il. Le 17 octobre 2019, des manifestations sans précédent ont éclaté au Liban, dénonçant la classe politique au pouvoir. Les rassemblements à travers le pays se sont poursuivies pendant plusieurs mois, avant de s'essouffler.
Maggie Nenedjian, 39 ans, journaliste et humanitaire à l'ONG Dafa, dirigée par la députée Paula Yacoubian, qui fait partie des 13 députés issues de la contestation populaire, a déclaré : "Nous avons treize députés qui nous représentent, j'espère que nous en aurons plus aux prochaines élections. La thaoura n'est pas morte. Nous n'avons pas besoin d'être dans la rue pour être rebelles, nous pouvons nous rebeller au sein même de la société". Concernant l'élection d'un nouveau président, Maggie Nenedjian a espéré que le nouveau président "sera à l'image de son peuple".
Egalement présent sur la place des Martyrs , le manifestant Tarek Charaf, 48 ans, affirme que "le mouvement du 17 octobre n'est pas arrivé à sa fin". "C’est une lutte qui s’inscrit sur le long terme, ajoute-t-il. Le peuple libanais doit changer son état d’esprit. Il faut comprendre ce qu’est une bonne politique de gouvernance, la transparence… et se rappeler que les politiciens sont des fonctionnaires au service du peuple".
Sali Hafez, qui a braqué le mois dernier sa propre banque à Achrafieh, armée d'un pistolet factice, a également pris part au rassemblement. Elle avait déclaré que son action contre la Blom Bank visait à obtenir des fonds pour sa sœur, Nancy, atteinte d'un cancer. Les banques libanaises avaient été prises pour cible lors des manifestations du 17 octobre 2019 après avoir imposé un contrôle illégal des capitaux sur les dépôts de la plupart des Libanais tout en permettant le transfert de milliards de dollars à l'étranger pour très peu de comptes, y compris ceux de politiciens de haut rang.
Vers 17h30, les manifestants ont observé une minute de silence en mémoire des "martyrs du 17 octobre". Vers 18h, ils se sont dirigés vers le Parlement, situé un peu plus loin sur la place de l'Etoile, où un porte-parole a lu un communiqué au nom des groupes organisant la manifestation. Les protestataires se sont ensuite dispersés, sans que des heurts ne soient signalés.
En 2019 on pleurait, à larmes abondantes et chaudes, de joie, aujourd'hui une seule larme timide hésite mais s'aventure quand même à couler sur nos joues pour rafraichir cet espoir éternel, que le libanais garde, de construire une Patrie libre et indépendante, dédiée à un avenir de créativité de succès et de joie reflétant l'Esprit du Liban et du Libanais...
18 h 03, le 18 octobre 2022