La journée d’hier a été aussi mouvementée que celle de la veille pour les banques libanaises. Comme l’avait promis lundi le collectif d’avocats Mouttahidoun, des déposants ont mené des opérations coups de poing dans plusieurs agences bancaires du pays pour tenter de récupérer leurs avoirs coincés par les restrictions qui leur ont été imposées depuis le début de la crise.
Une première action a été menée dans une agence de la Banque libanaise pour le commerce (BLC) à Chtaura dans la Békaa par un homme à qui la banque a promis de lui verser 4.300 dollars ; la deuxième dans une branche de la First National Bank (FNB) à Tripoli (Liban-Nord) et une troisième à Tyr (Liban-Nord), dans une agence de la Banque Byblos. À Hazmieh, dans la banlieue de Beyrouth, un homme a, lui, organisé un sit-in dans sa banque pour réclamer une partie de son épargne. Cette nouvelle vague survient près de deux semaines après la série de sept braquages organisés par d’autres déposants en 72 heures, à la suite desquels les banques ont toutes fermé leurs agences, avant de les rouvrir en limitant sévèrement l’accueil de leurs clients. L’Association des déposants a, elle, renouvelé dans un communiqué son appel à former une cellule de crise chargée de trouver une solution à l’affaire dans les meilleurs délais, à défaut de quoi, elle continuera de soutenir des actions identiques à celles menées ces deux derniers jours.
Muette depuis le début de la semaine, l’Association des banques (ABL) a finalement publié un long argumentaire dans lequel elle a une nouvelle fois tenté de relativiser sa responsabilité dans la crise que traverse le pays depuis 2019. L’Association a appelé les déposants à rediriger leur colère contre l’État et ses institutions, notamment la Banque du Liban, dont elle juge le degré de responsabilité plus élevé.
Argent dilapidé
L’ABL fait notamment valoir le fait que l’État et la BDL ont contribué à « dilapider » l’argent des déposants, soulignant que le premier avait aspiré auprès du second pas moins de 62,67 milliards de dollars jusqu’au « 21 juin 2022 ». Une enveloppe imposante qui a été en grande partie dépensée sur la stabilisation de la livre face au dollar pendant plus de deux décennies, le financement des taux d’intérêts élevés ou encore les avances du Trésor à Électricité du Liban (EDL) dont les tarifs sont figés depuis 1994.
« Les banques auraient-elles pu s’opposer aux politiques financières et monétaires décidées par l’État et la BDL ? » s’est aussi interrogée l’ABL dans son communiqué ; avant de répondre elle-même par la négative en mettant notamment en avant le fait que les banques étaient contraintes de placer des devises à la BDL et que leur liberté d’investir à l’étranger était limitée par la réglementation en vigueur. « Ce dernier point est valable », considère une source financière ne souhaitant pas s’exposer pour des raisons professionnelles. Elle explique par exemple que la BDL ne permet pas aux banques d’investir dans des obligations étrangères des montants supérieurs à 50 % de leur capital, entre autres limites.
L’ABL a ensuite estimé dans son argumentaire que les autorités et la BDL avaient les moyens de limiter les conséquences de la crise en adoptant dès les premiers jours une loi instaurant un contrôle formel des capitaux. Elle souligne à cet égard que les réserves de devises sont passées de 33 milliards à fin 2019 à « environ » 10 milliards aujourd’hui, un nombre difficile à vérifier, compte tenu de l’opacité de la banque centrale à ce sujet.
Appât du gain
Pour l’avocat Fouad Debs, cofondateur et membre de l’Union des déposants investie dans la défense des clients lésés par leurs banques, l’argumentaire de l’ABL « ne tient pas la route ».
Il explique d’une part que c’est davantage l’appât du gain que la contrainte imposée par la réglementation qui a poussé certaines banques à déposer « plus de 80 % » de leurs dépôts auprès de la BDL en achetant notamment des bons du Trésor en livres et des eurobonds (titres de dette) en dollars, ou bien même déposer de l’argent à la BDL « au lieu des banques correspondantes pour profiter des taux d’intérêts élevés et distribuer des dividendes et des bonus même pas vus par des banquiers européens ».
La source financière appuie cette interprétation et ajoute : « Quand une partie des banques accepte de placer son argent à la BDL pour bénéficier de taux d’intérêts élevés, les autres enseignes n’ont d’autres choix que de suivre le mouvement, pour ne pas être à la traîne. » Pour résumer, les rendements élevés des placements à la BDL permettaient aux banques de proposer des taux d’intérêts plus élevés pour attirer des dépôts.
L’avocat met également en avant le fait que le secteur bancaire est très lié à la classe dirigeante – actuelle ou ancienne – dont certains membres sont d’ailleurs actionnaires ou membres des conseils d’administration de plusieurs établissements. « La responsabilité est donc partagée », insiste-t-il. L’avocat fait remarquer d’ailleurs que le Premier ministre désigné Nagib Mikati s’est empressé de préciser que le nouveau taux de change officiel, fixé à 15 000 livres pour un dollar au lieu de 1 507,5 et que les autorités prévoient d’imposer graduellement, ne sera pas répercuté sur le bilan des banques, évitant ainsi « qu’une grande partie » d’entre elles ne fasse faillite.
Si Fouad Debs reconnaît le bien-fondé de l’argument de l’ABL consistant à dire que la situation aurait pu être jugulée si une loi instaurant un contrôle formel des capitaux avait été rapidement adoptée, il soutient néanmoins que les dirigeants de certaines banques ont également profité de la zone grise générée par l’absence de réglementation pour transférer leur argent vers l’étranger. Un avantage dont ont profité des « personnalités politiquement exposées », assure-t-il sans citer de nom. Selon lui, les banques ont elles-mêmes refusé toute loi équitable et exhaustive de contrôle des capitaux pour qu’elles puissent continuer à appliquer des mesures discrétionnaires depuis le déclenchement de la crise.
La crise que traverse le Liban est considérée comme l’une des pires du monde depuis 1850 par la Banque mondiale. Cette dernière a reproché à la classe dirigeante d’avoir délibérément laissé la situation empirer, ce qui a fait porter l’essentiel du poids des ajustements réalisés sur le dos de la classe moyenne et des catégories plus défavorisées. Lors d’une courte visite à Beyrouth il y a deux semaines, le Fonds monétaire international a lui manifesté son agacement face aux maigres progrès réalisés dans la mise en œuvre des réformes préalables imposées par l’accord préliminaire annoncé en avril.
LES DEUX ETERNELS COMPLICES ET PARTENAIRES QUI ONT DEVALISE EN GANGSTERS LES ECONOMIES D,UNE VIE DES DEPOSANTS.
10 h 34, le 05 octobre 2022