Couronnées de succès ou non, plusieurs opérations contre des banques ont été menées mardi par des déposants à travers le Liban, au lendemain d'une annonce faite par le collectif d'avocats Mouttahidoun ("Unis" en arabe) d'une série d'actions visant les établissements bancaires, qui bloquent l'accès aux comptes de leurs clients de manière illégale. Une première action a été menée dans une agence de la Banque libanaise pour le commerce (BLC) à Chtaura dans la Békaa par un homme qui n'a pas récupéré un sou; la deuxième dans une branche de la First National Bank (FNB) à Tripoli (Liban-Nord) et une troisième à Tyr, dans une agence de la Banque Byblos. À Hazmieh, dans la banlieue de Beyrouth, un homme a, lui, organisé un sit-in dans sa banque pour réclamer une partie de son épargne.
Ce début de journée rappelle celui du 16 septembre dernier, où cinq braquages de banques par des déposants avaient eu lieu en parallèle au Liban.
Déposant arrêté à Chtaura
À Chtaura, le déposant Ali Sahili a pénétré armé dans sa banque, la branche locale de la BLC, afin de réclamer son épargne de 24.502 dollars, rapporte notre correspondante Sarah Abdallah. L'association Cri des déposants a indiqué à notre correspondante que M. Sahili est un retraité des Forces de sécurité intérieure (FSI), et qu'il "a déjà demandé plusieurs fois à la banque de lui verser 4.300 dollars pour son fils étudiant en Ukraine, qui a été renvoyé de l'université en raison de non-paiement des frais de scolarité et expulsé de son logement".
Selon la chaîne al-Jadeed, un employé de la banque a réussi à soutirer son arme à Ali Sahili et à l'expulser de la banque, sans qu'il ne récupère le moindre sou. Notre correspondante indique, de son côté, qu'il a été arrêté par les forces de sécurité. Une avocate du collectif Mouttahidoun s'est rendue au commissariat de Chtaura afin de défendre le déposant arrêté, à sa demande.
En soirée, l'Alliance Mouttahidoun et le Cri des déposants a publié un communiqué affirmant que l'armée libanaise écoutait toujours le témoignage du déposant Ali Sahili, en présence de son avocate, Fatima Fawaz. La banque n'a pas porté plainte et s'est engagée à transférer 4 300 dollars au fils de Sahili qui fait des études de médecine à l'étranger. L'enquête, menée par le juge Mounif Barakat, procureur de la Békaa, devrait se terminer demain et un accord devrait être trouvé en raison de l'état de santé du déposant.
Lundi, l'activiste Rami Ollaik, fondateur de "Mouttahidoun" qui revendique son soutien aux déposants braquant leurs banques, avait indiqué à L'Orient-Le Jour que des actions contre les établissements étaient prévues ce mardi dans le Mont-Liban et la Békaa. Aujourd'hui, il indique à L'OLJ qu'une action devait avoir initialement lieu à la BLC de Zahlé, mais que celle-ci était fermée car nombre d'employés ont contracté le coronavirus.
Brève irruption à Tripoli
Dans le Nord du Liban, ce sont des employés d'Électricité de Qadisha qui ont fait irruption à la First National Bank. L'Association des déposants a indiqué que des employés d'Électricité de Qadisha ont fait irruption mardi matin dans une agence de la FNB à Tripoli (Liban-Nord). "Des membres du syndicat des employés de l'entreprise tentent, avec la direction de l'agence, de calmer la situation", indique l'association sur Twitter.
احتجاز رهائن في BLC شتورة pic.twitter.com/L6e0LgnmMB
— جمعية المودعين اللبنانيين (@Lebdepositors) October 4, 2022
Selon notre correspondant dans la région, Michel Hallak, les employés protestent contre la déduction de 3 % de leur salaire par la banque. Toutes les activités de l'agence ont été stoppées et des négociations ont eu lieu entre la direction de l'établissement et une délégation du syndicat. "La banque ne nous a pas versé nos salaires jusqu'à maintenant et veut en déduire 3 % ainsi que d'autres de nos droits, soit l'équivalent de 500.000 livres", ont indiqué les employés selon nos informations. "Nous ne le permettrons pas et nous resterons à l'intérieur de la banque jusqu'à ce que la direction revienne sur cette décision", poursuivent-ils. Notre correspondant Sohayb Jawhar précise toutefois que les employés n'ont fait qu'une brève irruption avant de sortir, sans obtenir gain de cause.
À Tyr, Ali Hassan Hedrej a fait irruption armé dans une agence de la banque Byblos, avec qui il a négocié et réussi à retirer 352 millions de livres de son compte avant de se livrer aux FSI, selon l'association Le Cri des déposants.
"Tout est calme ici"
En début d'après-midi, une employée de l'Intercontinental Bank of Lebanon (IBL) à Hazmieh a confirmé à L'Orient Today qu'un déposant est entré dans la banque pour réclamer son argent sans faire usage de violence. Selon l'association Le Cri des déposants, l'homme, George Chiam, a déclaré qu'il ne partirait pas tant qu'il ne pourrait pas obtenir un certain montant, non divulgué, à partir de son compte bloqué.
"Tout est calme ici, ces choses arrivent tout le temps dans toutes les banques", a déclaré l'employée. Pas plus tard qu'hier, un déposant accompagné par plusieurs complices non-armés avait récupéré son épargne par la force dans une agence de la Blom Bank à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth. Ce déposant, Zaher Khawaja, avait récupéré les quelque 11.000 dollars de son épargne. "Il y a eu une coordination avec le Cri des déposants pour désigner Rami Ollaik comme avocat dans ce dossier", a annoncé l'association Cri des déposants sur Facebook. Elle indique également qu'un arrangement a été trouvé avec la banque, consistant à laisser M. Khawaja jouir de son épargne sans engager aucune poursuite contre lui.
En soirée, la chaîne al-Jadeed a rapporté qu'un accord a été trouvé entre l'IBL et Georges Chiam.
L'ABL s'explique
Après cette journée d'actions, l’Association des banques du Liban (ABL) s’est une nouvelle fois employée, dans un long argumentaire publié mardi après-midi, à relativiser sa responsabilité dans la crise que traverse le pays.
L’association considère l’Etat et la Banque du Liban (BDL) comme les principaux responsables, indiquant que le premier avait retiré auprès du second pas moins de 62,67 milliards de dollars jusqu’au "21 juin 2022", qui ont été en grande partie dépensés sur la stabilisation du taux de la livre pendant plus deux décennies, les taux d’intérêts élevés, ou encore les avances du Trésor à Electricité du Liban (EDL) dont les tarifs sont figés depuis 1994. "Les banques auraient-elles pu s’opposer aux politiques financières et monétaires décidées par l’Etat et la BDL" s’est aussi interrogée l’association, avant de répondre elle-même par la négative en mettant notamment en avant : le fait que les banques étaient contraintes de déposer des devises à la BDL et que leur liberté d’investir à étranger était limitée par la réglementation.
L’ABL considère ensuite que les autorités et la BDL avaient les moyens de limiter les conséquences de la crise en adoptant dès les premiers jours une loi instaurant un contrôle formel des capitaux. Elle souligne à cet égard que les réserves de devises sont passées de 33 milliards $ fin 2019 à "environ" 10 milliards aujourd’hui - un nombre difficile à vérifier compte tenu de l’opacité de la Banque centrale dans ce domaine. En conclusion, l’ABL insiste sur le fait que l’argent des déposants a été dilapidé par le secteur public et que leur colère devrait être dirigée vers les institutions de l’Etat.
Elle réclame enfin l'adoption d'un plan de réforme qui soit approuvé par le Fonds monétaire international (FMI), ainsi que des autres réformes que le fonds exige en amont du déblocage de toute aide financière au pays - des conditions listées dans l'accord préliminaire conclu avec le Liban en avril dernier du 7 avril. A noter que l'ABL a longtemps été en désaccord avec l'approche privilégiée par le FMI pour la répartition des pertes, qui prévoyait de minimiser le rôle de l'Etat et refusait toute solution visant à créer un fonds de gestion des actifs de l'Etat dont les revenus auraient permis de compenser une partie de leurs pertes ainsi que celle des grands déposants.
Quelle misère…. Pauvre pays si on peut appeler « ce bout de terre » pays…. Ingouvernable et non gouverné… les gens sont oubliés, laissés pour compte pendant que les beyks, zaïm, cheikh, fakhémé, dawlet el… sont occupés à se partager des parts pour un pouvoir virtuel et inexistant. Puisque nous savons tous où se trouve le centre du pouvoir réel au liban.
19 h 21, le 04 octobre 2022