Le Parlement libanais a approuvé lundi, en fin d'après-midi, le projet de budget de l'année en cours, un texte qui ne fait pas l'unanimité dans un Liban en plein effondrement économique et financier. Il s'agissait de la troisième séance de la Chambre consacrée au budget de l'année en cours, alors que l'adoption du texte aurait du être finalisée entre fin 2021 et début 2022, selon les dispositions de la Constitution.
Selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), le vote s'est déroulé en présence de 106 députés sur 128. Soixante-trois députés ont voté en faveur du texte, 37 s'y sont opposés alors que six autres se sont abstenus. Un porte-parole du Parlement a confié à notre publication anglophone L'Orient Today que les groupes parlementaires du mouvement Amal, du Hezbollah, du Courant patriotique libre, du Tachnag, du Bloc de la modération nationale (anciens députés du Courant du Futur) ont approuvé le budget, rejoints par les députés Michel Murr, Tony Frangié, Imad el-Hout, Melhem Tawk ainsi que deux députés du Parti socialiste progressiste (PSP). Les Forces libanaises, le parti Kataëb, les députés de la contestation ainsi que les élus Oussama Saad, Charbel Massaad, Abdel Rahmane Bizri et Michel Moawad se sont, eux, opposés au projet de budget. Six députés se sont abstenus de voter, il s'agit notamment de Adnan Traboulsi, Taha Naji, Achraf Rifi, Jamil el-Sayyed ainsi que de Marwan Hamadé et Fayçal al-Sayegh du PSP.
Selon Reuters, les recettes de l'État dans la loi de finance approuvée s'élèvent à près de 30.000 milliards de livres libanaises alors que les dépenses atteignent 41.000 milliards. Le déficit de l'Etat se chiffre donc au-dessus de 10.000 milliards de livres. Le président de la commission des Finances et du Budget, Ibrahim Kanaan, a confirmé à L'Orient-Le Jour que le taux de change utilisé pour calculer le budget a été fixé à 15.000 livres libanaises pour un dollar, soit en-deçà de celui réclamé par le Fonds monétaire international (FMI), qui souhaitait que le texte soit calculé sur base du taux de la plateforme Sayrafa de la Banque du Liban (29.800 LL pour un dollar ce lundi).
Augmentation des salaires des fonctionnaires
Le budget voté accorde par ailleurs une augmentation des salaires des fonctionnaires, des militaires et des militaires à la retraite, équivalant au triple de leur salaire de base. Cette hausse est toutefois limitée entre 5 et 12 millions de livres et est considérée comme une mesure temporaire, jusqu'à ce qu'un accord soit trouvé pour résoudre le problème des salaires dans le secteur public. Cette augmentation ne sera pas prise en compte lors du calcul des indemnités de fin de service et des pensions. Le député Ali Hassan Khalil (Liban-Sud III/Amal) a indiqué à l'issue de la réunion parlementaire que cette mesure entrera en vigueur à partir du mois d'octobre.
Selon l'Ani, le Parlement a approuvé une exemption des retraites des militaires de l'impôt sur le revenu. Les députés ont également prolongé de deux années supplémentaires la loi promulguée après l'explosion du port de Beyrouth en août 2020, qui vise à protéger les bâtiments à caractère traditionnel endommagés par l'explosion, a rapporté l'Ani.
La Chambre a également annulé les frais de certification des diplômes des étudiants libanais dans les ambassades et consulats à l'étranger. Elle a aussi augmenté le prix du passeport d'une validité de cinq ans à 1.000.000 LL et celui d'une validité de dix ans à 2.000.000 LL. Ces passeports coûtaient jusqu'à présent respectivement 600.000 et 1.200.000 LL.
Gaz lacrymogène
Parallèlement au début de la séance, les alentours du Parlement étaient témoins d'une manifestation de militaires à la retraite et d'activistes. Moins d'une heure après le début de la séance, des dizaines de manifestants ont forcé le passage d'une rue menant au Parlement et se sont dirigés vers la Place de l'Étoile ; l'armée a réagi en tirant des grenades lacrymogènes.
Des militaires à la retraite étaient déjà mobilisés près du Parlement pour protester contre le projet de budget et réclamer une amélioration des conditions de leur retraite. Quelque temps après le début de la séance, certains ont forcé le passage d'une rue bloquée, et on a pu apercevoir le député Jamil Sayyed sur le parvis du Parlement, non loin de la foule de manifestants, visiblement affecté par les fumées des gaz lacrymogènes. Des images de la chaîne LBCI montraient également la députée contestataire Cynthia Zarazir qui a quitté la séance parlementaire et a rejoint les manifestants, où elle s'est fait bousculer par la foule.
Le ministre sortant de la Défense, Maurice Slim, est sorti de l'enceinte du Parlement pour s'adresser aux militaires retraités en colère qui protestent depuis le matin. "Nous avons décidé aujourd'hui que le salaire sera multiplié par trois, au minimum. Mais les détails techniques sont laissés aux autorités financières compétentes", a-t-il indiqué devant les caméras. Il a également défendu le bilan des aides apportées aux militaires, affirmant "avoir demandé le maximum" en leur faveur. Début septembre, M. Slim avait annoncé augmenter les indemnités de transport des militaires à 1.800.000 livres par mois
Echange Berry-Mikati
Lors d'une prise de parole au cours de la séance, le chef du CPL Gebran Bassil, député de Batroun, avait déploré "un manque de sérieux" dans le traitement du budget. "Nous voulons des chiffres clairs. Le rapport du ministère des Finances ne contient pas tous les chiffres, et aujourd'hui le gouvernement vient donner à chaque ministère des chiffres nouveaux", avait-il critiqué.
Plusieurs médias locaux ont également rapporté un échange entre le Premier ministre désigné Nagib Mikati et le chef du Législatif : "Le FMI s'est engagé à combler le déficit après l'accord, sans quoi nous irons vers l'inflation", avait déclaré M. Mikati. "La Chambre et moi ne sommes soumis ni au FMI ni à personne d'autre", lui avait rétorqué Nabih Berry. "Le Parlement est souverain. Ce que nous faisons aujourd'hui vise à éviter d'arriver à ce qui s'est passé dehors", avait poursuivi le président du Parlement, faisant sans doute allusion aux tensions aux abords du Parlement.
"Suicide collectif"
"Toutes les recettes dont on parle sont illusoires, car l'augmentation des salaires va conduire à activer la planche à billets et à augmenter l'inflation, diminuant ainsi le pouvoir d'achat", avait de son côté lancé le chef des Kataëb Samy Gemayel en marge de la séance. Il a dénoncé un "manque de réflexion sur les réformes" et une "opération de suicide collectif, en légalisant l'évasion fiscale et l'économie parallèle" à travers le vote du budget. "Mais pour montrer l'unité des rangs de l'opposition, nous avons décidé d'assister à la séance", a ajouté le leader maronite.
Les députés avaient été convoqués le 14 septembre, pour une séance étalée sur trois jours, afin d'adoper le budget. La première journée de cette séance avait toutefois été reportée faute de quorum. La réunion du 15 septembre avait, elle, été marquée par des discours, sans que le vote ne débute. Ce n'est donc que le 16 septembre que ce vote avait commencé. Alors que trois taux (12.000, 14.000 et 20.000 livres le dollar) étaient étudiés, le Premier ministre sortant Nagib Mikati avait proposé d’adopter un taux de 15 000 livres pour un dollar sur une courte période, et d’octroyer au gouvernement les prérogatives de le modifier par la suite. Une position qui avait alors poussé plusieurs députés à quitter la réunion, et par conséquent à torpiller le quorum. Avant que la séance ne soit levée, les députés n’avaient donc abordé que le deuxième article, celui des dépenses.
L'adoption d'un budget est l’une des réformes exigées par le Fonds monétaire international (FMI) pour débloquer une aide de trois milliards de dollars sur quatre ans et aider ainsi à relever les finances du Liban.
La semaine dernière, une délégation du FMI menée par Ernesto Ramirez-Rigo avait effectué une visite de trois jours dans le pays, et était repartie en dressant un constat sévère de la situation économique. Elle a regretté le fait que l’économie libanaise traverse une "dépression sévère" et que, "malgré l’urgence", peu de progrès aient été réalisés pour mettre en place les réformes nécessaires, dont une partie a été listée dans l’accord préliminaire du 7 avril conclu entre le Liban et l’organisation.
Pour l'année 2021, aucun budget n'avait été adopté par la Chambre, et le retard pris pour la loi des finances de 2022 ne présage rien de bon pour l'adoption de celle de 2023, dont l'échéance, au 31 décembre ou au plus tard à la fin janvier 2023 selon les délais constitutionnels, se rapproche.
La réunion s'est déroulée alors que certaines banques ont prévu de reprendre le travail après plus d'une semaine de fermeture, dans un contexte extrêmement tendu après les braquages en série de ces dernières semaines. Dimanche après-midi, une source bancaire confirmait à L'Orient-Le Jour qu'au moins un des établissements bancaires avait armé ses effectifs affectés à la sécurité, tandis qu’une autre a fait appel à une société privée de protection armée.
Toujours la même chanson. Discussions durant des jours, puis on ajourne. Pendant ce temps, les 3 milliards qui pourraient donner un tout petit, petit coup de pouce restent dans les coffres du FMI. Fin septembre et tjrs les disputes! Une décision bientôt ou à la trinité Malbrouck?
23 h 04, le 26 septembre 2022