« Je n’aurais jamais imaginé être acculée à refaire ma vie à 27 ans », lâche Mélanie* avec amertume. Cette jeune Libanaise est enseignante, un métier qu’elle a choisi et qu’elle aime. Mais aujourd’hui, son salaire, payé en livres libanaises, ne lui permet plus de vivre décemment. Elle se trouve dès lors contrainte de chercher un autre emploi plus rentable. Une situation qui, il y a quelques mois encore, lui aurait semblé « impensable ».
Cela fait sept ans que Mélanie part de chez elle chaque matin à 7h pour se rendre dans un collège de religieuses à Baabda (Metn) situé à 20 minutes en voiture. Elle y dispense des cours de français et d’histoire-géographie. Enseigner, encadrer des jeunes n’est pas loin d’être une passion pour la jeune femme, qui a d’ailleurs commencé à donner des cours dans ce même collège alors qu’elle n’était qu’en deuxième année de licence à la faculté. « Enseigner me permettait de m’accomplir professionnellement, de percevoir 1,5 million de livres libanaises par mois et de disposer tout de même de trois mois de vacances par an », explique-t-elle.
« Bataille au quotidien »
Mélanie espérait pouvoir, au fil de ses années de travail, faire des économies, voyager plus fréquemment et poursuivre ses études supérieures. Mais la crise socio-économique et financière qui frappe le Liban depuis 2019 l’a engagée de force dans « une lutte au quotidien ». « Avant 2019, je consacrais 30 % de mon salaire pour voyager une fois par an, faire les boutiques mensuellement, sortir trois fois par semaine, payer mon abonnement à la médiathèque et les frais d’inscription à des cours de yoga, de tennis et de danse. Aujourd’hui, avec 30 % de mon salaire, je ne peux plus me permettre d’aller au restaurant que trois fois par mois et de garder mon abonnement à la médiathèque », explique-t-elle. « L’ère n’est plus aux passe-temps superflus. Finis les fêtes et les loisirs à gogo... Les vacances, même au Liban, sont devenues un luxe que je ne peux pas me payer », poursuit-elle. Dorénavant, l’enseignante privilégie les sorties peu coûteuses (spectacles publics, randonnées dans la nature, galeries d’art, plages publiques…), mais aussi les localités situées à proximité de son domicile. L’essence, « bête noire » de la jeune femme, dévore près de 30 % de son salaire.
« En dépit des aides que la direction du collège nous a octroyées en livres libanaises, mon salaire ne vaut plus que 17 % de ce qu’il était avant la crise », indique-t-elle, affirmant être contrainte d’enchaîner plusieurs petits boulots, pas bien rémunérés ni réguliers. Outre l’enseignement, Mélanie est baby-sitter ; elle dispense aussi des cours particuliers et corrige des travaux de recherche pour encaisser quelque 2 millions de livres qui viennent s’ajouter à son salaire du collège de 3 millions de livres. « Ça m’attriste de voir ce que l’enseignement et les enseignants sont devenus », dénonce-t-elle, alors que de plus en plus de personnes désertent cette profession.
« L’option la plus rentable »
À 27 ans, l’enseignante qui parvenait auparavant à épargner 20 % de son salaire a l’impression de faire marche arrière. « Je ne peux plus mettre d’argent de côté, ni venir en aide à mes parents, ni déménager. Mon père, la soixantaine, est prof de peinture dans un institut privé à Baabda, alors qu’il était censé prendre sa retraite. Tant que son contrat est renouvelé et bien que son salaire soit médiocre, il poursuivra son travail vu que ma mère est femme au foyer », note-t-elle. « Il y a quelques années, c’est moi qui achetais les médicaments de mes parents. Aujourd’hui, mon père se procure des génériques dans les centres de soins primaires pour réduire les dépenses de la famille. Nous recevons aussi des aides alimentaires alors que c’est nous qui venions en aide à des familles défavorisées avant la crise... » ajoute-t-elle.
Titulaire d’un master en littérature française, Mélanie regrette de ne pas pouvoir continuer son doctorat, les frais universitaires le mettant hors de portée. « Entre un emploi, quel qu’il soit, et l’ambition, on n’a plus le choix, il faut aller vers l’option la plus rentable », estime-t-elle, navrée d’avoir jeté à l’eau, ou du moins mis en suspens, ses projets d’avenir et son expertise dans le domaine éducatif. « Je n’ai même plus le projet de fonder une famille. C’est devenu un fardeau », estime-t-elle, tiraillée entre l’envie de plier bagage et la nécessité de rester auprès de sa famille. « Aujourd’hui, on reste par amour pour les siens. Mais j’ai peur qu’un jour, par amour pour les siens, on soit obligé de partir. »
*Le prénom a été modifié.
"… Mélanie, enseignante, ne peut plus mettre un sou de côté …" - Le tampax, et nous n’avons rien mis de cotex…
14 h 09, le 31 août 2022