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Société - Reportage

Naufrage de Tripoli : une opération de repêchage inachevée sous tension

Le bathyscaphe n’ayant pu atteindre la profondeur requise en raison des vagues, les recherches ont dû être reportées. Les familles de victimes, elles, restent sceptiques.

Naufrage de Tripoli : une opération de repêchage inachevée sous tension

Le bathyscaphe chargé du repêchage des corps toujours piégés dans les profondeurs. Photo João Sousa

Il est 7h du matin au port de Tripoli. Les militaires sont déjà présents pour accueillir les journalistes venus couvrir le premier jour de l’opération censée remonter à la surface le bateau de migrants naufragé le 23 avril dernier. Entouré de conteneurs, le bathyscaphe (petit sous-marin), mesurant 5,62 mètres de long et 2,24 mètres de large, se distinguerait à peine, si ce n’était sa couleur vert fluo. « Mais c’est minus pour un sous-marin », s’étonne un photographe mobilisé pour le début de l’opération visant à repêcher les 28 à 32 corps toujours piégés dans les profondeurs.

Le 23 avril dernier, 85 passagers espéraient rejoindre les côtes italiennes pour échapper à la crise économique qui sévit dans le pays. Mais le navire, intercepté par l’armée à environ 5,5 kilomètres des côtes libanaises, au large de Qalamoun, fait naufrage. Deux versions se contredisent quant à la cause du sinistre. L’armée affirme que le bateau de fortune a coulé à cause de la surcharge des passagers à son bord. Les rescapés, eux, assurent que le bateau des militaires est entré en collision avec l’embarcation. Outre les survivants, les autorités ont pu repêcher sept corps depuis le naufrage. « J’espère qu’ils vont pouvoir sortir les autres, haram », lance un employé du port en observant le petit sous-marin. Un peu plus d’une heure plus tard, le bathyscaphe, posé sur une plateforme tirée par un bateau, quitte le port pour atteindre le point où l’opération de repêchage doit avoir lieu.

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À 9h, la conférence de presse peut enfin commencer. Sur le podium, où les micros sont empilés comme un jeu de Tetris, le commandant de la marine libanaise, Haytham Dennaoui, prend la parole pour détailler l’opération aux dizaines de journalistes présents sur place, déjà prévenus qu’ils ne seraient pas autorisés à poser des questions. Le colonel Haytham Dennaoui indique que trois personnes se trouvent à bord du sous-marin qui peut atteindre 2 180 mètres de profondeur. Il ajoute que la marine a créé une chambre d’opérations afin de suivre les recherches, soulignant que « cette mission se poursuivra pendant plusieurs jours, en fonction des résultats ». Il appelle les citoyens à ne pas s’approcher du lieu des recherches.

Le rôle de l’armée est « logistique »

Place à l’autre homme de la situation, le député de Tripoli Achraf Rifi, qui a été à l’origine de cette opération, financée par des Libanais de la diaspora en Australie. Toutes les caméras sont braquées sur lui, alors qu’il déroule son discours. « Aujourd’hui commence la mission opérationnelle visant à récupérer le bateau et les dépouilles mortelles des victimes de la grande tragédie qui a frappé Tripoli et ses habitants il y a quatre mois », déclare-t-il, le ton grave. Il insiste particulièrement sur l’autre objectif des recherches sous-marines, celui de « faire avancer l’enquête » sur le naufrage grâce à des photos de l’épave que devra prendre le sous-marin, à la demande du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. Achraf Rifi avait indiqué mercredi dernier à L’Orient-Le Jour que le sous-marin, lié à une entreprise enregistrée en Inde, effectue cette opération en collaboration avec les secours australiens. Sa location coûte 251 000 dollars pour une durée de 7 jours.

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Il est presque 10 heures. Les journalistes s’apprêtent à monter sur un bateau qui leur est réservé, alors que les familles sont embarquées sur un autre. « Prenez un cachet contre le mal de mer, ça vous évitera toute humiliation », lance un militaire, qui tente une blague. Il est d’ailleurs très difficile de recueillir une quelconque information à bord. « Le rôle de l’armée est logistique dans cette opération. Nous allons assurer la sécurité de l’équipe, la logistique, le déplacement du sous-marin », est la seule explication que nous obtiendrons d’un militaire sur les lieux.

« Est-ce qu’on pourra parler aux familles des victimes ? » demande un journaliste à un militaire. « À quoi ça peut bien servir ? Focalisez-vous sur l’opération », lui lance celui-ci, sèchement. Durant toute la journée, aucun contact sur place ne sera possible avec elles. Pendant plus de deux heures, les journalistes, accompagnés de soldats des forces navales, sont installés sur une embarcation militaire, alors que les familles des victimes, visibles au loin, vêtues d’une bouée de sauvetage, se trouvent sur un autre navire. Les journalistes blaguent entre eux. « Qu’il nous emmène à Chypre… Un aller sans retour, s’il vous plaît. » Les autres pouffent de rire. « Si seulement », lance l’un d’entre eux. Depuis le navire, l’embarcation qui transporte le bathyscaphe se voit au loin.

« Derrière nous, le sous-marin qui compte repêcher les corps », explique l’un des journalistes devant la caméra qui tourne. Or le bathyscaphe, qu’il a montré du doigt, n’atteindra pas la profondeur d’environ 400 mètres cet après-midi, comme c’était prévu. Le crochet de levage, supposé faire descendre l’engin en mer, ne cesse de s’agiter à cause du vent. Plus de six heures après que le sous-marin a quitté le port, l’armée annonce, dans un tweet publié peu avant 14h30, le report de l’opération en raison de menaces sur la sécurité de l’équipage à cause des vagues.

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Les bateaux qui transportent les journalistes et les familles de victimes font demi-tour. Durant le trajet, deux journalistes tombent dans les pommes. Un autre se met à vomir. Certains tentent d’échapper aux rayons du soleil en se mettant à l’ombre comme ils le peuvent. Il est un peu plus de 15h, les journalistes peuvent enfin quitter le navire. Aucun signe des familles des victimes. Juste la Croix-Rouge présente pour venir prendre soin des malades.

« Ils ne livrent pas les données exactes »

Pour recueillir les témoignages des familles de victimes, pas d’autre choix que de les contacter après le retour sur la terre ferme. L’émotion était palpable sur ce second bateau, raconte Me Mohammad Sablouh, l’un de leurs avocats présent sur les lieux, contacté par L’OLJ. Les proches et certains des survivants se remémorent en effet avec tristesse et peur le jour du naufrage.

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Joint par L’Orient-Le Jour, Jihad Ibrahim Metleb, qui a perdu son fils dans le naufrage, alors que sa fille et son beau-fils ont survécu, était également présent sur le bateau. Hier, il s’était réveillé plein d’espoir... « La moindre des choses est d’enterrer nos morts dignement », souffle ce père de famille. Au port, il a vu des rescapés fondre en larmes, à la simple vue de la mer. Sur le bateau, la tension était à son comble avec les forces de l’armée, « mais aucun débordement n’a eu lieu ». La colère continue de les ronger. « Nous n’avions aucun problème avec les militaires, mais nos enfants voulaient partir parce que tout le peuple libanais, l’armée incluse, meurt de faim. Aujourd’hui, nous les voyons comme des tueurs », s’emporte-t-il au téléphone. Il dénonce les politiciens et les responsables sécuritaires de ce pays qui « sont corrompus (...), ils continuent d’atermoyer et ne sont pas en train de livrer des données exactes qui permettent à ce sous-marin d’exécuter son opération. Ils veulent échapper à la justice. C’est notre sentiment aujourd’hui ».

Il est 7h du matin au port de Tripoli. Les militaires sont déjà présents pour accueillir les journalistes venus couvrir le premier jour de l’opération censée remonter à la surface le bateau de migrants naufragé le 23 avril dernier. Entouré de conteneurs, le bathyscaphe (petit sous-marin), mesurant 5,62 mètres de long et 2,24 mètres de large, se distinguerait à peine, si ce...

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