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Lifestyle - Page Blanche

La première gorgée de café et autres plaisirs minuscules

La première gorgée de café et autres plaisirs minuscules

Photo M.A.

Étonnamment, je n’ai jamais vraiment aimé le café. Étonnamment, parce que dans un pays comme le nôtre, le café est un rituel. Au lever du jour ; lors d’une sobhiyyé, mot intraduisible dans une autre langue et qui pourrait être expliqué comme ce moment passé à deux ou à plusieurs, entre le petit déjeuner et le déjeuner, à bavarder autour d’une tasse de café ; après le repas de midi ; dans l’après-midi, accompagné d’un jellab ; en fin de journée et parfois avant de dormir pour pouvoir se réveiller tôt le lendemain. Je bois parfois du café quand j’ai envie qu’on me lise l’avenir à travers les résidus du marc et où, la diseuse de bonne aventure voit une ouverture ou une aaba’ au fond de la tasse où je devrais appuyer mon pouce en y faisant un vœu. Mais le café, ce n’est pas seulement son goût. C’est son odeur. L’arôme des grains, de la poudre et surtout celui qui émane de la rakwé bouillonnante sur le feu. Cette odeur-là, c’est un peu du Liban. Avec ou sans cardamome. Le café fait partie de ces plaisirs minuscules qui subsistent encore. Et des plaisirs minuscules, le Liban en regorge.

Malgré tout ce que nous traversons, nous avons souvent la possibilité de suspendre le temps à travers une gorgée, une bouchée, un parfum, une chanson, une vue. Ces petits instants qui nous permettent d’oublier, mais surtout de nous remémorer un passé pas si lointain et qui porte étrangement les prémices d’un avenir plus doux. Ces petits instants, c’est la man’ouché et le zaatar qui frémit dans l’huile. C’est la douceur d’un sirop de rose qu’on boit sur la véranda décrépie de la maison familiale en montagne. C’est la montagne et le chant des cigales qui viennent nous bercer au coucher du soleil. C’est ce même coucher de soleil sur l’horizon, qui cache une mer que l’on a violée et dont les côtes auraient pu ressembler à celles que l’on voit sur des cartes postales jaunies. C’est l’arak que l’on boit en mangeant du nay, cette variation de viandes crues que l’on nous conseille de manger accompagnées de notre alcool local parce qu’il tuerait les bactéries. Et même si la légende n’est pas prouvée, elle reste une bonne excuse pour savourer cette boisson aux parfums anisés. C’est le grésillement d’un vieux transistor au fond d’un petit magasin de Douma, où l’on peine à entendre une chanson de Wadih el-Safi. Ce sont toutes ces ritournelles qui nous font valser virtuellement. Ces morceaux d’hier, mais aussi d’aujourd’hui. Raksit Leila de Mashrou’ Leila, qui malgré les années qui passent, nous font danser comme elle. Comme Leila.

Ces plaisirs minuscules sont porteurs d’une douceur et ont sur nous l’effet d’un papier carbone. Ils ne sont pas forcément nostalgiques. Ils sont justes magiques. Ils se ressentent partout. Où qu’on soit. Dans chaque découverte, remémoration. Qu’ils soient le fruit du hasard ou un simple désir. Mais, force est de constater qu’au Liban, pays de milliers de parfums, ils ont un goût spécial. Je l’avoue, c’est probablement ma subjectivité qui parle. Pas que je m’y attache par peur de n’avoir plus d’autre saint auquel me vouer, mais parce que même si un soufflé au chocolat porte en lui de grands plaisirs, rien ne peut battre ceux d’une kaaké fourrée de kneffé que l’on déguste à l’aube, après une soirée passée sous les étoiles. Et puis, où est le mal à être subjectif ? Où est le mal à vouloir penser que le Liban aurait pu être le plus beau pays du monde. Malgré tout. Que le Liban, c’est un mélange de fragrances et de saveurs, de refrains et de sons, de lumière et de textures. De la labné crémeuse à la senteur des pins ; du son des cloches des églises à la voix du muezzin ; du chant du coq qui a fait une grasse matinée aux cris du marchand de kaak qui pousse sa charrette ; des taches de mûres qui ne quitteront plus notre tee-shirt blanc, aux olives que l’on cueille lorsque la saison est arrivée ; de cette huile que l’on presse et ces barriques que l’on remplit de vin de la Békaa ; de ces maamouls que l’on offre lors des fêtes religieuses et des traditions qui s’ensuivent… Tous ces plaisirs-là, aussi minuscules soient-ils sont porteurs de vie. Une vie qui n’en finit pas de finir. Une vie qui ne finira pas.

Étonnamment, je n’ai jamais vraiment aimé le café. Étonnamment, parce que dans un pays comme le nôtre, le café est un rituel. Au lever du jour ; lors d’une sobhiyyé, mot intraduisible dans une autre langue et qui pourrait être expliqué comme ce moment passé à deux ou à plusieurs, entre le petit déjeuner et le déjeuner, à bavarder autour d’une tasse de café ; après le repas...

commentaires (7)

J’ai bien peut que nous nous accrochons tous à un Liban qui n’est et ne sera plus…

Bachir Karim

02 h 59, le 15 août 2022

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Commentaires (7)

  • J’ai bien peut que nous nous accrochons tous à un Liban qui n’est et ne sera plus…

    Bachir Karim

    02 h 59, le 15 août 2022

  • Petite référence à La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules!

    Bachir Karim

    02 h 58, le 15 août 2022

  • Ravie de vous retrouver, chère Médéa, avec ce texte qui résume en quelques lignes brillantes ce Liban, le vrai, que nous connaissons tous et aimons depuis toujours ! - Irène Saïd

    Irene Said

    17 h 44, le 11 août 2022

  • Merci pour ce beau texte tellement vrai!

    Politiquement incorrect(e)

    16 h 45, le 11 août 2022

  • ""Que le Liban, c’est un mélange de fragrances et de saveurs, de refrains et de sons, de lumière et de textures"". C’est en partie ce qui nous reste du Liban parti en fumée avec l’ultime saveur du regret, sans nostalgie aucune. L’odeur du café qui fume et surtout l’odeur du tabac, de la cigarette. Je n’ai pas en mémoire qu’on fumait le narguilé lors du rituel sacré de la sobhié, (mot intraduisible ??). J’ai encore en tête la voix de maman : "min baddak tchouf baad el dohr", curieuse de savoir s’il revenait plus tôt à la maison, et la voisine de notre quartier populaire après son boujourrrr, remportait un fenjen rempli à ras bord de bann, pour préparer son café chez elle, après le départ des enfants à l’école. Jamais un café sans cigarette dans une sobhié. Les miennes sont des lucky (lauuki en libanais) et des gitanes, mais le café sans cardamome, sinon, ça fait un peu turc. C’est tout à fait ça le Liban, un mélange de fragrances.

    Nabil

    15 h 45, le 11 août 2022

  • N.B. café avec hèl please.

    Wlek Sanferlou

    14 h 20, le 11 août 2022

  • "Où est le mal à vouloir penser que le Liban aurait pu être le plus beau pays du monde. " Souvenirs souvenirs, nous chantait johnny... Mais le Liban est un rond-point où tous s'y rencontrent avec leurs klaxons, leurs mobylettes, leurs voitures à essence, leurs camions à mazout, leurs chariots et bien sûr les piétons qui jaillissent de partout même certains poussant des mastabés avec leurs produits à vendre... c'est ce rond-point, que nous vivons, qui voit défiler des gens de tout bord voyageant tous dans ce carousel interminable vers une destinée en spirale ... on adore ce pays qui nous donne tant de plaisir et nous fait tant souffrir.........

    Wlek Sanferlou

    14 h 19, le 11 août 2022

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