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Culture - Documentaire

Alice Mogabgab : « La mission du BAFF est de faire face à la réalité »

Deux ans après l’explosion du port de Beyrouth, justice n’a pas encore été faite. La projection sur la plateforme Zoom ce dimanche à 20h du documentaire "Warehouse 12", produit et réalisé par Paul Russell, permet de faire l’éclairage sur la vérité. 

Alice Mogabgab : « La mission du BAFF est de faire face à la réalité »

L'affiche du film Warehouse 12.

Alors que l’investigation sur l’explosion du 4 août 2020 reste bloquée, le BAFF (Beirut art film festival) vous invite à participer à une projection en ligne de "Warehouse 12", le dimanche 31 juillet à 20h sur la plateforme zoom. Elle sera suivi par un débat auquel participeront Mazen Hoteit, avocat des victimes non libanaises et marginalisées, l’avocate Ghida Frangié, le réalisateur et producteur Paul Russell et Habib Battah, journaliste indépendant. L’accès est libre avec réservations ici.

Ce documentaire de 82 minutes, consacré à cet après-midi sanglant du 4 août qui a bouleversé la vie de la moitié de la capitale libanaise, est produit et réalisé par Paul Russell en anglais, arabe et français. Il est sous-titré en anglais.

L'histoire commence par l'explosion qui a dévasté une partie de la ville, mais nous remontons le fil du temps pour revenir à ce qui a été stocké dans l'entrepôt : 2. 750 tonnes de nitrate d'ammonium, utilisé non seulement comme engrais dans de nombreux pays du monde, mais aussi comme explosif. Une enquête plus approfondie révèle que la poudre explosive avait été retirée d'un navire bloqué dans le port depuis un an pour de graves irrégularités dans ses documents. En fait, le scandale remonte à plus loin dans le temps. A plusieurs reprises, les autorités portuaires ont demandé aux juges d'instruction d'ordonner l'enlèvement du produit chimique hautement explosif, soit en le vendant à une entreprise chimique locale, soit à l'armée libanaise, mais cela n'a jamais été fait. Joseph Nadaf, agent de sécurité au port, a envoyé des dizaines de lettres, photographies et rapports aux plus hautes autorités et pourtant rien n'a été fait. Puis le soir du 4 août, l'entrepôt prend feu. À peine dix minutes plus tard, une première explosion se fait entendre, puis l'explosion massive de nitrate d'ammonium emporte un quart de la ville et créée un gros nuage blanc.

Le film interroge, inspecte à travers des témoignages et pose les questions suivantes : Qui savait ? Et pourquoi rien n'a été fait ? Pourquoi l'enquêteur a-t-il été écarté de l'affaire et pourquoi le dénonciateur numéro un est-il en prison à la place de ceux qu'il a avertis du danger ?

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La dernière partie du documentaire couvre les conséquences, en particulier de l'Hôpital grec-orthodoxe où les maternités et les services de cancérologie ont subi le plus gros de l'explosion. Des infirmières, des médecins et des patients sont morts pendant l'explosion, et lorsque des blessés ont commencé à arriver, le personnel d'urgence a été contraint de les soigner dans la rue. Les images des conséquences dans le centre de Beyrouth sont déchirantes. C'est une ville qui a survécu à quinze ans de guerre civile et rien de tel ne s'était jamais produit. Les personnes interrogées dans ce documentaire comprennent : la famille de l'ambulancier Sahar Farès et le chef du peloton 5 Charbel Karam ; la famille du lanceur d'alerte, plus tard incarcéré, Joseph Nadaf, le propriétaire de l'Orient Queen Hana Abou-Merhi, l’ambassadrice de la Confédération suisse au Liban Monika Schmitz Kergoez, ainsi que des médecins et infirmières de l'Hôpital grec-orthodoxe de Beyrouth, la députée Paula Yacoubian, l’activiste Chérine El-Zein, mais aussi les parents de plusieurs victimes dont ceux de la petite Alexandra Najjar ou la sœur de Marion Hochar…

Des témoignages poignants et brûlants jusqu’à présent à l’heure où tout n’a pas été élucidé et où les silos de Beyrouth brûlent encore.

Avec 80 films dans leur catalogue, Millstream Films & Media produit des histoires à rotation rapide grâce à l'accès privilégié acquis au fil des ans. Les producteurs qui ont déjà accédé à des dizaines de films tournés en caméras au poing et ont sécurisé l'accès à la zone portuaire pour filmer à la fois la reconstruction du port et le sauvetage des navires coulés lors de l'explosion, se sont appuyés sur les ressources d'amis et de collègues qui vivent à Beyrouth, notamment le photographe Roger Moukarzel, patron des productions Minime qui coordonne les interviews et a déjà collecté les images. D’autres images de drones collectées auprès d'opérateurs de drones locaux (Live Love Beirut) complètent les ressources visuelles disponibles.

La présidente du BAFF, Alice Mogabgab, qui a choisi de projeter le film en ligne à quelques jours de la commémoration du 4 août a répondu à cette occasion à trois questions de l’OLJ.

Pourquoi le BAFF a pris la résolution de s’emparer d’un tel documentaire taillé dans la réalité pour le projeter en ligne ?

Depuis le confinement, le festival du film artistique de Beyrouth a lieu en deux temps : en novembre, en salles. Et je tiens à rappeler qu’il a toujours été maintenu malgré les difficultés de toutes sortes comme la pandémie, la révolution, et que nous préparons actuellement la 8ème édition. Ensuite, parallèlement à ces projections en salles, nous avons lancé il y a deux ans un rendez-vous qui a lieu le dernier dimanche de chaque mois et qui comprend une projection en ligne et cela dans le but de nous retrouver avec l’audience du festival au Liban et une large audience étrangère de l’Europe, des Etats Unis ou des pays arabes. Celle-ci est toujours suivie par un débat avec des questions réponses aux spécialistes présents sur la plateforme Zoom. Ces rendez-vous nous ont permis de présenter des premières mondiales comme Archiboldo cet hiver.

Le festival depuis sa création, n’est pas un festival de films traditionnel. C’est un rendez-vous de culture et de partage ouvert aux jeunes et aux moins jeunes qui ont envie de toucher à ce qui est le plus beau chez l’être humain : l’art. "Warehouse 12" nous rappelle chaque minute cette tragédie qui a eu lieu ce jour-là. Tant que la vérité n’aura pas été élucidée, la mémoire et l’Histoire exigeront de nous des comptes (alors que nos irresponsables politiques essaient de camoufler ce crime odieux par un « Ahla bi hal tallet » à une population qu’ils ont eux-mêmes répudiée). A la veille du 4 août il est de notre devoir, voire notre mission de refuser cette mascarade et de réveiller incessamment la mémoire léthargique d’un peuple. Ils peuvent démolir les silos ou reconstruire les immeubles, ce film sera toujours là pour rappeler à la mémoire le fatidique 4 août.

Dans un Beyrouth brisé, et tombé à terre, quel rôle peut jouer l’art ?

L’art peut nous donner encore de l’espoir. C’est le sens du beau qui connecte toute l’humanité et le BAFF, outre sa mission artistique a une mission humanitaire puisqu’il relie des personnes du monde entier avec ce qu’il y a de plus profond et de plus beau dans l’être humain. Concernant ce film, il ne s’agit pas d’art mais de mémoire. Le BAFF instaure un véritable face-à-face avec la réalité. Tous les problèmes qu’affronte la population sont de véritables trompe-l’œil pour masquer le grand crime odieux commis par la caste politique. D’ailleurs, qui peut nous garantir qu’il n’y aura pas un autre 4 août ?

Et par conséquent, l’absence de culture signifierait-elle la mort d’un pays ?

Peut-on imaginer une population qui ne réfléchit pas ? C’est ça l’absence de culture : une population qui devient un troupeau. La culture permet de réfléchir. L’humanité entière est devenue une grande consommatrice : du prêt-à-porter au prêt-à-manger en passant par le prêt-à-réfléchir. Dans notre pays fragilisé rien n’est plus facile que de donner au peuple un prêt-à-penser. Et quand la réflexion et la culture n’existeront plus, le droit à l’interrogation aussi se dissipera et la société mourra. Tout comme le pays. Notre mission est de continuer incessamment à poser des questions et à inciter les gens à s’interroger pour demeurer une société vivante. 

Alors que l’investigation sur l’explosion du 4 août 2020 reste bloquée, le BAFF (Beirut art film festival) vous invite à participer à une projection en ligne de "Warehouse 12", le dimanche 31 juillet à 20h sur la plateforme zoom. Elle sera suivi par un débat auquel participeront Mazen Hoteit, avocat des victimes non libanaises et marginalisées, l’avocate Ghida Frangié, le...

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