Les faits
Lundi, à 11h30, l’archevêque maronite de Haïfa et de Jérusalem, qui réside au siège de l’évêché de Jérusalem, arrive à Ras Naqoura. Il est arrêté par la Sûreté générale (SG) sur ordre du juge Fadi Akiki, avant de subir un interrogatoire pendant douze heures. Il est relâché vers minuit, après avoir été délesté de son passeport et de son portable, ainsi que d’un montant de 460 000 dollars et de médicaments envoyés par des Libanais réfugiés en Israël (depuis le retrait de l’armée israélienne en 2000) à destination de leurs proches résidant au pays du Cèdre. Selon une source ecclésiastique interrogée par L’OLJ, le juge Akiki ne souhaitait pas le relâcher, mais de fortes pressions émanant de hautes autorités judiciaires ont finalement abouti à sa remise en liberté.Un communiqué publié jeudi par la SG a indiqué que l’archevêque a été « bien traité » et que la mesure en question est « légale », d’autant qu’elle a été exécutée « sur instruction de la justice, en rapport avec les instructions concernant tous les passagers qui circulent entre les deux pays, sans exceptions ».
Du côté de Bkerké, on considère que l’incident crée un grave précédent. « Ni les principes, ni les lois, ni les coutumes ne permettent une telle arrestation », estime une source de Bkerké, affirmant qu’on ne peut interpeller un archevêque sans en référer à son autorité hiérarchique.
Quels sont les actes reprochés à l’archevêque Hage ?
Les actes imputés sont l’acheminement de fonds en provenance d’un État ennemi ainsi que l’importation de médicaments israéliens, dont les prescriptions sont rédigées en hébreu et sur l’emballage desquels figurent également des inscriptions dans cette langue.
Interrogé par L’OLJ, Kassem Hachem, député du groupe parlementaire d’Amal, critique de tels actes, estimant qu’ils « enfreignent les lois sur le boycott d’Israël ». « Quelles que soient les aides, elles ne doivent pas provenir d’un État ennemi », martèle-t-il, soulignant que « ceux qui portent atteinte à ces lois sont exposés à des poursuites ».
Selon le journal pro-Hezbollah al-Akhbar, l’archevêque avait, il y a quelque temps, reçu d’un Libanais ayant fui vers les territoires occupés de l’argent qu’il a remis à un soldat de l’armée libanaise qui aurait été recruté par le Mossad et jugé ensuite par le tribunal militaire.
Toujours selon les affirmations d’al-Akhbar, depuis près de 18 mois, le prélat introduit au Liban de grosses sommes d’argent au rythme d’une « valise » par mois ou tous les 45 jours. Les services de sécurité auraient mis en garde ce dernier, du fait que l’argent qu’il transporte est fourni par des Libanais condamnés pour collaboration avec Israël et est susceptible d’être confisqué parce qu’il provient d’un État qualifié d’hostile.
Que répond l’archevêque ?
L’archevêque rejette en bloc toutes ces accusations. Dans un entretien accordé à L’OLJ, il explique que les sommes transportées « sont des aides (qu’il) achemine depuis des mois aux familles et qui ne sont jamais destinées aux mêmes personnes. Cela fait dix ans qu’(il) rend ce service. Depuis l’explosion du port le 4 août 2020 et l’effondrement économique, les sommes ont augmenté parce que le besoin est devenu plus grand ». « Chaque personne dans les territoires occupés qui souhaite envoyer de l’argent à sa famille au Liban vient à la paroisse pour me remettre l’enveloppe. Ceux qui m’ont arrêté prétendent que cet argent est destiné aux familles des agents d’Israël et cherchent à me punir. Ce ne sont pas des agents, mais les Libanais qui ont fui en Israël (après le retrait d’Israël en 2000) », dit-il encore.
Contacté par L’OLJ, l’ancien ministre Sejaan Azzi, également proche du patriarche maronite, assure que l’activité reprochée à Mgr Hage est « habituelle, sociale, humanitaire et religieuse ». « Elle est menée depuis le XIXe siècle », indique-t-il, relevant qu’après la création de l’État d’Israël, « le patriarcat maronite a continué jusqu’à ce jour d’être représenté par des évêques ».
Que dit la loi libanaise ?
La loi libanaise interdit toute sorte de rapport économique avec des citoyens israéliens. Selon l’article 285 du code pénal, est passible d’une peine de prison d’au moins un an tout Libanais qui tente de faire une transaction commerciale, d’achat, de vente ou de troc avec un citoyen de l’État ennemi. Certains religieux bénéficient d’une exception pour circuler librement entre Israël et le Liban. Mais tout ce qui concerne un convoyage de fonds qui n’appartiendrait pas à l’Église est interdit.
Quid des suites judiciaires ?
Le juge Fadi Akiki avait convoqué Mgr Hage pour une audience qui devait se tenir mercredi, et à laquelle ce dernier n’a pas comparu. Une source proche de Bkerké affirme que seul le pape peut juger les évêques. À ce sujet, un juge du tribunal militaire, Fadi Sawan, avait déclaré, dans une décision datée du 22 mai, son incompétence à statuer sur des questions pénales imputées à des évêques. « Seul le pontife romain a le droit de juger les patriarches et les évêques », peut-on lire dans le jugement, dont L’OLJ a obtenu un extrait. Bkerké demande aujourd’hui la révocation du juge Fadi Akiki. Celle-ci est « hors de ma compétence de ministre », a affirmé hier le ministre sortant de la Justice Henri Khoury à Dimane, siège estival du patriarcat maronite. De son côté, le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, a estimé qu’il « n’y a aucun fond politique » derrière cette affaire, dans les colonnes du quotidien al-Chark al-Awsat. « N’attaquez pas la justice qui fait appliquer les lois que vous avez adoptées. Si vous ne voulez pas appliquer la loi, amendez-la », a-t-il lancé en référence à la loi sur le boycott d’Israël et des produits israéliens.
Quel contexte politique ?
Dans l’entretien qu’il a accordé à L’OLJ, Moussa el-Hage assure que « son arrestation vise à envoyer un message musclé au patriarche ». Celle-ci s’inscrit en effet dans un double contexte politique. D’une part, les relations entre Bkerké et le Hezbollah se sont largement dégradées ces derniers mois. Le patriarche Béchara Raï multiplie les critiques contre le Hezbollah et appelle à affirmer la neutralité du Liban, ce qui a le don d’agacer la milice chiite impliquée dans plusieurs conflits régionaux. Les discours du patriarche en soutien au juge Tarek Bitar, en charge de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth, ne sont pas non plus du goût du Hezbollah, qui accuse le magistrat d’être « politisé ».
D’autre part, le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, évoque ces derniers temps les risques d’une guerre imminente avec Israël. Dans ce contexte, il est probable que le parti cherche à faire de la surenchère concernant toute personne ou action qui peut avoir un lien direct ou indirect avec l’État hébreu.
Hassouna ou te cache tu? sors de ton trous et on discute, sinon reste dedans et tais toi!
16 h 51, le 24 juillet 2022