
Le chef des Marada, Sleiman Frangié, s’entretenant avec Mgr Raï, hier à Dimane. Photo tirée du compte Twitter du leader maronite @sleimanfrangieh
La confrontation entre le patriarche maronite, Béchara Raï, et les protagonistes hostiles à ses prises de position, notamment le Hezbollah, a pris un nouveau tournant dans la foulée de l’affaire de l’arrestation, lundi, du vicaire patriarcal maronite de Haïfa, Moussa el-Hage, au check-point frontalier de Ras Naqoura au Liban-Sud.
Un peu plus de 48 heures après l’incident, l’Église maronite est sortie de son silence au moyen d’un communiqué d’une particulière virulence. Le texte, rendu public mercredi soir à l’issue d’une réunion du conseil restreint permanent de l’Église maronite, s’en est pris aux autorités politiques et sécuritaires. « Nous demandons que soit mis fin à cette farce sécuritaire, judiciaire et politique », ont tonné les évêques, appelant au limogeage du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire par intérim, Fadi Akiki, sur ordre de qui Mgr Hage avait été arrêté. De source proche du dossier, on apprend que Béchara Raï entend revenir à la charge dans son homélie de dimanche. Signe de la détermination du prélat à aller jusqu’au bout : des informations relayées hier par certains médias locaux, que L’Orient-Le Jour n’a pas pu confirmer, indiquaient que le juge aurait demandé un rendez-vous avec Mgr Raï. Mais ce dernier aurait refusé avant que l’évêque de Haïfa ne récupère tout ce qui lui avait été confisqué lundi dernier, à savoir son passeport et les 500 000 dollars qu’il transportait.
Le patriarcat maronite ne sera pas seul dans cette bataille. S’y sont déjà joints les partis connus pour leur soutien à Bkerké et leur opposition au Hezbollah, à l’instar des Forces libanaises. Le leader de ce parti, Samir Geagea, était un des premiers responsables à appeler à démettre le magistrat Akiki de ses fonctions, quelques heures après l’arrestation de Mgr Hage. Même son de cloche du côté des Kataëb. C’est dans ce cadre que s’inscrit une déclaration de Salim Sayegh, député du Kesrouan et numéro deux des Kataëb. « Nous appelons au limogeage immédiat du juge Fadi Akiki », a-t-il lancé. M. Sayegh a critiqué l’activité du tribunal militaire, une instance visée par de fréquents appels à l’abolition.
Le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, s’est toutefois démarqué de ses alliés du 14 Mars. Il a estimé dans un tweet que « quelles que soient les circonstances derrière l’arrestation de l’évêque, une résolution calme est préférable à ce vacarme ». « D’un autre côté, nous refusons l’exploitation israélienne des hommes du clergé afin de faire entrer illégalement de l’argent à des fins politiques », a-t-il ajouté.
Le dialogue Bkerké-Hezbollah
Le chef de l’État, Michel Aoun, plus haut pôle maronite du pays, a opté pour le silence sur cette affaire, mais est toutefois entré en contact avec le patriarche Raï. Dans son communiqué, Bkerké s’est indigné du silence des autorités officielles. Quelques heures auparavant, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, avait dénoncé sur Twitter l’arrestation de l’évêque de Haïfa. Concernant une potentielle mise à l’écart de Fadi Akiki, Alain Aoun, député de Baabda, se dit ouvert. « Nous n’avons aucun problème, surtout si une telle démarche pourrait contribuer à rectifier le tir », répond-il, sollicité par L’OLJ. Il s’empresse toutefois de préciser que cela « relève de la compétence du Conseil supérieur de la magistrature ». Il n’en demeure pas moins qu’une telle démarche a une dimension politique. D’autant que Michel Aoun bloque depuis mars 2020 le projet de permutations judiciaires. « Il faut également voir si (le président de la Chambre, Nabih) Berry et consorts vont assurer la protection politique au juge », rappelle un député relevant de l’ex-14 Mars. Des affirmations que les milieux du chef du législatif (qui entretient un lien de parenté par alliance avec le juge Akiki) rejettent en bloc. L’affaire Moussa el-Hage est à analyser sous l’angle du contexte politique dans lequel elle est intervenue. L’évêque a été arrêté alors que le patriarche maronite plaide sans relâche depuis plus de deux ans en faveur de la neutralité du Liban par rapport aux conflits des axes, une notion à laquelle le Hezbollah, impliqué dans la guerre en Syrie, au Yémen et en Irak, s’oppose. Le patriarche multiplie aussi ses critiques contre le parti chiite, son arsenal illégal et son attitude sur la scène politique, notamment pour ce qui est du monopole de la décision de la paix et de la guerre et des tentatives du parti d’imposer sa volonté au reste des protagonistes. L’affaire Moussa el-Hage semble donc être porteuse d’un message du Hezbollah à Béchara Raï. Là aussi, Bkerké est catégorique : ses positions ne changeront pas d’un iota. « Nous continuerons à plaider pour la neutralité du Liban et sa liberté », affirme une personnalité proche de Mgr Raï. Sans vouloir se prononcer au sujet de la place du Hezbollah dans ce différend, le proche de Bkerké se contente de faire valoir que « le Hezbollah doit savoir que les accusations de collaboration avec Israël ne peuvent pas être lancées contre des évêques ».
Le dialogue entre Bkerké et le parti chiite, gelé depuis plusieurs mois, a-t-il atteint le point de non-retour ? Non, selon les milieux du patriarcat, mais... à une condition. « Bkerké est ouvert à tout dialogue qui irait au-delà de l’exercice de pure forme », affirme un proche du chef de l’Église maronite. De son côté, le Hezbollah préfère ne pas enfoncer le clou avec Mgr Raï, se lavant les mains de la polémique. « Nous ne sommes pas concernés par le problème entre le patriarche et l’État », souligne Abou Saïd el-Khansa, membre du comité de dialogue entre Bkerké et le Hezb.
Cela explique peut-être la visite hier à Dimane du chef des Marada, Sleiman Frangié, allié du Hezbollah, mais aussi un des plus sérieux présidentiables, pour rencontrer Mgr Raï. À l’issue de la réunion, il a tenu des propos flous, imputant à une « cinquième colonne » la responsabilité dans l’affaire de l’évêque. Une façon pour lui d’en dédouaner le Hezbollah. Et M. Frangié de faire valoir qu’il ne complote pas contre ses alliés, mais qu’il « ne prend pas d’ordres de chez eux », comme pour assurer que le Hezbollah n’est pas au courant de son entretien avec Béchara Raï.
commentaires (16)
" un des plus serieux presidentiables " :presidentiable d'accord , mais serieux ...?! ça fait doucement rigoler
OBEGI CHARLES
14 h 38, le 24 juillet 2022