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Nos Lecteurs ont la Parole

L’ignorance, arme politique et stratégique

L’ignorance, arme politique et stratégique

La seule façon d’éliminer les politiciens corrompus de la scène est de ne plus leur donner nos voix. Photo Michel Sayegh

L’élite vit de l’ignorance du peuple. C’est un truisme. Les dirigeants politiques, conspués et vilipendés par la rue, sont légitimes pour les quatre prochaines années par les votes de cette même rue. Collectionnant les mandats et les crimes, ils sont élus encore une fois, malgré un programme électoral inexistant et un historique déshonorant marqué par le sceau de l’humiliation des Libanais. Pourquoi leur avons-nous ouvert, une fois de plus, les portes de l’hémicycle ? Leur corruption n’est plus à prouver, et c’est sous leur règne que le pays est devenu une terre de sous-développement et que le peuple a été réduit à une sous-race. Pourquoi les citoyens ont commis la fatale erreur de leur faire confiance de nouveau, alors qu’ils nous ont trahis ?

La première réponse qui me vient à l’esprit est l’ignorance. Et je désigne par ce terme les partisans des partis politiques ancestraux qui, tant les séquelles du lavage de cerveau qu’ils ont subi sont graves, glorifient l’inaction de leurs leaders. On a beau les secouer, leur montrer l’œuvre de leurs idoles, qui n’est autre que l’explosion tragique du port, la dévaluation sans limite de la livre libanaise, la série de pénuries qui martèlent les Libanais (essence, eau, pain, médicaments…), mais en vain. Leurs yeux restent rivés sur leurs dirigeants pour qui ils sont prêts à donner leur sang. Étriqués d’esprit, ils refusent de remettre en question leurs convictions, à croire que leurs lèvres étaient programmées à encenser leurs maîtres de louanges en toutes circonstances. Cette situation, aussi désolante que révoltante, me pousse à me demander si le fameux changement qui devrait être opéré au Liban aura lieu.

Comme le dit si bien Montaigne : « L’ignorance qui se sait, qui se juge et qui se condamne, ce n’est pas une entière ignorance : pour l’être, il faut qu’elle s’ignore soi-même. » On croirait que le philosophe a écrit cela en regardant la bêtise de la société libanaise. Il est des lieux où le savoir est d’emblée valorisé, et dans ces lieux, les peuples vivent mieux. Ils savent discerner le discours d’un diplomate agrégé qui, à défaut d’avoir soif de pouvoir, a soif de réformes, des billevesées d’un corrompu certifié qui, dans un élan ridiculement héroïque, profère des menaces contre les dissidents. Je parle de ces politiciens qui s’improvisent démagogues le jour pour ricaner sur leurs fausses promesses la nuit. L’air finement hypocrite, ils se réjouissent de l’ingénuité de la foule. Au Liban, ceux-ci entretiennent leur hégémonie en attisant les flammes de la naïveté de leurs sujets.

De la même façon que le savoir est une arme, son absence l’est aussi. Les politiciens l’ont bien compris, moins ils éduquent le peuple, plus la terre est fertile pour cultiver des mensonges, plus ils ont du pouvoir. Tout commence dans les écoles, où les slogans et les chants du parti sont repris en litanie par des enfants innocents. Les portraits glorifiant le dirigeant fleurissent sur les murs des établissements, des rassemblements de masse sont organisés au nom de leur leader, la propagande est fervente et la relève est assurée. Les Libanais n’ont décidément rien à envier aux komsomols de Staline et à l’embrigadement de la jeunesse sous Mussolini. Ces petits grandissent en pensant qu’ils ne peuvent pas vivre sans le chef du parti, à qui ils vouent allégeance. Un soutien sans faille qu’ils procurent à leur dirigeant, qui joue alors le rôle de l’État, leur octroyant tout ce dont ils ont besoin, de l’alimentation aux postes de travail. Ce chef pourrait commettre des crimes, enfreindre la loi, détourner les fonds de l’État, il restera saint.

Adhérer à un parti politique n’est pas un problème. Voter pour lui en dépit de sa perversion l’est.

Mise à part l’ignorance, bon nombre d’électeurs désignent les mêmes candidats corrompus pour des raisons de profit. Il se trouve que les législatives représentent une véritable manne financière pour certains partisans. Toutefois, cela n’est pas le cas de quelques autres Libanais qui croulent sous le poids des menaces de leur parti et finissent par lui donner leurs voix malgré eux.

Bien que les cantiques de la douleur résonnent au cœur de chaque maison libanaise, l’auréole de sainteté qui nimbe les dirigeants demeure. Et gare à celui qui ose les insulter ! Une armée d’abrutis l’attaquerait si farouchement qu’il abandonnerait l’affaire. En effet, la violence est le dernier refuge de l’incompétence.

Ce n’est pas une coïncidence si ignorance et arrogance riment, effectivement, elles vont de pair. Non seulement les fidèles aveuglés votent en masse pour leurs leaders, mais en prime, ils infligent un supplice à la nation. Ils la tuent deux fois, la première en muselant l’espoir du changement et la seconde en étant les parrains d’un système inefficace, stérile et sénile.

L’ignorance est le fléau silencieux qui gangrène le projet d’un Liban prospère. Ennemie de la connaissance, elle soulève les fils d’une même nation les uns contre les autres, alors que le vrai adversaire est le système étatique. Une véritable dictature déguisée sous de plus luisants apparats s’est érigée, menaçant les piliers de la démocratie et l’avenir du pays. Des foules entières vénèrent un voleur et l’opposition est souvent passée sous silence. Les plus ardents des patriotes quittent le Liban à mesure que la foi des partisans en leurs dirigeants croît.

La seule façon d’éliminer les politiciens corrompus de la scène est de ne plus leur donner nos voix. Et la seule manière de le faire est d’éradiquer l’ignorance. Puisse ce Phénix ressuscité mille et une fois reprendre vie pour de bon, quand éducation, patriotisme et condamnation des criminels ne seront plus une utopie.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

L’élite vit de l’ignorance du peuple. C’est un truisme. Les dirigeants politiques, conspués et vilipendés par la rue, sont légitimes pour les quatre prochaines années par les votes de cette même rue. Collectionnant les mandats et les crimes, ils sont élus encore une fois, malgré un programme électoral inexistant et un historique déshonorant marqué par le sceau de...

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