Les raisons de la percée historique de Marine Le Pen

Au lendemain des élections législatives françaises de 2022, le président français Emmanuel Macron voit son leadership fortement ébranlé. Sa coalition Ensemble ! perd la majorité absolue à l’Assemblée nationale française, contraignant ainsi le président à rechercher le soutien d’autres groupes politiques pour faire passer ses réformes. Plus pertinemment, ces élections ont confirmé la percée spectaculaire du Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen dans le paysage politique français. « Le peuple s’est exprimé », s’est exclamée une euphorique Marine Le Pen, elle-même largement réélue dans son fief d’Hénin-Beaumont (qui fait partie de la onzième circonscription du Pas-de-Calais) contre son éternelle adversaire locale Marine Tondelier qui appartient à la coalition de gauche Nupes.

La jubilation de Marine Le Pen est justifiée. En effet, le RN obtient un résultat inédit au second tour des législatives avec 89 sièges, malgré un mode de scrutin qui lui est habituellement défavorable et inadapté. Pour mettre les choses en perspective, il suffit de se souvenir que le Front national (FN), le prédécesseur du RN actuel, ne comptait que 8 députés en 2017. La progression du parti de l’extrême droite se multiplie donc par un facteur de onze, du jamais-vu dans les annales de la politique française. C’est un tsunami, un raz de marée, une vague bleu marine qui envahit l’Assemblée nationale française.

Mais quelles sont donc les raisons de la percée historique de Marine Le Pen ? Au cours de la dernière décennie, elle a entraîné son parti vers une sorte de « populisme social ». Par exemple, elle propose de réduire la TVA, d’augmenter les bas salaires, de soutenir le pouvoir d’achat, de réduire l’âge de la retraite et d’augmenter les pensions. De surcroît, elle a réussi le tour de force d’élargir son électorat en combinant des positions de droite (comme le combat contre l’émigration, la délinquance et le terrorisme) avec celles de la gauche (comme la protection des systèmes de la santé, de l’éducation et d’autres acquis sociaux). Elle a aussi rectifié ses erreurs d’antan. En l’occurrence, elle ne souhaite plus que la France sorte de la zone euro, une hypothèse qui avait jadis effrayé moult électeurs français.

Pour se différentier d’Emmanuel Macron souvent décrit par les médias comme le « technocrate ultime » ou le « président des riches », Marine Le Pen se plaît à se donner l’apparence d’une citoyenne proche du peuple. Sur le plan personnel, elle projette un profil volontaire de mère célibataire qui aime les chats. Elle se veut plus humble et plus terre à terre qu’un Emmanuel Macron souvent perçu par les masses, à tort ou à raison, comme condescendant et arrogant. C’est probablement la raison pour laquelle le message de Marine Le Pen trouve un écho favorable dans les zones rurales défavorisées. En outre, son message se concentre plus amplement sur le thème de « la protection des Français » que sur le thème du « changement en France ». De surcroît, elle exploite judicieusement le désenchantement, voire le dégoût, d’une grande composante de l’électorat français vis-à-vis de la classe politique actuelle. Beaucoup d’électeurs sont las de voter contre leurs propres convictions politiques afin de bloquer la progression de l’extrême droite. En d’autres termes, les sentiments anti-extrême droite sont beaucoup plus aléatoires dans la France d’aujourd’hui. Pour de nombreux électeurs français, il y a aussi moins de honte à soutenir ostensiblement le parti d’extrême droite qu’il y a à peine une décennie.

Incontestablement, Marine Le Pen a travaillé dur pour adoucir, voire embellir son image. Durant longtemps, elle a été marginalisée, voire violemment malmenée, par les médias français. La métamorphose semble parfaitement fonctionner. Elle se démarque nettement de son père Jean-Marie Le Pen, ancien candidat à la présidentielle et dirigeant d’un FN outrageusement raciste. À titre d’exemple, son père voulait expulser impitoyablement les étrangers, et surtout les musulmans. Par contre, elle énonce qu’elle est contre le racisme et les préjugés. Elle veut tout simplement que les personnes résidant en France respectent les lois et la Constitution. Les labels « islamophobe » et « xénophobe », qui lui collent à la peau depuis belle lurette, semblent s’être dissipés avec le passage du temps.

Dans la foulée des législatives, elle a pris la décision audacieuse de ne plus assumer la présidence du RN afin de se consacrer entièrement à la direction du futur groupe parlementaire de son mouvement. En effet, elle souhaite devenir une députée active et influente au sein de l’Assemblée nationale française, surtout que les cinq prochaines années du mandat d’Emmanuel Macron s’annoncent particulièrement tumultueuses. Il ne fait pas de doute que Marine Le Pen a le vent en poupe. C’est donc dans cette perspective d’incertitude politique que l’avenir du RN s’annonce globalement serein.

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