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Nos Lecteurs ont la Parole

Ma vie est un chaos

Je suis seul à Dubaï. Ma famille est éparpillée entre Beyrouth et Paris. Tout va bien, je suis en bonne santé, en sécurité, dans un pays en paix. Je joue au foot trois fois par semaine avec des jeunes de plusieurs nationalités. Je marche ensuite en boitant, courbé comme un vieil homme de 52 ans pendant les jours suivants, avant de brusquement me redresser et repartir pour un nouveau match. Ma vie est un chaos.

Je laisse mon scooter électrique quelque part dans le quartier, où je l’oublie pendant plusieurs semaines. Lorsque je m’en aperçois et repars le chercher, je le retrouve là où je l’ai laissé. Si je ne le retrouve pas, la « sécurité » me le rend sur présentation de ma carte d’identité. Je laisse la porte de mon appartement ouverte. Je pars en voyage. Je rentre dans mon appartement. Personne n’est entré.

Je me balade à pied. La chaleur est torride. Il ne fait pas tellement chaud. Je bois un verre dans un pub à DIFC, entre une bande d’Italiens endiablés et des employés aux regards abattus. Je fête seul mon anniversaire. Trop jeune ou trop âgé. C’est une question de perspective. Ma famille m’attend à Paris, à Beyrouth et à Chypre. Ma fille joue dans une pièce de théâtre à Paris que je ne verrai pas. J’entame mon second verre de Moscow Mule. Je note mes impressions sur un carnet. Je relis les premiers passages de mon manuscrit. Mes yeux pleurent en les lisant. La fiction précède toujours la réalité. La réalité devient souvent une mauvaise fiction. De nouveaux visages arrivent et me rendent le sourire. Je ne suis pas en colère. Je suis triste. Je suis bien. Je me culpabilise d’être bien. Je suis triste pour mon pays. Le taux du dollar grimpe. Le taux du dollar descend. Tout le reste s’enfonce. Tout se détériore dans un pourrissement sans fin. J’ai tout compris. Je n’ai pas pu transmettre le message. J’ai lancé des boomerangs qui me sont revenus dans la gueule, heureusement. Je n’ai rien compris. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps. J’essaie simplement d’esquisser la tristesse et la joie sur une page blanche en espérant que cela va m’aider à comprendre quelque chose au bordel autour de moi. J’ai compris depuis longtemps que ma vie ne pouvait être qu’un chaos. Comme vos vies d’ailleurs. Rien dans l’existence n’est autre chose qu’un chaos. J’ai grandi dans un chaos que j’appelle mon pays. Et le chaos me poursuit partout. Il faut savoir s’adapter au chaos. C’est ce qui reste à faire. Je me mets à la place de l’autre. Je découvre la douleur. C’est intéressant. C’est insupportable. J’entrevois de nouveaux territoires. Les choses plus superficielles m’intéressent de moins en moins. Une fraction de seconde et tout bascule. J’ai plus appris durant cette année que durant une vie entière et je ne sais pas si c’est une bonne chose. Mon père me manque.

Pas un jour ne se passe sans que je pense à toi, sans que je rêve de toi. Toujours le même rêve. Je m’envole, je m’élève dans le ciel, et je retombe, et puis au tout dernier moment, avant de m’écraser par terre, tu t’interposes et me rattrapes en plein vol. « Tout ce qui compte c’est l’amour », me dis-tu. C’est la seule force qui peut stopper un homme dans sa chute ou un pays dans sa dislocation, ou un monde dans sa folie. La seule qui soit assez puissante pour nier les lois de la gravité et de la finitude. Je me sens léger. Je n’ai rien à craindre. Je cherche un sens à tout cela. Rien n’a de sens. La vie est comme ça, c’est tout. Nos vies sont des chaos ambulants, c’est douloureux, c’est exaltant, et c’est très bien comme ça. Une dernière chose avant de conclure : si vous cherchez un peu d’ordre dans cette écriture qui se veut chaotique, ne cherchez pas, c’est comme chercher un peu de logique dans les décisions de la banque centrale, ou un peu de décence dans le cercle parlementaire de mardi dernier, il n’y en a pas.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je suis seul à Dubaï. Ma famille est éparpillée entre Beyrouth et Paris. Tout va bien, je suis en bonne santé, en sécurité, dans un pays en paix. Je joue au foot trois fois par semaine avec des jeunes de plusieurs nationalités. Je marche ensuite en boitant, courbé comme un vieil homme de 52 ans pendant les jours suivants, avant de brusquement me redresser et repartir pour un nouveau...

commentaires (1)

La vie est un mystère. Seul le créateur peut vous donner une vraie joie. P.S: je suis laïc.

Eddy

22 h 45, le 03 juin 2022

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Commentaires (1)

  • La vie est un mystère. Seul le créateur peut vous donner une vraie joie. P.S: je suis laïc.

    Eddy

    22 h 45, le 03 juin 2022

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