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Société - anniversaire

Symbole centenaire de l’amitié franco-libanaise, l’Hôtel-Dieu navigue vent debout

« Avec 50 % de nos candidats résidents qui partent, 30 % d’effectifs en moins et 170 départs dans les rangs du personnel, on ne pourra plus couvrir tous les services », déplore le doyen de la faculté de médecine de l’USJ, le Dr Roland Tomb.

Symbole centenaire de l’amitié franco-libanaise, l’Hôtel-Dieu navigue vent debout

Le doyen de la faculté de médecine de l’USJ, le Dr Roland Tomb, prononçant son allocution. Photo DR

Niché sur le flanc de la colline d’Achrafieh « à l’abri du vent du nord » comme l’ont voulu ses architectes, l’Hôtel-Dieu de France a cent ans. Né deux ans après la proclamation du Grand Liban (1er septembre 1920), ce grand hôpital a marqué notre histoire. Sur beaucoup de plans, notamment le caractère non discriminatoire de son accueil, il ne se contente pas de bien faire, il donne l’exemple. Il l’a montré avec éclat, en particulier après le cataclysme du 4 août 2020 et tout au long de la pandémie du Covid-19. Il n’empêche que ce fleuron du système de santé libanais est gravement affecté par la crise économique et financière qui saigne le pays, et navigue en ce moment vent debout.

La pose de la première pierre de l’Hôtel-Dieu de France eut lieu le 2 mai 1922, rapporte un précieux livret publié pour le centenaire, œuvre conjointe du doyen de la faculté de médecine de l’USJ, Roland Tomb, et du chef du département d’histoire de l’USJ, Christian Taoutel.

Dans le discours qu’il prononça à la cérémonie de pose de la première pierre, le père jésuite Claudius Chanteur, recteur de l’Université Saint-Joseph à l’époque, expliqua en présence du haut-commissaire de France en Syrie et au Liban, le général Henri Gouraud, par ailleurs membre de l’Académie française, le sens et l’origine de cette appellation si typique. « Il s’agit, a-t-il dit, d’un vieux mot de notre langue française, dont il rappelle l’origine latine et l’âme chrétienne. L’Hôtel-Dieu, c’est la maison où sont reçus le pèlerin, le mendiant, le malade (…). Le premier Hôtel-Dieu dont l’histoire relève la trace fut fondé à Lyon, vers 512 (…). Mais peu à peu, sous l’action de la vie sociale, il cessa d’être un hospice pour rester surtout un hôpital. »

L'édito d'Anthony Samrani

Populismes à la libanaise

Pour mieux faire ressortir le lien de coopération entre la Compagnie de Jésus et l’État français laïc et anticlérical de l’époque, il ajouta : « Maison de Dieu, j’allais dire donc maison de la France. Vous connaissez le proverbe : “Je suis chez moi comme le bon Dieu en France”. En tout cas notre Hôtel-Dieu sera tout à fait la maison de la France. »

De fait, le terrain sur lequel s’élève l’Hôtel-Dieu était et reste propriété de l’État français qui en a confié la gestion par « contrat emphytéotique » (bail de longue durée) à l’Université Saint-Joseph.

Un an après la pose de la première pierre, l’Hôtel-Dieu était solennellement inauguré en présence du nouveau haut-commissaire, le général Maxime Weygand. Dans son discours, il fit une fois pour toutes le lien d’interdépendance entre cet hôpital et la faculté de médecine fondée en 1883, dont il est depuis lors le Centre hospitalier universitaire (CHU).

La cérémonie de pose de la première pierre de l’Hôtel-Dieu de France, le 2 mai 1922. Photo d’archives USJ

Charisme fondateur

Cent ans plus tard, c’est au charisme fondateur d’excellence dans les soins, d’humanité dans l’accueil et de francophonie dans l’expression, que l’Hôtel-Dieu veut rester fidèle, a expliqué en substance le recteur de l’USJ, le Pr Salim Daccache s.j., au cours d’une cérémonie oratoire marquant le début des manifestations du centenaire.

Pour sa part, s’écartant des poncifs d’usage en pareilles circonstances, le médecin qui, depuis 2011, préside aux destinées de la faculté de médecine, dont il a déjà été réélu doyen à deux reprises, a lancé une plaidoirie passionnée pour la défense de l’Hôtel-Dieu et du Liban.

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« La façon dont cet hôpital a résisté durant la guerre civile tient du miracle, a martelé le Dr Tomb dans son allocution. Je le dis pour la première fois publiquement et avec émotion, j’étais sans doute parmi les premiers blessés qu’il a reçus. L’Hôtel-Dieu m’a sauvé la vie. En accomplissant son devoir, en bravant les dangers, cet hôpital n’a pas seulement fait œuvre de résilience, mais de véritable résistance, face à la furie des hommes et à l’acharnement des occupants. »

« J’appelle les Libanais de la diaspora, mais aussi ceux de l’intérieur, à ne pas baisser les bras (devant la crise), a enchaîné le doyen de la faculté de médecine de l’USJ. Je pense à l’exode des Libanais, notamment à celui des médecins sur lequel on a beaucoup épilogué. La lassitude et le défaitisme, qui se sont répandus de façon épidémique (…). La panique s’est révélée plus contagieuse et plus pernicieuse que le virus. Sachons résister à tous ces démons, oui sachons résister à tous ces démons, car la résistance ne consiste pas seulement à porter des armes : en l’occurrence, ces temps-ci, la résistance consiste surtout à ne pas porter des valises. »

La cérémonie d’inauguration dans une publication de l’époque. Photo d’archives USJ

L’exode des cerveaux

C’est clair, l’exode des cerveaux, en particulier des médecins et du personnel infirmer, hante le Dr Tomb, qui brosse un portrait plutôt sombre de la situation, bien éloigné d’un triomphalisme de commande.

« Avec 50 % de nos candidats résidents qui partent, 30 % d’effectifs en moins et 170 départs dans les rangs du personnel infirmier, on ne peut plus couvrir tous les services », déplore le doyen de la faculté de médecine de l’USJ, qui voit les plus brillants de ses étudiants rejoindre d’autres hôpitaux où ils sont mieux payés, ou quitter le Liban. « Sans les internes et les résidents, aucun service ne peut fonctionner », explique-t-il, avant de s’indigner du peu de cas qu’on fait de cet exode.

Pour sa part, la Dr Éliane Ayoub, responsable des internes et résidents à l’Hôtel-Dieu, confie « préférer fermer des services que d’accepter des résidents venus d’autres universités, si leurs compétences ne sont pas du niveau requis ».

Le jour de l’inauguration de l’établissement hospitalier. Photo d’archives USJ

Tout n’est pas noir

Bien entendu, tout n’est pas noir à l’Hôtel-Dieu. Prenant la parole à la cérémonie du centenaire, l’ambassadrice de France Anne Grillo rendra hommage à la compétence du nouveau directeur général de l’hôpital, Nassib Nasr, qui « du logo à la production autonome d’électricité, en passant par l’accès aux soins des plus vulnérables, sans oublier la mutualisation et l’union des forces avec les hôpitaux voisins d’Achrafieh, ne néglige aucun sujet ».

Parmi ces derniers, il y a bien entendu le carburant. « Il nous faut 15 000 dollars par jour de mazout », avoue devant nous M. Nasr. « Mais nous ne sommes pas à genoux ! » enchaîne-t-il, tout en assurant que « ce qui est social est très travaillé en ce moment ».

Il promet notamment à partir du mois de juillet une augmentation du pourcentage du salaire payé en argent frais, notamment aux résidents (qui recevront, selon les catégories, entre 550 et 750 dollars/mois, ainsi qu’une indemnité de transport), et l’organisation d’un grand congrès médical.

Parce que « l’accès à la santé est une composante fondamentale du premier des droits, le droit à la vie », Mme Grillo a annoncé de son côté qu’un « soutien exceptionnel conjoint d’un million d’euros sera versé à l’Université Saint-Joseph et à l’Hôtel-Dieu de France pour lui permettre de poursuivre son accompagnement des étudiants qui en ont le plus besoin. ». Ce sont près de 1 000 étudiants que nous souhaitons ainsi soutenir, grâce au fonds des écoles d’Orient et au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères », a-t-elle dit.

Par ailleurs, un don significatif de médicaments est en train d’être finalisé avec le ministère de la Santé, afin d’acheminer à l’Hôtel-Dieu les médicaments qu’il ne trouve plus localement, a précisé la diplomate.

L’Hôtel-Dieu de France compte aujourd’hui près de 500 lits et accueille environ 35 000 patients par an. Il assure des urgences médicales et chirurgicales 24h/24. Il a en outre développé un hôpital de jour et un centre de soins primaires abordable par tous, et a introduit plusieurs innovations, comme un centre de radiothérapie de pointe, un centre d’ophtalmologie high-tech en partenariat avec LaserVision et le centre global de réhabilitation Lætitia Hatem.

Dans son allocution, le Dr Tomb a appelé à une renégociation rapide du bail emphytéotique qui expire dans 12 ans. Car 12 ans, c’est le temps de formation normale d’un étudiant en médecine. Une anticipation favorablement accueillie par le recteur de l’USJ et l’ambassadrice de France.

Niché sur le flanc de la colline d’Achrafieh « à l’abri du vent du nord » comme l’ont voulu ses architectes, l’Hôtel-Dieu de France a cent ans. Né deux ans après la proclamation du Grand Liban (1er septembre 1920), ce grand hôpital a marqué notre histoire. Sur beaucoup de plans, notamment le caractère non discriminatoire de son accueil, il ne se contente pas de bien...

commentaires (2)

Rien a vanté actuellement à l'hôtel dieu. Seulement les riches et en possession de dollars liquides y ont accès. Des prix hors normes. Ils vont chômer davantage et verront les lits occupés de moins en moins. Les factures sont incompréhensibles et cachent des imprévus de dépense (solidarité, etc..)

Esber

17 h 04, le 31 mai 2022

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Commentaires (2)

  • Rien a vanté actuellement à l'hôtel dieu. Seulement les riches et en possession de dollars liquides y ont accès. Des prix hors normes. Ils vont chômer davantage et verront les lits occupés de moins en moins. Les factures sont incompréhensibles et cachent des imprévus de dépense (solidarité, etc..)

    Esber

    17 h 04, le 31 mai 2022

  • Plusieurs des étudiants et résidents qui quittent sont siphonnés par les hôpitaux Français et Belges…..

    Robert Moumdjian

    06 h 15, le 31 mai 2022

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