Depuis qu’on est tout petit, nos parents et leur entourage nous bassinent de croyances populaires et autres mythes urbains. Tout commence avec le père Noël. Le rêve de chaque enfant, et le premier mensonge de ses parents. Un bonhomme vêtu de rouge et blanc qui va s’avérer inexistant. Une fois l’âge de raison arrivé, cette légende est détruite, provoquant le premier grand désarroi des gamins.
Entre mensonges, fictions et superstitions, on grandit avec la crainte qu’ils s’avèrent être vrais. « Ne nage pas après avoir mangé, tu risques de te noyer » ; « ne fais pas pipi dans la piscine, une mare rouge se répandra autour de toi. » Combien de fois a-t-on entendu nos mamans nous répéter ces foutaises ? Et combien de fois, lorsqu’une envie pressante s’est déclarée, on a eu peur d’être humiliés devant tout le monde ? « Si tu louches et que quelqu’un te fait peur, tu resteras comme ça à vie. » « La masturbation rend sourd et chez les Anglo-Saxons, aveugle. » Eh bien non, pas de panique, cela n’arrivera jamais. Quant à notre alimentation, elle regorge de fausses affirmations qui nous accompagneront à vie. « Mange ta soupe, tu deviendras grand » ; « mange des carottes, tu auras une meilleure vue » ; « si tu fais tomber ton concombre sur le sol, tu as 5 secondes pour le reprendre avant que les germes ne l’attaquent » ; « si tu avales ton chewing-gum, il restera sept ans dans ton estomac ». Rien de tout ça n’est vrai, même si boire du lait augmente le calcium dans le corps. Mais pas après l’âge de deux ans, on ne le digère plus. « Ne sors pas les cheveux mouillés, tu vas t’enrhumer. » Aussi légendaire que la fameuse « safit hawa ». Du grand n’importe quoi. Demandez à n’importe quel médecin. Le vent ou l’air conditionné ne nous mettent jamais une claque pour nous coincer le dos ou nous filer une grippe.
Et les superstitions ont pris le relais, n’importe quoi nous portant malheur. Ne passe pas sous une échelle ; attention au chat noir ; ne laisse ni les ciseaux ni l’armoire ouverts ; ne donne pas le sel à quelqu’un de main à main ; ne casse pas un miroir, t’es foutu pour 7 ans, idem si tu trinques sans regarder l’autre dans les yeux, ou avec de l’eau ; ta pantoufle ne doit pas être retournée, sinon c’est une insulte à Dieu ; on ne doit pas être 13 à table, Judas sera présent ; ne pose pas ton sac par terre, ton argent va s’envoler… Et j’en passe.
Mais la plus belle de toutes les inepties débitées par la plupart des Libanais, et surtout en ce moment, à quelques semaines des élections, est la sempiternelle : « Je ne vais pas voter, cela ne sert à rien », suivie du « Chou, wefit aleyyé ? » Et parfois, lorsque quelqu’un décide de se rendre aux urnes, il nous sort son stupide : « Je préfère voter pour un mal que je connais plutôt que celui que je ne connais pas. » Et cela fait des années, voire des décennies, que ça dure. Le peuple n’y croit plus et ne veut plus rien tenter pour changer les choses. Il préfère continuer à s’appuyer sur tel ou tel homme politique parce qu’il a asphalté la rue devant chez lui, payé l’opération de sa mère ou scolarisé son neveu. Malheureusement, la situation n’est pas près de s’améliorer si la majeure partie des gens pense encore ainsi.
Parce que oui, wefit 3a laykon. Oui, votre vote peut changer la donne. Oui, il y a certaines listes de l’opposition composées de personnes efficaces et extraordinaires, qui feront leur possible afin d’œuvrer pour le Liban. Et que non, voter pour les mêmes salauds n’est pas un moindre mal. Il faut voter contre eux. Voter pour la liste contestataire qui a le plus de chances de remporter des sièges. Voter en oubliant ses amitiés, ses préférences, sa haine de certains candidats. Voter parce que c’est notre seule arme contre un système qu’on doit faire sauter. Une classe dirigeante qui se contrefout du bien-être de ses compatriotes, les poussant à fuir et à crever en pleine mer. Une classe dirigeante corrompue jusqu’à la moelle qui nous a pris en otage. Il faut voter, même si on doit prendre la route pendant deux heures. Et tant qu’à faire, si on croit aux superstitions, croisons les doigts.
Chroniqueuse, Médéa Azouri anime avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth.Épisode du 20 mars : Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige
commentaires (5)
Ceux qui ne votent pas (même blanc) n’auront pas le droit de se plaindre!
Gros Gnon
16 h 45, le 28 avril 2022