Tout ce que nous aurons fait depuis le 17 octobre 2019 nous aura donc menés à ça ? À une guerre d’ego à tous les niveaux. Dans les rangs des soi-disant révolutionnaires, à ceux de l’opposition, sans oublier ceux des wannabe stars des réseaux sociaux. Nous nous sommes réunis tout d’abord main dans la main sur la plupart des places du Liban et d’ailleurs. Nous avons, ensemble, scandé des slogans, chanté l’hymne national à tue-tête, fait une chaîne humaine. Puis nous nous sommes battus. Nous avons essuyé les coups et nos larmes. Nous avons fui les forces de l’ordre, leurs balles et le gaz lacrymogène. Nous avons transporté nos amis à l’hôpital sous une pluie battante. Nous avons crié notre révolte maintes et maintes fois. Puis nous avons vécu le pire. Le 4 août 2020. Nous avons, ensemble, vu la mort, le sang, les drames. Là, une fois encore, nous nous sommes unis pour sauver ce qui nous restait d’humanité et aider ceux qui avaient tout perdu. Nous avons distribué de la nourriture, enlevé les débris de sous les décombres, nettoyé les rues de Beyrouth, reconstruit ce qui pouvait l’être. Nous avons à nouveau crié notre rage… Une fois le calme amer revenu, nous nous sommes mobilisés en vue des élections. Les locaux ont poussé les expatriés à s’inscrire, les expatriés ont fait bouger les choses. La danse entre ici et là-bas était harmonieuse, on œuvrait tous dans la même direction. En y croyant dur comme fer. Et puis, soudain, comme la foudre s’abattant sur le toit d’un immeuble, le mécanisme s’est déréglé. Le narcissisme, l’ego et le cannibalisme sont entrés en jeu. Et en puissance. Tout le monde a essayé de bouffer tout le monde.
Il y a ceux qui ont décidé de s’approprier, et à titre personnel, la thaoura, se prenant pour les porte-étendards du soulèvement d’octobre 2019, préférant la jouer en solo en formant leurs propres listes électorales. Comme si on avait le luxe, aujourd’hui, de se séparer. De se disputer ces sièges entre nous, comme on se disputait notre tartine de labné dans la cour de récréation. Les réunions et tractations avaient beau avoir lieu, nul ne pouvait contrer l’ego surdimensionné de certaines personnalités qui n’en avaient que pour leur pomme. Et il y a ceux, issus de ces différents mouvements politiques nés de la révolution, qui se sont rassemblés parce qu’ils ont compris que ce n’est que de l’union que vient la force. Mais lorsque les listes des candidats sont tombées, la majeure partie du peuple libanais n’a rien compris. Des gens bien ornaient ces listes. Des gens contre le pouvoir… mais pas ensemble. À coups d’alliances et de mésalliances, de « non, pas eux », de purisme mal placé et de pensées contradictoires, l’opposition s’est retrouvée écartelée entre les nouveaux venus, ceux qui sont là depuis longtemps, ceux qui y ont cru et ceux qui en profitent. Au lieu de faire front commun et de s’écharper une fois à l’intérieur de l’hémicycle, un grand nombre de figures prometteuses ont préféré la scission, affaiblissant ce bloc qui aurait pu être d’une grande puissance. Un bloc qui a explosé de l’intérieur, à la grande joie de la crasse politique au pouvoir depuis 40 ans.
Mais cette débâcle n’est pas seulement l’apanage des politiques en devenir. Elle est également celui de certains activistes déçus de n’avoir plus leur mot à dire ou leur pancarte à brandir, de petites gens en quête de ces fameuses quinze minutes de célébrité sur les réseaux sociaux. Chacun prenant tour à tour pour cible des individus ou des groupes, pensant qu’en leur crachant dessus, ils en sortiraient grandis et surtout qu’ils auraient gagné. Malheureusement, quand on ne sait pas voir plus loin que le bout de son nez et, dans ce cas bien précis, plus loin que derrière son écran de téléphone, on n’est pas à même de constater que cette minibataille menée devant 100 spectateurs n’aura pas été une victoire mais une défaite. Notre défaite à tous face à ces vautours qui se gargarisent de nos dissensions.
Mais il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard. Les 6, 8 et 15 mai prochains, les Libanais se rendront aux urnes. Les listes sont là, et dans chaque circonscription, il y en a une qui réunit une grande partie des défenseurs de ce qui reste du Liban. Et ce sera pour eux qu’il faudra voter. En oubliant anciens griefs, fausses rumeurs, inimitiés, préférences individuelles et animosités. En ne disant plus que « ça ne sert à rien de voter, ça ne changera rien ». Il est temps de le provoquer, ce foutu changement. La porte du Parlement est entrouverte, à nous de la défoncer.
Chroniqueuse, Médéa Azouri anime avec Mouïn Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets avec des invités de tous les horizons. Tous les dimanches à 20h, heure de Beyrouth.
Épisode du 10 avril sur Mar Charbel avec Raymond Nader
commentaires (5)
Vous vivez toujours dans l'air de ce funeste 17 oct 2019 ?. Je vous rappelle qu'à la veille de ce jour de mauvais augure le dollar était au beau fixe, scotché à 1500 LL. Nous en sommes à un niveau de pauvreté jamais connu dans l'histoire du Liban. La Saoura était programmée manigancée pour détruire le pays et ça a fonctionné à la perfection. Où sont aujourd'hui p les surexcités de la contestation pendant que le pays a rendu l'âme ?
Hitti arlette
15 h 17, le 26 avril 2022