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Lifestyle - Photographie

Myriam Boulos, l’œil de l’oiseau

C’est une brindille avec la fragilité d’un moineau, mais du moineau, elle a le regard vif, précis et plongeant. Sur « Vision », podcast de la photographie contemporaine, Myriam Boulos décrit quelques-unes de ses photos les plus iconiques et parle de son parcours.

Myriam Boulos, l’œil de l’oiseau

« Dis aux arbres de sourire. » Photo Myriam Boulos

Myriam Boulos a intégré l’agence Magnum en septembre dernier. La jeune photographe libanaise poursuit, en parallèle de son travail journalistique, une œuvre personnelle dans la foulée de la « révolution » d’octobre 2019. Dans un podcast, le 32e du projet Vision fondé par le photographe français Aliocha Boi pour, dit-il, « parler d’un monde visuel dans un format audio en confrontant différents générations et avis afin de pouvoir traiter au mieux de tous les aspects de la photographie », Myriam Boulos se confie, d’une photo à l’autre, sur son cheminement. « Chaque année, l’agence Magnum Photos vote pour intégrer à sa prestigieuse liste de photographes de nouvelles recrues. La Libanaise Myriam Boulos ainsi que le Français William Keo ont été sélectionnés comme nominés à l’issue de la 74e assemblée générale. C’est ainsi que j’ai découvert le travail de cette talentueuse photographe », commente Aliocha Boi.

« Dis aux arbres de sourire »

« Je pense que quand je fais des photos, j’essaie de mettre la lumière sur des choses qui sont normalisées, alors qu’elles ne devraient pas l’être. Je pense que ce sont des choses qui n’ont pas vraiment de solution immédiate, et pour moi, en parler, les extérioriser, passe par la photo. C’est le premier pas vers la dénonciation de ces choses, une façon d’agir sur elles au lieu d’en être victime », affirme la photographe. Apparaît alors une photo d’une main ridée sur laquelle est posée une minuscule fleur des champs. Myriam Boulos explique : « C’est une image que j’ai prise il y a un an à peu près. C’était en hiver, un matin où il y avait beaucoup de soleil. J’étais chez ma grand-mère. Nous étions installées sur le balcon, puis elle m’a donné cette toute petite fleur qu’on voit sur la photo, et en me la donnant, elle m’a dit “Dis aux arbres de sourire”. C’était pendant une phase très difficile. Aller chez ma grand-mère, c’était un peu retourner à l’essentiel, retrouver un peu de magie et de poésie dans ma vie. Pour moi, c’est une image importante parce que c’est un moment important. C’est une image assez simple : une lumière très contrastée, le fond est tout noir, et toute la lumière est sur sa main en gros plan et à la verticale parce que j’ai tourné l’image. Il y a une toute petite fleur jaune au milieu de sa main. »

Jetée par la fenêtre

Mais tout n’est pas bucolique chez cette brindille dont les projets, audacieux jusqu’à la violence, bien que contenue, contrastent de manière surprenante avec son apparente fragilité. « Je suis Myriam Boulos, dit-elle en étouffant un petit rire intimidé. Petite, je jouais de la flûte. J’ai fait 13 ans de conservatoire. Je dessinais aussi, ma mère est illustratrice. En fait, mon premier souvenir par rapport à la photographie se situe à l’âge de quatre ou cinq ans. J’étais en voiture avec ma famille. Nous étions sur l’autoroute. J’avais une toute petite caméra de couleur fuchsia. Mon petit frère, qui n’avait que quelques mois, a pris la caméra et l’a jetée par la fenêtre. Ça reste mon premier souvenir et mon premier lien à la photographie. Je ne me souviens même pas de cette caméra avant ce moment, mais ce moment était très fort pour moi. Un an plus tard, j’avais six ans, nous avons fait un périple à travers le Liban jusqu’en Jordanie, et mes parents m’ont offert, pour me consoler, une grande caméra Fischer, les caméras pour enfant, toute rouge. Apparemment, j’ai passé tout le voyage à faire des photos, surtout des gros plans. »

Myriam Boulos. Photo tirée de sa page Instagram

« Développer son œil »

Vient ensuite le moment, à 16 ans, où le vrai désir de s’engager sur la voie de la photographie se confirme : « Je fais la connaissance à l’école de celle qui devient l’une de mes amies les plus proches. Elle avait une grande caméra sophistiquée, et j’ai dit à mes parents que je voulais la même caméra. Ma mère me dit qu’il faut que je développe mon œil avant d’avoir la caméra. Depuis ce moment, la photographie est devenue la chose la plus évidente et fluide dans ma vie. Entre l’école et le conservatoire, je me perdais dans les rues de Beyrouth avec une petite caméra que je possédais. Et comme je suis à la fois très timide et fascinée par les gens (j’adore les gens), la photo était une manière de me rapprocher d’eux. Dès mes premières photos, mon approche a été un mélange de documentaire et de journal intime. J’ai toujours utilisé la photo pour documenter mon intimité, les gens autour de moi, les gens que j’aime, mais aussi, parce que le Liban est un pays supercontrasté et fragmenté, la photo a été une façon d’explorer Beyrouth, ses habitants et ma place parmi eux, et très rapidement, la photo est devenue une façon de mettre la lumière sur les choses, mais aussi sur le système dans lequel on vit. »

Le pouvoir révélateur du flash

Sur l’évolution de sa technique, Myriam Boulos explique : « Mes photos sont très contrastées et je pense qu’elles sont souvent un peu agressives et très frontales. J’ai très rapidement commencé à utiliser le flash direct. Pour moi, c’est une façon de mettre littéralement la lumière sur les choses et de se rapprocher de la réalité, de rendre les choses réelles. C’est une des raisons pour lesquelles je fais de la photo : pour me rapprocher de la réalité. Pendant les premières années, soit cinq ans jusqu’à la révolution (NDLR : le soulèvement du 17 octobre 2019 contre l’establishment à travers le Liban), je faisais des photos uniquement la nuit, avec le flash, et pour moi, c’était une façon de faire apparaître des choses qu’on ne verrait pas, sinon, à l’œil nu. Plus tard, en 2018, une année charnière pour moi, j’ai commencé à passer à la couleur. Je ne sais pas si c’était un choix conscient, mais je pense que c’était une façon d’enlever un des masques que j’utilise à travers mes différentes esthétiques en photo. Pour moi, ce passage du noir et blanc à la couleur s’est imposé plutôt que je ne l’ai choisi. »

Clichés de la jeune photographe Myriam Boulos qui a intégré l’agence Magnum en septembre dernier. Photo Myriam Boulos/ Magnum Photos

Fantasmes sexuels

Le patriarcat, pour les femmes au Liban et dans le monde arabe, constitue une impasse physique et sociale. À la sortie d’une relation compliquée avec un pervers narcissique, dit-elle, Myriam Boulos se lance dans un projet à valeur cathartique. Elle y pense depuis des années, depuis qu’elle a découvert ses propres fantasmes sexuels. Elle sent le moment venu pour s’y lancer. « J’ai commencé avec un open call sur Instagram, et j’ai reçu plein de mails où les gens se sont confiés. Le projet est encore binaire texte/image dans sa forme. Je demande à la personne qui m’envoie un e-mail comment elle aimerait être photographiée, ce qu’elle aimerait montrer ou cacher, si elle souhaite être très présente dans l’image ou pas du tout. Jusqu’à présent, j’ai fait des photos très frontales, où les femmes se montrent. C’est drôle aussi parce que, très souvent, j’arrive chez des femmes que je ne connais pas, sinon à travers leur mail, et très souvent, en ouvrant la porte, elles disent : «Bon, je vais me déshabiller.» Au début, j’ai pensé que c’était une façon de s’auto-objectifier, tant qu’à faire, mais j’ai réalisé ensuite que c’était plus un acte de résistance : «On nous dit on ne montre pas ses seins, donc je montre mes seins.» » « Notre sexualité en tant que femmes a toujours été approchée sous un regard masculin. Je me sers du fantasme pour parler de choses beaucoup plus vastes que la sexualité », affirme-t-elle, soutenant que la révolution, qu’elle perçoit comme un éveil collectif, politique, social, a énormément changé sa vision photographique. « C’est à partir de là que j’ai commencé à inclure des textes dans mes photos, fragments de journal intime et d’interviews », affirme celle dont la carrière décolle à l’international avec des œuvres ancrées dans la réalité libanaise et partent du local pour toucher à l’universel.

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