Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Un peu plus

Ce pays de tous les traumas

Ce pays de tous les traumas

Photo d’illustration Bigstock

Il y a 47 ans, éclatait la guerre civile libanaise. Les guerres libanaises. Un conflit que beaucoup de Libanais aiment à appeler al-hawedeth, les événements. Comme si ces quinze années de souffrances n’étaient qu’une suite d’événements tragiques isolés dans le temps. De ces années-là, il ne reste que les traumas. Pas de réconciliation, pas de condamnations. Des larmes, des questions et très peu de réponses. Pourquoi nous sommes-nous entre-tués ? Pourquoi nous sommes-nous haïs à ce point ? Et surtout, pourquoi ces chefs de guerre sont-ils restés à la tête du pouvoir en toute impunité ?

Si nous revenons en arrière, à cette date funeste du 13 avril 1975, et que nous parcourons le temps jusqu’à aujourd’hui, le constat est terrible. Pas une génération n’a été épargnée. Quasiment quatre générations portent en elles un trauma. Et malheureusement, ces traumas se transmettent. On les hérite, qu’on le veuille ou pas. Comme on a hérité des précédentes vagues d’exode, où les familles de nos aïeuls ont été scindées. Comme celle de mon grand-père qui n’a jamais plus revu son frère, parti au Mexique en 1946. Comme celles de tant de Libanais, séparés à vie. Nous avons hérité de ces histoires mélancoliques, racontées au gré des déjeuners de famille. « Ton petit-cousin est devenu quelqu’un d’important à São Paulo. » Il porte le même prénom que mon arrière-grand-père. Et puis vint la guerre, entraînant morts et séparations. Un nouvel exil. Parfois en Europe, parfois plus loin. Et nous portons à nouveau ces histoires. Celles de nos parents, de notre famille, de nos amis. On les écoute raconter pendant des heures tour à tour leurs douleurs, leurs craintes, leurs anecdotes. Et lorsqu’on a eu la chance d’avoir été protégés en vivant à l’étranger, on réalise amèrement que rien n’a vraiment changé. Que ces gens brisés le seront une fois de plus des années plus tard. Qu’ils revivront ce que leurs parents ont vécu. La peur et l’éloignement. Puis vinrent 2005 et 2006. Des assassinats et la fin de l’espoir et de l’après-guerre porteuse d’un avenir plus doux. Les nouvelles années dorées d’un Liban qui n’en finit pas de mourir et de renaître. Des assassinats, ancrant en nous les réminiscences d’un passé pas si lointain et le trauma d’avoir vu des gens qu’on aimait se faire tuer… impunément. Après une mini-révolution avortée, vint la guerre avec Israël. Une énième guerre avec Israël, amenant avec elle également son trauma. Un énième trauma. Des bombardements, des morts, un embargo et la fracture de l’économie. Une fois encore, l’aéroport se remplit de Libanais désireux de quitter cette terre maudite. Puis nous eûmes quelques années d’accalmie. Une accalmie illusoire où tout semblait normal. Nous étions dans un Truman Show à grande échelle, inconscients de ce qui allait (nous) arriver. Nous pensions que nous en avions fini avec ces terribles histoires racontées par notre entourage. Que nous sortirions peut-être de ce PTSD inscrit dans notre ADN.

Et vint l’effondrement. Un effondrement abyssal à tous les niveaux. Ceux et celles qui avaient connu la guerre et ses atrocités ont vu leur argent disparaître, volé par les mains trempées de sang de ceux qui leur avaient imposé ces fameux « événements ». La plus importante crise économique depuis la moitié du XIXe siècle, 85 % d’inflation, la disparition de l’électricité, 70 % des Libanais sous le seuil de pauvreté et un chômage terrifiant… Des crises sociale et sanitaire, et une pandémie. C’en était déjà trop pour un peuple marqué au fer rouge par tant de drames. Un peuple qui n’a eu de cesse de lutter pour assurer son avenir et celui de ses enfants. Un avenir qui s’est assombri du jour au lendemain. Nos vies ont été prises en otage, détruites. Et comme si le destin ou les dieux n’en avaient pas fini de nous, le 4 août 2020 est arrivé. Une tragédie sans précédent. La plus grande explosion non nucléaire de l’humanité. La capitale à moitié dévastée, des dizaines de milliers de déplacés, des milliers de blessés et 231 morts. Un trauma incommensurable. Un trauma de plus. Et un nouvel exode. Un exode massif. Les Libanais sont arrivés au bout de leurs forces, éreintés par ces meurtrissures qui valsent en eux. Fracassés par ce pays de tous les traumas.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime avec Mouïn Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets avec des invités de tous les horizons. Tous les dimanches à 20h, heure de Beyrouth.

Épisode du 3 avril : « Le soufisme », avec Bilal Orfali : https://youtu.be/DR4silWozbk

Il y a 47 ans, éclatait la guerre civile libanaise. Les guerres libanaises. Un conflit que beaucoup de Libanais aiment à appeler al-hawedeth, les événements. Comme si ces quinze années de souffrances n’étaient qu’une suite d’événements tragiques isolés dans le temps. De ces années-là, il ne reste que les traumas. Pas de réconciliation, pas de condamnations. Des larmes, des...

commentaires (3)

De grâce n'appelez plus les "7awedeth" guerre civile! C'était une tentative pure et simple des Palestiniens de faire main basse sur le Liban... c'était pour "eux" une guerre "de remplacement" et pour nous libanais une guerre de résistance.

Nabil Bejjani

21 h 30, le 14 avril 2022

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • De grâce n'appelez plus les "7awedeth" guerre civile! C'était une tentative pure et simple des Palestiniens de faire main basse sur le Liban... c'était pour "eux" une guerre "de remplacement" et pour nous libanais une guerre de résistance.

    Nabil Bejjani

    21 h 30, le 14 avril 2022

  • Quelle tragédie. Que dire de plus ?

    Agcha

    14 h 19, le 14 avril 2022

  • j'ajouterai sans hesitation 6 autres annees citees dans cet article- 1969 - 1975. annee 1969 que l'histoire du Liban devrait rappeler a ses citoyens et qui fut le debut de notre fin, debut agree honteusement par la classe dirigeante de l'epoque - ah ce que Kellon yani Kellon aurait sonne aussi vrai alors ! pour ceux qui se poseraient la question a savoir ce qu'elle represente cette date: l'accord du caire. accord funeste qui donna aux assassins de yasser arafat " le droit de la terre" qui s'etendra vite fait a toutes les regions libanaises ou nichaient leurs camps de refugies soit disant civiles. cet accord qui dit-on fut conclu et signe allegrement par celui a qui on aurait promis la presidence de la republique. IL RESTE que notre parlement l'avait contresigne aussi allegrement a l'exception de qqs rares MPs. faudra ne jamais oublier non plus que les forces dites Nationalistes en avaient profite, enfourche la cause palestinienne, l'ont prise comme pretexte a un changement de regime... pour le trahir sans honte. comme quoi seul les noms des usurpateurs ont change. faire de cette date un jour de fermeture totale,eriger au centre ville qq chose qui nous la rappelerait a jamais.

    Gaby SIOUFI

    09 h 38, le 14 avril 2022

Retour en haut