
Un patient accueilli par le personnel médical dans un hôpital à Beyrouth. João Sousa/Photo d’archives
Rafi*, 70 ans, se fait soigner pour un cancer depuis plusieurs mois, mais il a été pris de court la semaine dernière, lorsque son hôpital lui a annoncé que les factures étaient désormais comptabilisées en dollars au taux du marché parallèle. Ce patient devra désormais régler son traitement à un taux proche de 25 000 livres libanaises (le taux du marché parallèle oscille dernièrement autour de ce chiffre), alors que le dollar était calculé à 8 000 livres dans les hôpitaux depuis le début de la crise.
« Je dois payer une différence de plus de 8 000 dollars pour 34 sessions de radiothérapie. On me demande de le faire soit en dollars “frais”, soit en livres libanaises au taux du jour », raconte Rafi à L’Orient-Le Jour. « Ce n’est pas facile d’acquitter de tels montants », ajoute le septuagénaire, qui parvient encore à se faire soigner grâce à son fils qui travaille à l’étranger. « Si on n’a pas les moyens, on est rejeté comme un chien par les hôpitaux et on crève », constate-t-il, amer.
Cette hausse brutale du taux du dollar dans les hôpitaux a été officiellement mise en place à la mi-mars par plusieurs établissements, pour des raisons liées à la crise. « Les fournisseurs nous demandent de payer le matériel médical en dollars au taux du marché parallèle. De plus, les contrats avec les assurances sont désormais effectués en dollars “frais”. Ce qui nous a poussés à facturer à notre tour dans cette devise », explique le Dr Georges Ghanem, directeur médical du LAU Medical Center – Hôpital Rizk. « Nous effectuons par ailleurs des remises de 50 % lorsque nous sommes payés en dollars ou au taux de la plateforme Sayrafa. Cette mesure s’applique aux patients qui paient l’intégralité du montant en cash ou à ceux qui sont assurés (par des compagnies privées et selon le nouveau régime d’assurance qui exige le paiement des cotisations en dollars) », explique le Dr Ghanem.
Car depuis le début de l’année, les compagnies d’assurance demandent à être payées en dollars « frais », au moins en partie. Certains assureurs proposent désormais que la cotisation annuelle soit réglée à 100 %, à 50 % ou à 35 % en dollars « frais ». Les patients payant la totalité de la somme en dollars devraient être exemptés de tout paiement supplémentaire, tandis que les autres régleront les différences au cas par cas.
Le Dr Georges Dabar, directeur médical de l’Hôtel-Dieu de France, explique que son établissement a adopté la même procédure. « La facture totale est désormais calculée au taux du marché parallèle, mais elle n’est jamais payée à ce taux-là par les patients libanais, explique-t-il. Nous effectuons à ce moment-là une escompte de 50 % si la facture est acquittée en espèces et en dollars. Mais si le patient est étranger, il paie le montant entier de la facture. »
Quant aux patients dont les assurances contractées en 2021 et payées en livres libanaises à l’époque ne sont toujours pas arrivées à échéance, ils doivent s’acquitter d’une somme supplémentaire. « Pour les assurances en cours (non renouvelées en dollars frais), le patient paie un surplus de 15 %, dans la devise de son choix, mais en cash », ajoute le Dr Dabar.
Une patiente en pleine discussion avec le personnel d’un hôpital beyrouthin. João Sousa/Photo d’archives
Vingt millions de dépôt aux urgences
Face à ces calculs pour le moins compliqués, la confusion règne parmi les patients qui n’arrivent plus à comprendre le passage d’une devise à l’autre. Tel est le cas de Josiane*, la soixantaine, qui a dû emmener sa mère aux urgences à deux reprises. « À chaque fois, on exigeait un dépôt de 20 millions de livres (aux alentours de 800 dollars au taux actuel du marché parallèle). Ce n’est pas évident de trouver une telle somme en espèces, alors que les banques nous donnent de l’argent au compte-gouttes. On a fait le tour de nos connaissances pour l’obtenir », raconte-t-elle à L’OLJ. Depuis que les restrictions bancaires se sont intensifiées avec la crise, la plupart des hôpitaux n’acceptent plus les cartes bancaires et exigent des paiements en liquide.
Outre ses deux passages aux urgences, la mère de Josiane a également dû être hospitalisée à deux reprises. La famille a dû débourser 10 000 dollars pour une première semaine d’hospitalisation. Puis 13 000 dollars supplémentaires lors de la seconde admission. « Nous avons réglé une partie des frais d’hospitalisation par chèque en “lollars” (les dollars libanais coincés dans les banques), au taux de 8 000 livres libanaises pour un dollar. Mais à chaque hospitalisation, on nous a demandé des avances en dollars et en espèces au taux de 20 000 livres », explique Josiane, dont la mère est couverte à 80 % par une assurance privée. « Nous avons ensuite réglé les 20 % restants au taux de 20 000 livres. On nous a ensuite demandé 900 dollars au taux du marché parallèle », poursuit Josiane, qui avoue être « perdue dans ses calculs ». « Mon frère a les moyens, heureusement. Sinon, je ne sais pas comment on aurait pu s’en sortir, soupire-t-elle. J’ai l’impression que certains hôpitaux facturent à la tête du client. Quand ils ont vu que nous étions prêts à tout pour ma mère, ils n’y sont pas allés de main morte », ajoute-t-elle.
Une ambulance déposant un patient devant les urgences de l’hôpital libanais Jeitaoui, à Beyrouth. Marc Fayad/Photo d’archives
Couverts uniquement par la CNSS, un « problème »
Face à des factures désormais exorbitantes, la situation se complique encore davantage pour les personnes qui ne bénéficient que de la couverture de la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), laquelle continue à calculer le dollar au taux officiel, mais désormais irréaliste, de 1 500 livres. Une situation qui pousse les hôpitaux à se lancer dans des calculs spécifiques pour permettre à des patients aux finances limitées de se faire soigner, tout en restant dans leurs frais. « Lorsque les patients ne sont couverts que par la CNSS, cela pose problème, reconnaît le Dr Georges Ghanem. Pour ces personnes-là, nous encaissons les différences en comptabilisant le dollar à la moitié du taux du marché parallèle. Sauf pour les prothèses. Ce genre d’opération est entièrement facturé au taux du marché parallèle », explique le directeur médical de LAUMC – Rizk.
« Nous essayons d’aider ces patients autant que possible, à travers des escomptes ou certaines caisses sociales dont nous disposons. Mais nous avons besoin d’une politique sanitaire et de financements externes, sinon le secteur ne s’en remettra jamais », met-il en garde.
Le président de l’ordre des médecins, Charaf Abou Charaf, reconnaît pour sa part que « les patients sont soumis à de l’injustice, mais les hôpitaux ont besoin d’argent pour payer leurs fournisseurs ». « Le taux de 8 000 LL pour un dollar n’était pas adapté aux besoins des hôpitaux. Le secteur est dans un état catastrophique », indique le médecin, pour justifier le passage vers les factures dollarisées. Il rappelle par ailleurs que le personnel hospitalier souffre également des conséquences de la crise. « Le salaire des infirmiers varie aujourd’hui entre 60 et 100 dollars. Et 3 000 médecins ont quitté le pays depuis le début de la crise. Tout le monde paie le prix de l’effondrement, du patient au corps médical », se désole-t-il. Le Dr Abou Charaf révèle par ailleurs que les coûts élevés des traitements poussent désormais de nombreux Libanais à négliger leur santé. « Beaucoup de patients sont en train de zapper leurs examens de routine. Ils ne viennent nous voir que quand ils vont très mal », déplore ce médecin.
*Les prénoms on été changés.
Rafi*, 70 ans, se fait soigner pour un cancer depuis plusieurs mois, mais il a été pris de court la semaine dernière, lorsque son hôpital lui a annoncé que les factures étaient désormais comptabilisées en dollars au taux du marché parallèle. Ce patient devra désormais régler son traitement à un taux proche de 25 000 livres libanaises (le taux du marché parallèle oscille...
commentaires (4)
Tfeh…..Tfeh……….
May Ghoriafi
20 h 39, le 26 mars 2022