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Culture - Exposition

Oublier les cendres et rêver Beyrouth en vie et en couleur... à la manière de Darwiche Chamaa

À la galerie Cheriff Tabet, Darwiche Chamaa entraîne le spectateur dans une myriade de couleurs et de formes (autant d’espoirs possibles), pour réinventer la vie et redonner à Beyrouth ce qu’elle mérite. Revivre en couleur et en paix.

Oublier les cendres et rêver Beyrouth en vie et en couleur... à la manière de Darwiche Chamaa

« Raouché 1 », huile sur toile, 110 cm x 100 cm. Photo DR

Beyrouth est en morceaux !

Beyrouth est en mille morceaux et son peuple est à genoux. Mais dans chaque débris, dans chaque éclat continue de battre le cœur d’une mère, d’un père, d’un enfant, d’un jeune homme ou d’une jeune femme. Faut-il pleurer et maudire le sort qui s’acharne sans cesse ou se faire violence et se relever ? Prendre les armes ou prendre le large ? Prendre la parole ou se mobiliser avec ce qui nous reste de ressources ? Face à une histoire (in)humaine et traumatique, l’artiste se soulève dans un désir de surgissement de vie pour opposer à la violence la création. Cela se nomme la résilience. La violence subite agit comme opératrice de créativité, et l’art frappant les esprits par les images symboliques provoque l’émotion du spectateur et vaut tous les discours. Dans son exposition « Memories of Beirut » à la galerie Cheriff Tabet, Darwiche Chamaa interroge la mémoire de sa ville et semble lui chuchoter : « Tu verras, demain est un autre jour… »

Darwiche Chamaa, « Port fragments », huile sur toile, 90 cm x 110 cm. Photo DR

Né en 1981 à Libreville au Gabon, Darwiche Chamaa rentre au Liban en 1991, obtient son baccalauréat technique en dessin et architecture, et poursuit ses études à l’Université libanaise (institut des beaux-arts) où il obtient son diplôme. En 2006, il achève son parcours avec un master en beaux-arts à l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba). Depuis, l’artiste a exposé au Centre culturel français, participé à de nombreuses autres expositions collectives au Liban (Solidere Beyrouth, palais de l’Unesco, musée Sursock, galerie du village Saïfi) ainsi qu’au Festival mondial de la photographie (France). En 2021, il tient une exposition personnelle à la galerie al-Kahila (Le Caire, Égypte). Depuis 2010, il enseigne les beaux-arts dans plusieurs universités.

« Silos 1 », huile sur toile, 120 x 100 cm. Photo DR

Beyrouth en damier multicolore

Témoin de l’effondrement de sa ville, l’artiste absorbe les choses avant de les coucher sur ses toiles. Dans une cristallisation de lumières, chaque œuvre émerge comme d’une farouche bataille contre la pesanteur du sort, porte l’artiste et le spectateur à se soulever et à rester debout dans une ville qu’on met à genoux. Une œuvre puissante et énergique où l’artiste révèle un talent de coloriste au service d’un imaginaire fait de lignes, d’entrelacs, de formes, dans une géométrie personnelle qui transporte le regard. De sa ville brisée, l’artiste a ramassé les morceaux, les transformant en damiers multicolores où la couleur, omniprésente, se divise, se répartit tout au long du récit qui oscille entre figuration et abstraction, un univers fascinant par sa créativité et son renouvellement permanent. Sa palette déploie des noirs éclairés, des reflets changeants de verts flamboyants, des ocres poussiéreux, des jaunes brisés en prisme multiple. Sous les soleils orange, les vieilles demeures gardiennes de nos traditions et de nos valeurs se défont de leurs manteaux de cendres et rejaillissent altières et fières ; de la mer aux tonalités rouges, le rocher de Raouché semble nous appeler à la résistance, et les silos de Beyrouth au souvenir. Les lignes dessinent des petits espaces géométriques, ils sont les espaces de vie. Entretisser les formes, entretenir le doute, préserver le flottement de l’interprétation, dialoguer entre formes et énergies multiples surgissant comme d’impérieuses nécessités dépouillées de toute présence inutile, et voilà l’artiste qui réveille Beyrouth. Et la ville renaît, semblant témoigner de l’intensité du combat intérieur qu’a dû vivre chaque citoyen.

« Fragments of a Lebanese », huile sur toile, 90 cm x 80 cm. Photo DR

« Dans le chaos, je ne vois que l’espoir »

S’il privilégie quelquefois une fluidité dans sa facture, la matière de Darwiche Chamaa alimente souvent le principe génératif de la superposition des couches et perturbe ainsi le regard en confrontant la discontinuité des applications à la continuité et à la régularité de la texture. La matière s’affranchit alors de ses propriétés pour explorer sa propre richesse et imposer une présence. Réalisant ses toiles à l’huile, l’artiste avoue que ce médium lui donne entière satisfaction par sa texture mais aussi par l’odeur qu’il dégage. « J’aime que tous mes sens se réveillent lorsque je travaille », et l’on devine rapidement que son abstraction explosive se nourrit d’étapes successives pour arriver à une œuvre qui attire indéniablement le regard avec toutefois un art de l’équilibre et de la perspective. Ses tableaux s’offrent à voir avec une audace réinventée, de sorte à leur conférer une existence pleinement contemporaine. « Dans le chaos, dit-il, je ne vois que l’espoir, créer de la musique par la peinture, se souvenir de Beyrouth qui tombe pour mieux l’imaginer en train de renaître. »

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« Que l’essentiel soit dans ton regard et non dans la chose regardée », disait Saint-Exupéry. Pour l’artiste, regarder Beyrouth en se détachant du réel, c’est prendre du recul pour réfléchir à un autre demain. Un exercice auquel doit aussi se plier le spectateur, prendre une distance par rapport à la toile pour mieux voir apparaître la ville et se préfigurer un nouveau réel. « Il m’arrive, ajoute l’artiste, de vouloir la lisibilité de la toile naturellement accessible au regard et quelquefois de laisser l’abstraction faire son chemin. L’objectif est de partir du réel pour arriver à le voir d’une autre façon, le modifier par le choix de mes couleurs comme pour préfigurer le rêve. »

Pour Freud, un artiste ignore les lois de l’inconscient mais les incarne dans une œuvre qui peut alors devenir un compromis entre ce qui est refoulé et ce qui est projeté dans la création. Il échappe donc, d’une certaine façon, à la réalité grâce à la création. À charge pour le spectateur de s’échapper avec Darwiche Chamaa et de rêver Beyrouth glorieuse et victorieuse.

« Memories of Beirut » de Darwiche Chamaa à la Galerie Cheriff Tabet, D Beirut, secteur Quarantaine. Jusqu’au 14 avril 2022.

Beyrouth est en morceaux ! Beyrouth est en mille morceaux et son peuple est à genoux. Mais dans chaque débris, dans chaque éclat continue de battre le cœur d’une mère, d’un père, d’un enfant, d’un jeune homme ou d’une jeune femme. Faut-il pleurer et maudire le sort qui s’acharne sans cesse ou se faire violence et se relever ? Prendre les armes ou prendre le large ? Prendre la...

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