Suite à une décision de justice la visant, Fransabank, l’une des plus importantes banques du Liban en termes de dépôts avant la crise, a annoncé mercredi qu’elle « s’excusait de son incapacité à exécuter les opérations » demandées par ses clients citant notamment les virements des traitements et salaires des employés du secteur public entre autres, y compris de ses propres employés.
Une déclaration qui fait suite à la saisie, exécutée via une mise sous scellés (à la cire rouge) de « tous les actifs, les actions et les propriétés » de la banque, ainsi que la saisie de « tous les avoirs de ses agences, y compris les coffres et les fonds ». La mesure a été ordonnée par la première juge de l’exécution de Beyrouth, Mariana Anani, a précisé la banque.
Selon d’autres informations que nous avons pu confirmer auprès de plusieurs sources, dont certaines proches des parties qui se sont pourvues en justice contre Fransabank, la saisie-exécution – qui permet à un créancier dont les droits ont été reconnus de se faire payer par la vente des biens de son débiteur - a été rendue en faveur d’un déposant de la banque, Ayad al-Gharabaoui Ibrahim.
Un peu plus tôt dans la journée, une source au sein de la banque avait assuré à L’Orient-Le Jour que sa direction avait décidé de fermer toutes ses agences et ses distributeurs automatiques de billets (ATMs) sur l’ensemble du territoire pour se conformer à la décision de justice la visant. Plus tard dans l’après-midi, modification de stratégie : la même source a indiqué que les agences resteraient ouvertes, sans que ses employés ne puissent toutefois effectuer les opérations demandées. En cours de journée, des informations de presse que nous avons confirmées via une source judiciaire ont fait état de deux agences mises sous scellés à Beyrouth (Hamra et Sassine). Certains médias citant d’autres sources bancaires ont indiqué que l’enseigne ne changerait de position que si une nouvelle décision judiciaire venait annuler celle prononcée à son encontre
Pour la source bancaire que nous avons contactée, Fransabank est victime d’une procédure abusive dans la mesure où le déposant cité « n’est plus client chez elle et a encaissé le chèque bancaire qui lui a été remis après que ses comptes aient été clôturés en 2021 ». La source judiciaire soutient quant à elle que la banque utilise la procédure comme prétexte pour arrêter de servir ses clients et fermer ses agences. « La saisie-exécution ordonnée ne concerne aucun des coffres qui servent à alimenter les ATMs ou les comptoirs des agences », insiste-t-elle.
L'ABL en appelle à l'exécutif
Mercredi après-midi, l'Association des banques du Liban (ABL) a publié un communiqué dans lequel elle affirme « ne plus pouvoir être en confrontation avec les déposants, pour des raisons qui ne sont pas de son ressort ». L'ABL affirme également « ne plus accepter de subir les conséquences des politiques financières précédentes et des mesures injustes prises par les autorités, ni d'être victime de positions populistes ». Des critiques qui visent clairement le camp politique et judiciaire du président de la République, Michel Aoun. « La poursuite des mesures abusives et illégales contre les banques mine le secteur bancaire, cause de graves torts aux intérêts des déposants (…) et constitue le coup de grâce à ce qui reste de l’économie libanaise », dit encore l'ABL qui annonce vouloir convoquer son assemblée générale « le plus vite possible » et garder ses réunions ouvertes, tout en se réservant le droit de prendre « toutes les mesures qu’elle juge nécessaires à la préservation des intérêts des citoyens et celui de la nation ».
Dans un second communiqué publié en début de soirée, l'association a demandé à l'exécutif d'intervenir pour « accélérer la mise en place des décisions qui permettraient de mettre fin » aux différentes procédures visant les banques et à faire pression pour que le Liban se dote enfin d'une législation permettant à son secteur bancaire de faire face à la crise, dont le vote d'une loi instaurant un contrôle formel des capitaux. « A défaut, les banques seront contraintes de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger l'intérêt des citoyens ainsi que l'intérêt national supérieur », a encore menacé l'ABL.
Lundi, l'ABL avait menacé de recourir à des « mesures légales », sans préciser lesquelles, face aux nouvelles mesures restrictives (cinq banques et patrons de banque se sont vus interdits de disposer de leurs biens mobiliers et immobiliers notamment) prises par la procureure générale près la Cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun à l'encontre de cinq grandes banques.
Une affaire « sensible » dans un contexte politique « tendu »
Dans son action en justice, Ayad al-Gharabaoui Ibrahim a été épaulé par le groupe d'avocats et activistes Moutahidoun ainsi que par l’association Cri des Déposants, qui ont tous les deux relayés l’information sur les réseaux sociaux. La procédure a été lancée auprès du juge de l’exécution de Beyrouth « début 2022 », selon une précision du service de presse de Moutahidoun. La source bancaire indique que le déposant est un ressortissant égyptien. Selon la source judiciaire, le déposant a demandé à la banque de transférer ses fonds déposés en son nom à la banque et qui totalisent un peu plus de 30 000 dollars, évoquant la nécessité de régler des frais médicaux. Face au refus de la banque, le déposant aurait alors demandé à clôturer son compte et en retirer tous les fonds déposés. La banque a finalement remis un chèque bancaire au client, qu’elle a déposé chez un notaire, une solution qui ne lui a pas convenu vu que les fonds ne peuvent être déposés que dans un autre établissement bancaire au Liban. Or, ces derniers restreignent l’accès du commun des déposants à ses fonds en devises, ou leur transfert à l’étranger, depuis la mise en place, il y a plus de deux ans, de restrictions bancaires illégales sur fond d'effondrement économique et financier. Toujours selon la source, le déposant a saisi le tribunal de première instance de Beyrouth fin 2021, lequel lui a donné raison. La suite de la procédure l’a conduit devant le juge de l’exécution qui a rédigé son ordonnance vendredi. D’autres sources judiciaires contactées ont indiqué vouloir attendre de connaître tous les tenants et aboutissants du dossier avant de se prononcer, évoquant une affaire « sensible » dans un contexte politique « tendu ».
Cette décision de justice intervient dans un contexte de crise marqué par une dépréciation de la monnaie (qui a perdu plus de 90 % de sa valeur) et des restrictions bancaires illégales, qui figurent parmi les conséquences les plus contraignantes pour des Libanais de plus en plus appauvris. La pression est croissante sur les établissements bancaires depuis que certaines procédures lancées devant des juridictions étrangères par des déposants contestant les restrictions bancaires ont abouti, notamment en France et en Angleterre. L’ordonnance de la juge Mariana Anani est d’ailleurs la première de ce type à être rédigée, comme l’ont rappelé les membres de l’association Cri des déposants dans une vidéo diffusée sur leur compte Facebook.
RQ : cet article a été actualisé à 16h50 suite à la publication d'un communiqué de Fransabank.
commentaires (20)
Bien fait pour eux ! Le système de Ponzi s’écroule tout doucement mais sa chute entraînera tout le reste dans une descente aux enfers. Les banques au Liban sont manipulées par des mafieux et les Libanais ont été beaucoup trop naïfs ! Hélas !
JoNad
19 h 26, le 17 mars 2022