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Société - Récit

24 heures dans la vie de Joseph, un étudiant libanais pris dans la guerre à Kharkiv

La ville a été lourdement visée par les frappes russes depuis le début de l’offensive.

24 heures dans la vie de Joseph, un étudiant libanais pris dans la guerre à Kharkiv

Joseph, 22 ans, s’est réfugié dans une bouche de métro à Kharkiv. « J’ai pris la pose pour que mes parents ne s’inquiètent pas pour moi. » Photo fournie par Joseph

Kharkiv, jeudi 24 février. Joseph n’est couché que depuis quelques heures quand son amie libano-ukrainienne le tire du sommeil. Il est aux alentours de 5h. « La Russie a commencé à attaquer plusieurs régions de l’Ukraine. Range tes affaires maintenant », lui dit-elle, le souffle court. Pas le temps de vérifier les informations. Le fracas des bombes résonne derrière les fenêtres. Dans l’immeuble, les portes des appartements commencent à claquer. Deuxième ville la plus peuplée d’Ukraine, Kharkiv est située dans l’est du pays à une cinquantaine de kilomètres de la frontière avec la Russie qui vient de lancer l’opération d’invasion.

Joseph attrape son sac à dos. À l’intérieur, se trouvent ses papiers importants, une batterie portable, des piles et un peu de nourriture. Il avait préparé tout cela à l’avance au cas où, mais sans trop y croire…

L'édito de Issa GORAIEB

Superimpuissance

Joseph, 22 ans, a quitté en 2020 un Liban plongé dans une grave crise économique pour pouvoir continuer ses études de médecine avec sérénité. « Que je sois au Liban ou ici, en Ukraine, j’ai trop souvent la désagréable impression d’être dans une canette de soda qu’on écrase », dit-il. Son sac sur le dos, le jeune homme sort de l’appartement et se met à courir vers la bouche de métro la plus proche, à quelque 300 mètres. Dans la rue, des hommes et des femmes slaloment avec leurs valises entre les flaques d’eau et les tas de neige. Souvent, leurs yeux sont pleins de larmes. « J’ai vu une femme tirant son fils par la main, tout en portant un gros sac dans l’autre. Elle lui criait dessus pour qu’il avance, mais le gamin ne comprenait pas ce qui se passait, se souvient-il. Cette scène, je ne l’oublierai jamais. » Au bout d’un moment, les bombardements cessent. Dans la rue, on n’entend plus que quelques voitures et les roulettes des valises qui raclent la chaussée. Une fois arrivé dans la station de métro, Joseph se faufile à travers la foule. Il y a beaucoup de personnes âgées, beaucoup d’enfants, aussi, recroquevillés sur eux-mêmes.

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« Là, dans ce métro transformé en abri, j’ai pensé à mes parents qui me racontaient la guerre civile au Liban. Le son des alarmes qui retentissaient, les abris dans lesquels ils se réfugiaient. » Dans cette foule terrorisée, il cherche un visage familier et un petit endroit où se poser. « Une famille ukrainienne a vu que j’avais l’air perdu. Je suis resté avec eux. » Joseph reste terré deux heures dans cette station de métro et envoie des messages à ses proches qui dorment encore et ne se doutent de rien. Il envoie également un mot à la jeune Libanaise qui avait quitté l’Ukraine deux semaines plus tôt pour lui dire qu’il l’aimait. 10 heures. Un message est diffusé dans le métro. Tout le monde peut sortir. Joseph décide de remonter dans la rue, beaucoup d’autres « réfugiés » resteront dans le métro. Dehors, il ne reconnaît pas la ville qui l’a adopté depuis deux ans déjà. « Tout était fermé », sauf une supérette dans laquelle il se rue pour acheter quelques bricoles. Le magasin est pris d’assaut, des clients s’écharpent pour quelques bouteilles d’eau. De longues files d’attente se sont formées devant une station d’essence qui impose une limite de 20 litres par voiture. Des dizaines de personnes attendent également devant un distributeur d’argent. « J’avais l’impression de revivre la crise libanaise. » Des scènes qu’il immortalise en envoyant une photo à son père. Impossible de changer ses dollars, alors qu’il ne lui reste que l’équivalent de 20 dollars en monnaie ukrainienne. Joseph rentre chez lui, appelle ses parents et ressort. Pendant deux heures, il parcourt les rues, voit des dizaines de personnes massées devant les pharmacies puis retourne chez lui pour faire… une sieste.

« C’est la première fois que j’ai compris que l’Ukraine était en guerre »

14h30. Il se réveille et voit l’e-mail du doyen de son université qui demande aux étudiants de rejoindre l’abri le plus proche de chez eux car une attaque est prévue 30 minutes plus tard. Retour à la case métro aux bruits des bombardements. « C’est la première fois que j’ai compris que l’Ukraine était en guerre. Je pensais que l’offensive du matin serait limitée, qu’elle ne visait qu’à faire peur », dit-il avec un rire nerveux. Cette fois-ci, la station est quasi pleine. Les regards sont rivés au plafond. « On ne pouvait rien entendre, mais quand les lumières clignotaient et que la poussière tombait sur nous, on savait qu’un bombardement avait lieu. » Dans la foule, il trouve enfin un visage familier. Un camarade de fac, les yeux embués, qu’il tente de faire rire alors qu’il est lui-même mort de peur. Joseph est l’un des rares à avoir encore du réseau sur son téléphone. « J’ai prêté mon téléphone à des gens pour qu’ils rassurent leurs proches et j’ai prévenu les miens de ne plus me contacter pour conserver ma batterie. »

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19h. Il ressort de la bouche de métro et se demande où il est. « Généralement, à cet endroit de la ville, à cette heure-là, la musique bat son plein, il y a une foule dingue », raconte le jeune homme dont le ventre commence à gargouiller. « J’ai vu un vendeur de kebab à côté. Il nous a fait un sandwich qu’on a partagé à deux. » Une annonce retentit : couvre-feu obligatoire entre 22h et 6h. Il rentre chez lui et se lave avec le demi-gallon d’eau potable qui lui reste. Puis Joseph repart passer la nuit dans le métro. Mais vers deux heures, il décide de rentrer chez lui. Par réflexe, il se vaporise furieusement d’antiseptique.

À 6h, son père, sa mère et sa sœur « sur le point d’aller à l’école » l’appellent. Joseph dort un peu puis se jette sur les informations pour voir le nombre de morts et de blessés dans les deux camps. Au moins 137 Ukrainiens ont perdu la vie, dont des civils, depuis le début des attaques russes. Un ami libanais l’appelle pour lui dire qu’avec d’autres personnes, il compte se rendre à la frontière polonaise. Mais les bombardements reprennent de plus belle et le plan tombe à l’eau. Retour, de nouveau, dans le métro.

Hier après-midi, le jeune homme avouait être un peu perdu dans ce chaos. Sortir du métro, y rester, fuir la ville, y rester... La seule chose qu’il savait, hier, un peu plus de 24 heures après le début de la guerre, c’est qu’il avait bien envie d’un kebab.

Kharkiv, jeudi 24 février. Joseph n’est couché que depuis quelques heures quand son amie libano-ukrainienne le tire du sommeil. Il est aux alentours de 5h. « La Russie a commencé à attaquer plusieurs régions de l’Ukraine. Range tes affaires maintenant », lui dit-elle, le souffle court. Pas le temps de vérifier les informations. Le fracas des bombes résonne...

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