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Superimpuissance

Ici Budapest, Prague, la Géorgie, la Crimée, et maintenant l’Ukraine, l’Afghanistan, la Syrie, tous écumés par l’Ours russe, sans compter les opérations menées, celles-là, à l’aide de mercenaires en divers points d’Afrique. Et là, les équipées yankees en Corée, au Vietnam, en Amérique latine et dans les Antilles, en Irak (et Irak-bis !), en Syrie. Dans tous ces coups fourrés, et souvent foireux, on retrouve cette constante qui donne froid au dos : c’est le plus audacieux ou aventureux (le plus voyou ?), le plus déterminé en tout cas, qui ouvre le bal, quitte à en payer éventuellement la facture. Ce peut être aussi celui qui prétend être le plus coincé, le plus pris à la gorge, et donc le plus acculé à réagir face à un danger pressant et immédiat.

Tel est le rôle que s’attribue d’autorité, sur un ton de défi, Vladimir Poutine pour perpétrer sa razzia sur l’Ukraine. Il occulte bien évidemment sa nostalgie d’un empire reconstitué et qui se parerait des ors de l’ère tsariste aussi bien que de la puissance de l’URSS ; omise à son tour est sa dévorante convoitise des terres noires d’Ukraine regorgeant de richesses agricoles et minières. Son leitmotiv se résume à l’encerclement dont serait l’objet son pays de la part de ses anciens voisins et vassaux incités, selon lui, à rejoindre avec armes et bagages le camp occidental. D’un point de vue strictement stratégique, l’argument n’est pas sans quelque fondement, car, à la limite, les missiles balistiques de l’OTAN risqueraient de se retrouver un jour aux portes mêmes de la Russie. Moscou pourrait même faire observer que pour des engins soviétiques stockés chez le Cubain Fidel Castro, John Kennedy était bien allé jusqu’à brandir la menace nucléaire. Le plus sombrement ironique est que Poutine a misé sur ce point précis pour y aller à fond.

Nul être sensé ne saurait souhaiter que l’on puisse en venir à la seule évocation d’un holocauste atomique. Mais il est atterrant que les Occidentaux aient affronté avec autant d’impréparation un processus d’expansion territoriale qui se développait, très visiblement, depuis des années. Hallucinant est, à ce sujet, l’aveu d’impuissance auquel s’est livré le commandant de l’armée allemande. Pas de guerre, affirme d’emblée le président Biden ? C’est sublime au plan moral, et les démocraties peuvent se targuer d’être les uniques lieux où le peuple peut librement clamer son refus de toute équipée guerrière ; ce qu’a fait néanmoins d’emblée le président des États-Unis : déclarer forfait face à l’agresseur. Pour effectivement massives que soient les sanctions frappant la Russie, elles ne font en effet que convoyer ce message libellé en faux clair-obscur, naturellement endossé par les autres membres de l’Alliance atlantique : pas question de mourir pour Kiev, mais on va aider les courageux Ukrainiens à se tirer d’affaire. Une chance, après tout, que ne s’était pas vu offrir la Tchécoslovaquie, lâchement abandonnée à Hitler…

* * *

Comment peut maintenant être rangé, ou pour le moins rafistolé, tout ce désordre international dans lequel pataugent les puissances, grandes et moins grandes ? En attendant quelque providentielle sortie de crise, ces évènements ne peuvent que raviver les vieilles et tenaces frayeurs des pays plus modestement pourvus : petits poissons que l’histoire et la géographie ont voués à vivre ou survivre dans le voisinage direct de voraces et implacables prédateurs. Même s’il se dit prêt à négocier (de nette préférence avec les militaires de Kiev, une fois débarrassés du président Zelensky), Poutine ne reconnaît guère, dans les paroles comme dans les faits, l’existence d’une nation authentiquement ukrainienne et distincte de la Grande Russie. Voilà bien qui ramène inévitablement à l’esprit des Libanais la cauchemardesque théorie d’un seul peuple dans deux États défendue par la Syrie. Hier même, au demeurant, Bachar el-Assad payait une part de sa dette au Russe en se félicitant de cette correction de l’histoire qui vient de survenir et qui a rétabli un équilibre international rompu par l’effondrement de l’Union soviétique.

Le plus triste n’est pas là cependant. Hier nous était assénée une nouvelle illustration des visées et ingérences étrangères : la campagne menée par les amis locaux de Damas contre la condamnation de l’invasion russe à laquelle s’était résolue la diplomatie libanaise et qui, pourtant, laissait planer quelques doutes quant au sérieux du suivi.

Pour cette raison qui vient s’ajouter à mille autres, on peut se demander s’il est toujours de mise de parler de deux États…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Ici Budapest, Prague, la Géorgie, la Crimée, et maintenant l’Ukraine, l’Afghanistan, la Syrie, tous écumés par l’Ours russe, sans compter les opérations menées, celles-là, à l’aide de mercenaires en divers points d’Afrique. Et là, les équipées yankees en Corée, au Vietnam, en Amérique latine et dans les Antilles, en Irak (et Irak-bis !), en Syrie. Dans tous ces coups...