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Politique - Législatives 2022

Avec des pouvoirs et des moyens très restreints, qu’attendre de la Commission de supervision des élections ?

L’organisme ne dispose ni de prérogatives légales ni de budget pour appliquer ses décisions liées aux fraudes électorales.

Avec des pouvoirs et des moyens très restreints, qu’attendre de la Commission de supervision des élections ?

Un homme déposant son bulletin dans l’urne lors des élections de 2018. Joseph Eid/Archives AFP

Désignés en Conseil des ministres en septembre 2017, quelques mois avant les législatives de mai 2018, les membres de la Commission de supervision des élections viennent de voir leur mandat prorogé en vue de surveiller le scrutin prévu en mai prochain pour le renouvellement du Parlement libanais.

Critiquée par de nombreux observateurs pour son « inefficacité » face aux violations constatées lors du scrutin précédent, la commission sera-t-elle à même de remplir sa mission de contrôle lors de la prochaine échéance? La réponse est vraisemblablement négative, car, d’une part, l’organisme est confiné dans des prérogatives légales très limitées, et, d’autre part, dans le contexte de crise économique aiguë, il dispose d’encore moins de moyens financiers lui permettant de s’acquitter de son rôle de surveillance de la campagne et du vote. D’où le risque de voir d’éventuelles infractions lors du prochain scrutin rester impunies, à l’instar de ce qui s’était passé lors des précédents rendez-vous électoraux.

Le mandat des membres de la Commission de supervision des élections présidée par Nadim Abdel Malak, magistrat à la retraite, a été renouvelé en janvier par le Conseil des ministres. Paralysé pendant deux mois pour des raisons politiques, celui-ci n’avait pas désigné de nouveaux membres, sachant que le délai légal est de six mois avant les élections. Au nombre de huit, les membres actuels voient ainsi leur mandat prolongé de facto pour une durée d’un an.

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La commission est composée légalement de onze membres, mais trois d’entre eux n’en font plus partie : Philippe Abi-Akl, membre du conseil de l’ordre de la presse, n’a pas assisté aux réunions depuis le scrutin de 2018. Désigné au Conseil constitutionnel, Aouni Ramadan, magistrat à la retraite, a démissionné. Et Carine Geagea, membre du Conseil national de l’audiovisuel, se trouve à l’étranger. Outre Nadim Abdel Malak, la commission inclut Georges Mourani, ancien bâtonnier de Tripoli, André Sader, juge retraité, Nohad Jabre, ancien bâtonnier de Beyrouth, Mouaffak Yafi, membre du syndicat des experts-comptables, Fayçal el-Qaq, membre de la société civile, ainsi que Atallah Ghacham et Arada Akmakji, tous deux désignés sur base de leur large expérience dans les domaines liés à la gestion des élections. Même si le quorum exigé de sept membres pour la tenue des réunions et la prise de décision reste assuré, M. Abdel Malak réclame la nomination de nouveaux membres pour, affirme-t-il à L’Orient-Le Jour, « éviter un risque de paralysie de l’organisme en cas de vacance de siège ».

Quatre ans plus tard, aucun verdict

« Au lendemain des élections de 2018, nous avions publié au Journal officiel un rapport dans lequel nous avions exposé les motifs de l’inefficacité de notre action », lance M. Abdel Malak, reconnaissant d’emblée le peu de productivité de l’organisme. Il met d’abord en cause les médias, qu’il accuse de ne pas avoir respecté l’interdiction de propagande politique le jour des élections. « Plusieurs supports audiovisuels n’avaient pas fait suite à nos injonctions de se conformer aux règles légales édictant le silence électoral dès 24h avant le début du scrutin », déplore-t-il. « Nous ne bénéficions pas de dispositif judiciaire ou sécuritaire pour faire respecter nos décisions », ajoute-t-il, soulignant que dans le cadre de ses prérogatives limitées, la Commission avait déféré une quarantaine de plaintes auprès du tribunal des imprimés. « Près de quatre ans plus tard, le tribunal n’a statué sur aucune infraction », s’indigne-t-il.

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À cet égard, un activiste militant pour la transparence des élections note sous couvert d’anonymat que « sans une contribution précieuse du pouvoir judiciaire, il est difficile d’assurer un bon déroulement de la campagne électorale et des votes ». Il prône en outre « une totale synergie entre la Commission, la justice et les services sécuritaires pour contrer les infractions et favoriser ainsi la confiance dans le processus électoral ».

Rahaf Abi Chahine, membre de la commission administrative de la LADE (Association libanaise pour la démocratie des élections), constate que l’inefficacité de la Commission de supervision des élections est due au fait qu’elle est « un organe de gestion gouvernementale des élections, relevant du ministère de l’Intérieur ». « Nous demandons depuis plus de 25 ans une structure d’administration électorale qui soit indépendante du pouvoir exécutif », clame-t-elle, déplorant qu’en 2018 Saad Hariri et Nouhad Machnouk, alors respectivement chef du gouvernement et ministre de l’Intérieur, ainsi que seize des trente ministres qui formaient à l’époque le cabinet s’étaient portés candidats aux législatives.

Mme Abi Chahine n’épargne pas toutefois les membres de la Commission, estimant qu’« ils n’ont pas élevé la voix face aux politiciens qui avaient utilisé les ressources de l’État pour leurs propres intérêts ». Réponse de Nadim Abdel Malak : « Avant que des comptes nous soient demandés, qu’on nous procure d’abord des moyens d’action ! » Il affirme à ce propos que l’Union européenne a demandé, en juillet dernier, au gouvernement libanais la mise en place d’une instance indépendante qui soit à même de remplir sa mission, à savoir protéger l’intégrité électorale. Un appel resté pour l’heure sans suite.

Les derniers salaires remontent à 2019

Outre l’absence d’instruments législatifs qui empêche la Commission de mettre en œuvre les mesures qu’elle est amenée à prendre contre les contrevenants, ce sont également les outils financiers qui lui manquent. « Nous avons encaissé nos derniers salaires en 2019, à l’occasion des élections partielles de Tripoli (avril 2019) et de Tyr (septembre 2019), alors que nous travaillons régulièrement en organisant des conférences, en établissant des rapports ou encore en tenant des réunions avec des organisations locales et internationales en vue de sensibiliser les électeurs à la transparence des élections, et de préparer plus généralement un plan stratégique pour la prochaine échéance », précise M. Abdel Malak.

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À l’opposé, Rahaf Abi Chahine reproche à l’instance de ne pas remplir toutes ses tâches. « Contrairement à ce qu’édicte la loi, la Commission de supervision des élections n’a pas diffusé dix jours avant l’ouverture du dépôt des candidatures (10 janvier) des circulaires demandant aux médias de déclarer les plateformes et le plafond de financement des campagnes électorales. » Faux, réplique M. Abdel Malak. « Nous les avons publiées il y a une dizaine de jours sur notre site électronique sans enfreindre la loi, puisque le délai de 10 jours n’est pas un délai de forclusion après lequel on ne peut agir », dit-il, soulignant qu’en tout état de cause, les candidatures ne sont encore qu’au nombre de deux.

Pas de démission envisagée

Le manque d’argent est si criant que le président et certains membres de la Commission paient même les frais des fournitures ainsi que de nettoyage du local qui abrite le siège. Un local de 130 m² dont le paiement du loyer pour 2020-2021 vient juste d’être approuvé en Conseil des ministres, et trop étroit pour la quarantaine de contrôleurs de médias dont la Commission demande le recrutement. À trois mois des élections, aucun budget n’a d’ailleurs été prévu pour payer les salaires de ces derniers. « Il faut attendre que la loi de finances soit adoptée pour que le ministère de l’Intérieur nous alloue une partie des fonds que la loi lui aura consacrés », indique M. Abdel Malak, précisant avoir fait part au ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui de besoins en serveurs, ordinateurs, etc. Il affirme avoir également demandé aux organisations internationales une contribution pour l’acquisition d’équipements logistiques et techniques. À ce jour il attend encore leur réponse.

Tant que le pouvoir politique ne semble pas être en mesure de renforcer la Commission en vue d’un scrutin libre et transparent, pourquoi ses membres ne démissionneraient-ils pas ? « En l’absence d’une Commission de supervision des élections, le scrutin serait susceptible d’un recours en invalidité devant le Conseil constitutionnel », met en garde M. Abdel Malak, soulignant que ses collègues et lui-même ont « un sens national » assez grand pour ne pas faire rater aux Libanais l’échéance électorale.

Désignés en Conseil des ministres en septembre 2017, quelques mois avant les législatives de mai 2018, les membres de la Commission de supervision des élections viennent de voir leur mandat prorogé en vue de surveiller le scrutin prévu en mai prochain pour le renouvellement du Parlement libanais. Critiquée par de nombreux observateurs pour son « inefficacité » face aux...

commentaires (3)

Inutile de laver le fruit, le verre est déjà dedans.

Citoyen

10 h 59, le 07 février 2022

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Commentaires (3)

  • Inutile de laver le fruit, le verre est déjà dedans.

    Citoyen

    10 h 59, le 07 février 2022

  • La question que tout le monde se pose est: "combien par voix cette année (en fresh)"?…

    Gros Gnon

    14 h 02, le 05 février 2022

  • """L’organisme ne dispose ni de prérogatives légales ni de budget pour appliquer ses décisions liées aux fraudes électorales""" AH BON ? et quel naif avait cru en l'efficacite de cet organisme ?

    Gaby SIOUFI

    10 h 57, le 05 février 2022

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