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Veritas-Liban

Le Liban endure de grandes souffrances ; il ne pourra se rétablir sans que le peuple y mette du sien ; celui-ci doit se soulever, de peur que ne s’abattent à terre les cèdres du Liban. Tel est le message fort que lançait lundi le pape François, recevant une délégation de Caritas-Liban qui comportait plusieurs prélats. Confirmant son intention de visiter notre pays en crise– chose promise, chose due, s’est-il exclamé – le souverain pontife a aussi rappelé l’Église à son vœu de pauvreté, afin qu’elle puisse mieux assister le peuple indigent. Voilà qui ne rend le diagnostic pontifical que plus criant de clarté, d’évidence, de vérité. Mais qu’en est-il, par contre, de sa portée pratique ?


Sans aller jusqu’à l’inviter explicitement à descendre dans la rue, le chef de l’Église romaine a mille fois raison de souligner que rien ne pourra véritablement changer dans notre pays sans que le peuple y œuvre avec toute son énergie. Du coup, on est tenté de songer au soutien qu’apportait un autre grand pape, Jean-Paul II, à la révolution polonaise de la fin des années 80 ; la rébellion ne tardait pas à faire tache d’huile aux quatre coins de l’Empire soviétique.


Il reste que le Liban pluriconfessionnel et actuellement en proie à des tensions sectaires n’est pas la Pologne demeurée irréductiblement catholique, en dépit d’une longue dictature communiste. Et si la contestation populaire libanaise d’octobre 2019 a certes connu d’exaltants moments d’unité nationale, elle est toujours démunie ne serait-ce que d’une vague plateforme commune : rien de comparable hélas à Solidarnosc la bien nommée, qui fédérait admirablement intellectuels, ouvriers et paysans entrés bras dessus bras dessous en révolution.


Le Vatican ne saurait néanmoins méconnaître que si les énergies populaires se sont essoufflées, si les places publiques sont désormais désertées, c’est surtout du fait de la diabolique alliance entre la répression officielle et la paupérisation. Les insurgés n’ont plus ni la force, ni même le loisir, de battre le pavé, d’affronter les balles de la police et les gourdins des cogneurs, trop occupés qu’ils sont à garnir d’un croûton la table familiale. À cette triste réalité s’ajoute le peu d’effet qu’auront eu les pressions internationales sur la clique politico-mafieuse maîtresse du pays, et dont l’extraordinaire résilience dépasse de loin celle que l’on prête proverbialement au peuple libanais.

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En visite au Liban où il fait la tournée des principaux dirigeants, le chef de la diplomatie vaticane, Mgr Gallagher, a bien exprimé l’inquiétude du Saint-Siège quant à l’avenir de notre pays et la préservation de son identité, si singulière dans cette partie du monde. Il a publiquement mis le doigt sur la plaie en dénonçant le fait que quelques individus profitent scandaleusement de la souffrance du plus grand nombre, ou que le Liban en crise est utilisé par d’aucuns pour servir des intérêts extérieurs. Mais il faut espérer que dans l’intimité de ses entretiens avec les responsables, l’archevêque, fort de l’immense autorité morale de Rome, et tout diplomate qu’il soit, se sera montré plus sévère encore.


Il faut dire que pour son bref séjour dans ce pathétique Absurdistan qu’est devenu notre pays, le numéro trois du Vatican aura été servi par une actualité des plus éloquentes. On y voit ainsi la présidence de la République et la Banque centrale engagées dans un farouche duel judiciaire sur fond de corruption quasi générale, alors que le Liban entame tout juste une négociation cruciale avec le Fonds monétaire international. Le Conseil des ministres se trouve exclu des discussions, non moins décisives, avec la communauté arabe. Et parlant de diplomatie, le ministère des AE en est réduit à fermer des représentations à l’étranger : mieux encore, les ambassadeurs libanais sont incités à faire la manche auprès des émigrés fortunés pour boucler le budget de leurs postes.


Tout cela pour dire que d’aussi loufoques circonstances ne se prêtent pas idéalement à une visite du pape. Votre venue, Saint-Père, honorerait au plus haut point, bien sûr, ce pays en détresse. Mais les fossoyeurs du Liban auraient vite fait de l’exploiter pour tenter de se refaire une virginité. De l’utiliser, comme le disait si bien, hier même, votre éminent envoyé.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Le Liban endure de grandes souffrances ; il ne pourra se rétablir sans que le peuple y mette du sien ; celui-ci doit se soulever, de peur que ne s’abattent à terre les cèdres du Liban. Tel est le message fort que lançait lundi le pape François, recevant une délégation de Caritas-Liban qui comportait plusieurs prélats. Confirmant son intention de visiter notre pays en crise– chose...