Avec ses plus de 250 000 voix, sa vingtaine de députés et sa position dominante au sein de la communauté sunnite, le courant du Futur de Saad Hariri est un acteur de taille sur l’échiquier politique libanais. En décidant de boycotter les élections législatives de 2022, le parti bleu laisse donc un vide béant, que les forces de l’opposition se réclamant de la thaoura de 2019 comptent bien remplir.
« Après le haririsme politique, place au mouvement du 17 octobre », déclare ainsi sans ambages Marc Daou, membre fondateur du mouvement Takaddom, contacté par L’Orient-Le Jour. « Pour le scrutin de mai, l’absence de M. Hariri est une chance incroyable », estime-t-il. Le mouvement mise le plus sur la circonscription du Chouf-Aley (Mont-Liban IV), où le poids de M. Hariri est considérable, les sunnites disposant de 2 sièges dans le district, où ils représentaient environ 20 % de l’électorat en 2018. Aux dernières élections, la liste d’alliance entre le Parti socialiste progressiste (de Walid Joumblatt), les Forces libanaises (de Samir Geagea) et le courant du Futur avait raflé plus de 98 000 voix (58 % du total), dont 15 000 votes préférentiels aux candidats haririens Mohammad Hajjar et Ghattas Khoury. Sans Saad Hariri, cette coalition est sans doute affaiblie.
Takaddom compte par ailleurs présenter une candidate dans la circonscription de Beyrouth II, où la famille Hariri (du père Rafic à son fils Saad) était, depuis 1996, représentée par un siège parlementaire. Il s’agit de Lina Tannir, une enseignante chercheuse à l’AUB. En 2018, 5 des 11 députés élus dans l’ouest de la capitale étaient issus du parti haririen, dont la liste avait obtenu 44 % des voix.
Miraz Jundi, membre fondateur du collectif des révolutionnaires du Akkar, espère lui aussi que la décision de Saad Hariri libérera les électeurs sunnites de cette région du Liban-Nord (un peu moins de 190 000 en 2018, soit les deux-tiers des électeurs) de leur « sentimentalité ». « Après la mort de Rafic Hariri, les électeurs ont voté pour Saad par loyauté au père. Sans Saad Hariri, ils vont faire un choix avisé. » Quatre des 7 députés de la circonscription du Akkar (Nord I) sont issus du courant du Futur, dont la liste d’alliance avec les FL avait obtenu 57 % des voix en 2018.
« Les sunnites au Liban ont toujours été modérés »
Mais les partis de l’opposition peuvent-ils être une alternative crédible à Saad Hariri ? « Une grande partie de l’électorat est désormais libérée de sa loyauté confessionnelle et cherche un nouveau projet politique. C’est ce que nous comptons offrir », affirme M. Daou, pour qui le programme de Takaddom, axé sur l’État civil et social et le désarmement du Hezbollah, peut convaincre les électeurs. « Les sunnites au Liban ont toujours été modérés, Saad Hariri a reflété cette réalité sociale, il ne l’a pas créée. Je pense qu’ils se tourneront vers nous plutôt que vers les mouvements fondamentalistes et isolationnistes », suppute-t-il.
Les forces de la thaoura ne seront pas les seules à chercher à combler le vide laissé par le parti bleu. Il y a également Baha’ Hariri, le frère aîné de Saad, qui se revendique à la fois comme l’héritier politique de son père et le porte-voix de la contestation populaire via son mouvement Sawa li Lubnan, auquel le mouvement de Miraz Jundi est allié. « Notre mouvement a une chance considérable. Les sunnites du Akkar et du Liban ne vont sûrement pas aller vers les sunnites proHezbollah. Ils resteront fidèles à l’héritage de Rafic Hariri et choisiront l’État civil, le respect de la Constitution et le désarmement des milices », affirme-t-il.
Reste que, au-delà des élections, certains mouvements voient dans l’annonce choc de l’ancien Premier ministre le début de l’effondrement d’un mur. « Saad Hariri a décidé de suspendre son activité politique parce que les deux piliers sur lesquels repose son leadership ne tenaient plus. Il a perdu le soutien de l’Arabie saoudite, et la machine clientéliste qui lui permettait de préserver la loyauté de son groupe confessionnel ne fonctionne plus », estime Ahmad Assi, membre du groupe Citoyens et citoyennes dans un État. « Le retrait de M. Hariri affaiblit la structure politique en place, basée sur un partage du pouvoir entre les leaders confessionnels. C’est pour cela que même les rivaux politiques du leader sunnite ont regretté sa décision », estime M. Assi. Et de lancer : « Plus que jamais, nous devons demander un transfert pacifique du pouvoir vers un État laïc et capable, et non pas se contenter de l’espoir de rafler quelques sièges au Parlement. » Citoyens et citoyennes dans un État a longtemps considéré que les élections n’étaient pas un moyen réaliste de procéder à un réel changement, estimant que le scrutin ne se tiendrait pas si les partis traditionnels n’étaient pas sûrs de pouvoir préserver leur place.
commentaires (4)
qu'on aime ou pas, il est indispensable que les gens de la thawra s'unissent meme avec certains partis des kellon, tout autant que ceux-la ont tout interet a faire pareil. aute de quoi il est clair que berri,hezbollah ET aouno/joubrano en tirerons profit.
Gaby SIOUFI
10 h 34, le 27 janvier 2022