Après tout, de quelles élections parlementaires s’agit-il ?
De celles où un parti entretient mensuellement des dizaines de milliers de familles depuis des décennies ? Avec en moyenne quatre personnes de plus de 21 ans par foyer, ses élections sont pliées !
De cet autre parti qui a payé les frais des études universitaires de dizaines de milliers d’étudiants ? Par le même principe, ses élections sont aussi pliées !
De celles des votes confessionnalisés, dopés par des discours sur la « protection » d’une communauté religieuse ou d’une ville, ou même d’un quartier ?
De celles où de nombreuses associations et fondations font la compétition à Mère Teresa pour venir en aide aux familles dans le besoin à travers leurs bienveillantes initiatives caritatives ? Malheureusement, pour constater qu’il y a souvent derrière telle figure politique, ou telle autre, et des intérêts électoraux entremêlés à ces initiatives.
De quel mécanisme démocratique s’agit-il ?
De l’achat direct de voix, au détail et en gros ?
De la mise en vente aux enchères de paquets de voix par les notoires « clés électorales » ?
De l’impact déterminant qu’aura l’argent, d’origine nationale, régionale et internationale ? Surtout dans ces difficiles circonstances économiques !
De celles d’autres partis ou hommes politiques qui se sont assuré un large électorat rien qu’en disposant exclusivement des nominations de leurs communautés respectives dans l’administration ? Pour soudoyer leurs futurs votants, ils les ont casés dans tous les organismes de l’État, les ministères, les forces armées, la magistrature, la santé, les affaires étrangères, les télécoms… et cela depuis 15, 30, 40, voire 50 ans et plus, dans un flagrant, perpétuel et surtout légalisé abus de pouvoir !
J’ose dire alors, le cœur brisé, qu’au fil des années une grande partie des Libanais votants, au Liban et même ceux à l’étranger, ont été encadrés de grand-père en père, en fils et en petit-fils, leurs convictions détournées par l’un ou l’autre des actes antidémocratiques énumérés ci-haut. Le principe de base de toutes élections, d’être libres et équitables, est déjà totalement transgressé. Avec ou même sans les fameuses armes, le jeu est déjà complètement faussé !
Les conséquences de plus d’un demi-siècle de clientélisme et de noyautage du bloc votant sont très difficiles à contourner. La « démobilisation » de ces votants et leur affranchissement de ce « service électoral » prendraient des années, des décennies, sur deux ou trois générations...
Alors pour un piètre « changement » qui porterait finalement, selon la plupart des sondages, sur une quinzaine de sièges des 128 de notre Parlement, nous risquons de sacrifier notre passion et notre rage d’un bouleversement décisif. Nous avons sollicité ces élections, les avons considérées comme un exploit, pour se retrouver finalement avec une légitimité « démocratiquement » renouvelée de la même souche politique qui a ruiné le Liban depuis plus de 50 ans. Avant même d’évaluer la qualité des éventuels changements de visages, nous avons d’ores et déjà souscrit à ce troc perdant et gaspillé encore une lueur d’espoir dans l’avenir et dans les yeux des futures générations.
Bien sûr, deux fois non à des élections dans ce contexte et un grand oui à les ignorer. Laissez-les seuls, qu’ils rôtissent dans leurs fauteuils parlementaires. Au lieu de leur concéder cette nouvelle légitimité, qu’ils renouvellent à eux-mêmes. Au moins, nous aurions retiré leur légalité ou leur légitimité populaire aux yeux du monde entier qui nous a sous sa loupe actuellement. Le moment est peut-être propice, car en dépit de l’impuissance et le manque d’harmonie de réactions du peuple libanais, assommé par les interminables crises économiques et sociales, et la communauté internationale pourrait bouger enfin dans le bon sens : celui de l’émancipation de l’opinion publique de tous ces maux sournois et fossoyeurs de notre démocratie, avant d’imposer des élections.
Quant à moi, le jour de travestissement de notre démocratie, je ne me verrai point devant un poste électoral, légitimant le même aménagement politique qui a démoli mon pays et englouti mes plus belles années consacrées à la recherche d’une vie citoyenne digne. Sauf grande surprise, je serai probablement ce jour-là sur une plage inondée par les jolis rayons de soleil de mon pays.
Et si, par hasard, un bon Samaritain viendrait vers moi pour me rappeler mon devoir citoyen et m’inciter à aller voter, il me verra sous une pancarte sur laquelle j’aurai inscrit, en avance et en grosses lettres, l’immortelle réponse du philosophe grec Diogène de Sinope à Alexandre le Grand quand ce dernier s’est présenté en personne, un matin, devant le philosophe assis au soleil à l’entrée de sa modeste maison, pour lui demander de quoi avait-il besoin : « Ôte-toi de mon soleil. »
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