Après des semaines de spéculation et d’informations contradictoires, le chef du courant du Futur Saad Hariri a enfin levé le voile sur la question de son retour au Liban, mais pas sur ses intentions en vue des législatives de mai 2022. L’ancien chef du gouvernement est arrivé hier matin à Beyrouth pour reprendre ses consultations et réunions en vue de mûrir sa décision concernant sa participation ou pas au scrutin, bien qu’il semble déjà fixé sur la question, comme le laissent entendre plusieurs personnalités proches de lui. Le chef du bureau politique et vice-président du Futur, Moustapha Allouche, a ainsi déclaré hier lors d’un entretien télévisé que Saad Hariri a déjà pris sa décision qu’il annoncera bientôt. Il y a quelques jours, le chargé de communication du courant du Futur, Abdel Salam Moussa, avait indiqué en substance à L’Orient-Le Jour que le leader sunnite est désormais dans un autre état d’esprit et qu’il se demande vraiment si cela vaut la peine de s’engager dans une bataille qui risque de perpétuer le même paysage politique et un statu quo devenu morbide.
Depuis qu’il a renoncé à former un gouvernement en juillet 2021, du fait notamment de sa relation devenue houleuse avec le camp du président Michel Aoun, Saad Hariri a quitté le pays pour les Émirats arabes unis où il se serait reconverti aux affaires. À ceux qui lui rendaient visite, il faisait part de son intention de se retirer pour l’instant de la scène politique, laissant planer toutefois le doute sur le devenir du courant du Futur et la possibilité pour ses membres de se présenter, même si leur chef ne le faisait pas. Avec le retour de ce dernier à Beyrouth, le voile devrait être bientôt levé. Cependant, personne ne sait pour l’heure si Saad Hariri compte faire cette annonce majeure dans les prochains jours ou saisir plutôt l’occasion du 14 février pour le faire. Le choix de cette date, celle de la commémoration de l’assassinat en 2005 de son père et ex-Premier ministre Rafic Hariri, est hautement symbolique pour la rue sunnite. Cela signifierait que le leader du Futur reste le représentant par excellence du haririsme politique. Ce serait également un message clair voulant dire que Saad Hariri tient toujours à perpétuer d’une manière ou d’une autre le legs de son père. Et qu’il ne serait pas prêt à se désister une fois pour toutes au profit de son frère Baha’ qui commence à prendre ses marques.
Depuis que ce dernier a lancé son nouveau parti, Sawa, et mis en branle une solide machine électorale, les interrogations se sont multipliées sur les intentions véritables de l’aîné des Hariri, et sur le fait de savoir s’il compte reprendre le flambeau avec une structure différente de celle du courant du Futur. Dans les milieux proches de Baha’ Hariri, on assure que ce dernier ne compte pas se présenter aux législatives mais que son parti parrainera plusieurs candidats au profil réformateur, dans le but de « rectifier le tir et corriger les erreurs » de son frère cadet. Comprendre principalement son alliance avec le Hezbollah et le camp présidentiel en 2016, largement critiquée par Baha’ Hariri. S’il ne convoite pas le Parlement, comme l’affirment ses proches, la question se pose toujours sur ses souhaits de briguer un jour la présidence du Conseil. « Baha’ ne veut pas faire de la politique. Mais en fondant un nouveau parti et en encourageant des candidats proches du mouvement de contestation, il cherche à réhabiliter le legs de son père, tout en s’adaptant aux récentes mutations et en se projetant dans l’avenir », indique à L’OLJ le directeur exécutif du parti Sawa, Saïd Sanadiki. Dans les milieux du courant du Futur, on tend à minimiser le phénomène Baha’, sinon à complètement l’occulter. À plus d’une reprise, Moustapha Allouche a affirmé qu’il ignorait quelles étaient les intentions du patron de Sawa et ce qu’il comptait réellement faire. De leur côté, les analystes sont quasi unanimes : Saad Hariri n’a rien perdu de sa popularité et serait toujours le favori dans la rue sunnite. C’est probablement sur ce charisme que misent encore les figures de proue de son courant pour mobiliser les électeurs fidèles, même si l’ancien Premier ministre ne se présente pas.
Série de rencontres
Depuis quelques semaines, on évoque le rôle d’avant-garde que serait appelé à jouer l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, qui pourrait se voir confier la gestion de l’opération électorale si Saad Hariri devait donner son feu vert. Le suspense devrait donc durer encore quelque temps, jusqu’à ce que le chef du courant du Futur réponde une fois pour toutes à ces questions. L’éventualité d’une formation politique qui déciderait, sous l’impulsion de son chef, de totalement s’éclipser de la scène politique est d’autant moins recevable que les alliés de Saad Hariri feront tout pour le dissuader de se retirer ou, à défaut, pour l’inciter à rester présent dans l’équation électorale par le biais de son parti. Le président du Parlement Nabih Berry – que M. Hariri doit rencontrer incessamment – fera de son mieux pour convaincre son ancien ami, considéré comme une figure modérée du sunnisme, de ne pas lâcher complètement les rênes. Le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt tout comme celui des Forces libanaises Samir Geagea, qui craignent de devenir en quelque sorte orphelins de l’aile sunnite souverainiste, souhaiteraient certainement eux aussi faire revivre des alliances électorales ponctuelles avec le Futur, même si le courant ne passe plus entre Saad Hariri et Samir Geagea.
Hier, dès son retour dans la capitale libanaise, le chef du courant du Futur a rencontré le Premier ministre Nagib Mikati, avec qui il a fait le point sur la situation générale dans le pays en évoquant la crise économique et les préparatifs en vue des élections, comme le confirme à L’Orient-Le Jour Ali Darwiche, député du groupe parlementaire présidé par le Premier ministre. On apprenait également que M. Hariri présidera aujourd’hui une réunion du bureau politique du Futur et des membres de son groupe parlementaire. Les anciens chefs du gouvernement – Fouad Siniora, Tammam Salam, et Saad Hariri – ainsi que Nagib Mikati se réuniront eux dès la semaine prochaine pour trancher la question de l’avenir politique du chef du Futur et de son courant. Hier, et aussitôt après l’arrivée de M. Hariri à Beyrouth, Tammam Salam a annoncé qu’il ne se porterait pas candidat aux législatives. Un « indicateur » de ce que compterait faire Saad Hariri, sachant que M. Salam a de tout temps aligné sa position sur celle du chef du courant du Futur, croit savoir notre chroniqueur politique Mounir Rabih.
M. Hariri s’est également rendu hier à Dar el-Fatwa, haut lieu sunnite, où il a été reçu par le mufti de la République Abdellatif Deriane. Selon une source proche de l’instance religieuse, les deux hommes ont abordé des questions très générales. Les élections n’ont pas été évoquées, ni de près ni de loin, assure-t-on.
commentaires (4)
C’est quoi déjà les questions?
Gros Gnon
14 h 23, le 21 janvier 2022