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Économie - Inflation

Les subventions de la BDL sur le blé sont-elles réellement efficaces ?

En 2021, le prix du pain au kilo a été augmenté quinze fois, contre seulement huit fois entre 1991 et 2020.

Les subventions de la BDL sur le blé sont-elles réellement efficaces ?

En raison de l’importance fondamentale du pain, son prix a longtemps été réglementé. Mahmoud Zayyat/AFP

Lorsque la livre libanaise s’est soudainement appréciée face au dollar à la fin de la semaine dernière, son taux sur le marché parallèle remontant à 24 000 livres le dollar contre 33 000 quelques jours auparavant, le ministère de l’Économie et du Commerce a annoncé une baisse du prix du pain. Alors que la hausse des prix semble sans fin dans un Liban en crise économique et financière depuis plus de deux ans, ce léger répit ne doit pas faire oublier que le prix du pain a plus que doublé en six mois.

Bien que le pain soit soumis à des contrôles sur son prix et qu’il bénéficie du mécanisme de subvention sur le blé de la Banque du Liban (BDL) depuis octobre 2019 – un porte-

parole de la BDL n’a toutefois pas été en mesure de confirmer à L’Orient Today si la totalité du montant était bien subventionnée au taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar –, son coût a tout de même fortement augmenté au cours des deux dernières années, passant de 1 500 livres pour le paquet d’un kilo à la fin de l’été 2019 à 10 233 puis 15 714 livres le kilo aujourd’hui, selon la taille du paquet. Ce dernier tarif annoncé vendredi dernier est donc en baisse par rapport au record précédent, qui allait de 11 429 à 17 391 livres le kilo. En tenant compte des trois différentes tailles de paquet proposées, le coût actuel du kilo de pain en livres a augmenté de 582 à 948 % depuis août 2019, alors que l’indice des prix à la consommation a augmenté de 629 %, selon les données les plus récentes. Toutefois, l’augmentation des prix du pain est nettement inférieure à celle des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées, qui ont connu une hausse astronomique de 2 422 % depuis le début de la crise. En d’autres termes, si les subventions et les contrôles sur son prix ont permis de maintenir le pain à un niveau inférieur au taux d’inflation observé pour d’autres produits, il reste que son coût a suivi le rythme de l’inflation dévastatrice subie par l’économie nationale, posant la question de savoir si ces subventions et contrôles ont atteint l’objectif visé.

Salem el-Habre, propriétaire d’une petite boulangerie dans le quartier beyrouthin de Aïn el-Remmané, déclare à L’Orient Today qu’à l’heure actuelle, le blé subventionné ne représente que 10 % du coût de la production du paquet de pain arabe, les intrants non subventionnés (l’huile, le diesel, le nylon, la levure, le sucre, le sel), dont le prix est fixé en dollars, en représentant 90 %, sans oublier les prix des carburants et le coût des pièces de rechange. « Avant, un paquet de pain coûtait 1 500 livres, donc un dollar, contre 9 000 livres aujourd’hui, soit 30 cents US (sur base d’un taux de 30 000 livres) », explique le boulanger.

L’industrie du pain

L’enquête la plus récente sur les dépenses des ménages date de 2012 et révèle que le ménage moyen au Liban consacrait alors 14 % de son budget alimentaire au pain et aux céréales. Au niveau macroéconomique, la BLOM Bank estime que les ménages libanais ont dépensé 23,5 millions de dollars par mois en pain en 2012, consommant environ 785 000 paquets par mois.

En 2020, la valeur du mécanisme de subvention sur le blé était d’environ 12 millions de dollars par mois, affirme Georges Berberi, directeur général de la Direction générale des céréales et de la betterave sucrière au ministère de l’Économie. En 2021, principalement en raison d’une hausse des prix mondiaux du blé, le montant consacré à cette subvention est passé à quelque 20 millions de dollars par mois. En 2020, la Banque du Liban a ainsi subventionné l’importation de 50 000 tonnes de blé par mois, souligne Georges Berberi, soit un total suffisant pour produire un peu moins de 40 000 tonnes de farine, dont la majorité (27 000 tonnes) est destinée aux paquets de pain. En 2021, la BDL a approuvé des importations de 630 000 tonnes, soit une augmentation de 5 %, dans un contexte d’aggravation de la crise, précise-t-il.

Pour mémoire

Soubresauts de la livre, flambée des carburants, menaces sur le pain : journée banale dans un Liban infernal

La grande majorité du blé utilisé pour fabriquer le paquet est importée, principalement de la région de la mer Noire, la production nationale de blé ne représentant qu’une petite partie de l’approvisionnement total. Importé ou local, le blé au Liban est moulu par une douzaine d’entreprises, dont quatre seulement produisent 70 % de la farine fabriquée dans le pays. La farine importée en revanche, dont la majeure partie est moulue en Turquie, ne représente que 4 % du marché.

Selon une étude réalisée en 2019 par la société britannique de développement international Crown Agents, 258 boulangeries ont acheté en 2018 la farine de type T85, utilisée pour la fabrication du pain arabe. Cependant, selon une étude de 2017 de BLOM Bank, cinq acteurs sur le marché des boulangeries libanaises produisent entre 54 et 55 % du pain : Chamsine, qui domine le marché en produisant plus d’un cinquième du pain libanais, suivi de Wooden Bakery, Moulin d’Or, al-Sultan et Pain d’Or.

Le prix du pain est passé en deux ans de 1 500 livres pour le paquet d’un kilo à 10 233 puis 15 714 livres le kilo aujourd’hui, et selon la taille du paquet. Photo d’archives AFP

La guerre des prix

En raison de l’importance fondamentale du pain, son prix a longtemps été réglementé. On trouve au Journal officiel des lois fixant le prix du pain qui remontent au moins à 1935. Ces lois remontent toutefois probablement à plus loin. Le système actuel de fixation des prix date, lui, de 1959, avec la création de la Direction générale du statut civil (DGCS), qui effectue des recommandations sur les prix au ministre de l’Économie. De 2011 à 2019, la DGCS a utilisé un modèle tarifaire préparé par un consultant. Dans le cadre du mécanisme d’assistance technique financé par l’Union européenne, un programme visant à améliorer les capacités du gouvernement, la DGCS a demandé l’aide des consultants de Crown Agents pour mettre à jour la formule de fixation du prix du pain, finalisée le 30 août 2019. Selon le ministre de l’Économie de l’époque, Mansour Bteiche, la partie caviardée de l’étude a montré que les boulangeries réalisaient une marge bénéficiaire de 10 à 12 % sur la vente du paquet, sans parler des marges bénéficiaires beaucoup plus élevées réalisées sur la vente d’autres produits dont les prix ne sont pas contrôlés, comme les baguettes, les galettes (kaak), le pain au lait, les gâteaux, les biscuits et les manakiche. BLOM Bank avait précédemment estimé que 50 % des revenus des boulangeries provenaient de la vente de produits autres que le pain. Avant même la crise économique du Liban, les grandes boulangeries du pays avaient réclamé une augmentation des prix du pain. Le rapport de Crown Agents en août 2019 notait que les « petits boulangers », en revanche, étaient satisfaits des prix en vigueur. Crown Agents a donc informé le ministère que « malgré la pression exercée par l’industrie, il n’est pas nécessaire dans l’immédiat de réviser les prix ». En octobre 2019 toutefois, la pression de l’industrie sur le ministère de l’Économie pour augmenter les prix du pain s’est intensifiée, alors que le ministère s’y refusait toujours.

En décembre 2019, les boulangeries ont alors frappé de leur propre chef, agissant collectivement pour réduire le poids du paquet de pain de 1 kilo à 900 grammes, faisant passer le prix du kilo à 1 666 livres au lieu de 1 500. Refusant de céder, le ministère de l’Économie a affirmé qu’une « équipe de travail » spéciale avait mené une étude de terrain établissant que le coût de production d’un kilo de pain était alors de 1 000 livres, ce qui laissait aux boulangeries une marge bénéficiaire de 33 % sur la vente du pain au prix officiel. En février 2020, la guerre des prix s’est intensifiée, les boulangeries menaçant de faire grève en réponse aux tentatives du nouveau ministre de l’Économie Raoul Nehmé de contrôler les prix.

Selon le dirigeant du syndicat des boulangers Schéhadé al-Masri, en mars 2020, le ministère a fixé les prix sans prendre en considération les revendications des boulangers. Le syndicaliste accuse également les boulangeries d’utiliser de la farine subventionnée dans la fabrication de produits non contrôlés par les prix et à forte marge, tels que les gâteaux et les manakiche, et de sous-estimer le rendement en pain de chaque sac de farine reçu, afin de dissimuler leurs véritables bénéfices. Un représentant de la Fédération des syndicats de boulangers n’a pas répondu à nos sollicitations.

Puis, en 2021, la situation s’est vraiment dégradée. Cette année-là en effet, le prix du pain au kilo a été augmenté quinze fois, contre seulement huit fois entre 1991 et 2020. Le dirigeant du syndicat explique à L’Orient Today avoir essayé d’avoir accès à la formule utilisée pour fixer les prix, dans le but de mettre en cause les propriétaires de boulangeries et le ministère, mais que ce dernier a refusé de partager la formule, affirmant qu’elle contenait des secrets commerciaux. Schéhadé al-Masri et Legal Agenda, une ONG de la société civile, ont alors porté l’affaire devant le Conseil d’État qui a décidé, en juillet 2021, que le ministère devait divulguer la formule. Un porte-

parole du ministère de l’Économie n’a pas souhaité répondre aux questions de L’Orient Today sur le sujet, sinon pour dire que « la formule n’est pas publique ».

En juin 2021, la Banque du Liban a été accusée d’être à l’origine d’une augmentation de 16 à 21 % du prix des paquets de pain en raison de son refus de subventionner le sucre. La fabrication du pain arabe nécessite généralement environ 35 kilos de sucre pour chaque tonne de farine, précise à L’Orient Today Antoine Seif, PDG de la boulangerie Moulin d’Or.

De nombreux progressistes au Liban ont demandé que le régime de subvention de la BDL, qui a été largement supprimé à l’exception des importations de blé, soit remplacé par un filet de sécurité sociale ciblé mais, plus de deux ans après le début de la crise, la classe politique, dont l’exécutif ne s’est pas réuni depuis trois mois en raison de querelles internes (un Conseil des ministres devrait avoir lieu la semaine prochaine après un déblocage, NDLR), n’a évidemment pas été en mesure de mettre en œuvre un tel programme.

(Une version longue de cet article, publié originellement le 19 janvier 2022, est disponible en anglais sur le site de L’Orient Today).

Lorsque la livre libanaise s’est soudainement appréciée face au dollar à la fin de la semaine dernière, son taux sur le marché parallèle remontant à 24 000 livres le dollar contre 33 000 quelques jours auparavant, le ministère de l’Économie et du Commerce a annoncé une baisse du prix du pain. Alors que la hausse des prix semble sans fin dans un Liban en crise économique...

commentaires (2)

Je remarque en passant (ce que, d'ailleurs, tout le monde peut constater en faisant son marché, que l'augmentation des prix des denrées alimentaires est de 2 422 %. Or, le dollar, au taux le plus élevé qu'il ait atteint, n'a augmenté que (!) de 2100%. Qu'est-ce qui, à part un racket de la part des commerçants, peut expliquer cette différence? Où est le contrôle des prix, maintes fois promis?

Yves Prevost

07 h 53, le 21 janvier 2022

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Commentaires (2)

  • Je remarque en passant (ce que, d'ailleurs, tout le monde peut constater en faisant son marché, que l'augmentation des prix des denrées alimentaires est de 2 422 %. Or, le dollar, au taux le plus élevé qu'il ait atteint, n'a augmenté que (!) de 2100%. Qu'est-ce qui, à part un racket de la part des commerçants, peut expliquer cette différence? Où est le contrôle des prix, maintes fois promis?

    Yves Prevost

    07 h 53, le 21 janvier 2022

  • Il est absolument indispensable d’arrêter ces systèmes de subventions qui sont une véritable perversion. Mettez les libanais en face de la vérité nue au lieu de voler les uns pour subventionner les autres et prendre une commission au passage…

    Mago1

    06 h 25, le 21 janvier 2022

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