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Nos Lecteurs ont la Parole

Beyrouth, ma ville, notre ville

Beyrouth, ma ville, notre ville

Photo M.J.S.

Beyrouth, ma ville, notre ville, ou plutôt l’ombre d’une ville, de ce qu’elle était autrefois. Comme beaucoup d’entre nous, je t’écris enfin longtemps après.

Je t’ai quittée avant que les ténèbres ne s’emparent de ton esprit, ou peut-être quand les ténèbres, encore inconnues de nous, se faufilaient dans tous les coins de tes belles rues.

Pour une ville si ancienne qui a vécu tant de rebondissements à travers l’histoire, on pourrait penser que les ténèbres sont un état que tu ne connais que très bien, si bien qu’elles ne pourraient pas t’emporter à nouveau.

Et pourtant...

Je t’ai laissée en pensant que ma maison m’accueillerait toujours à bras ouverts, comme l’étreinte d’une mère qui attendrait impatiemment à la porte d’entrée ses enfants pour les embrasser après une longue séparation.

Je t’ai laissée en pensant que c’était mon propre choix, ma propre décision, de m’aventurer dans le monde et de faire face aux merveilleux obstacles qui m’attendaient, des obstacles que j’ai fièrement défiés avec ton sang audacieux qui coule dans mes veines.

Je suis repartie rassurée que ma famille était entre de bonnes mains, bénéficiant de tes soins.

Mais tu m’as fait du tort. Ou peut-être tu as changé d’avis. Ou, sans vouloir nécessairement me blesser, tu as permis aux ténèbres de te charmer et de te pousser dans un abîme de chagrin sans fin.

Et maintenant, qu’es-tu devenue ?

Il me reste un goût doux-amer dans ma bouche, dans mes tripes, dans mon cœur, comme celui d’un vieil amant qui essaie de briser votre paix en manifestant de la gentillesse, seulement pour manipuler vos émotions et jouer avec votre esprit, selon ses propres termes.

Je viens maintenant à toi, dans tes rues sombres qui ne brillent plus.

J’arrive à un certain vide, car trop de mes frères et sœurs sont partis chercher la lumière ailleurs.

J’en viens à trouver des âmes qui luttent pour joindre les deux bouts. J’arrive à un endroit où, lui, il avait l’habitude de te saluer, en parcourant tes rues dans sa grande voiture verte qui est maintenant clouée à côté d’un arbre à l’ombre, dans un endroit qu’il appelait sa maison, un endroit qu’il appelle sûrement encore sa maison.

Tu me rends malade pour tous les méfaits que tu n’essaies pas de combattre, comme si te perdre dans les ténèbres était beaucoup plus facile que de t’en sortir et de te battre pour ta survie et pour nous tous.

Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, dans cette vision que tu as peinte en noir, je revisite de vieilles régions remplies d’anges qui sourient encore, de qui émane encore de la bonté, comme ce vieil homme qui a travaillé dans ce vieux bâtiment pendant des années, maintenant laissé en ruine. Il continue à servir le café chaque matin, au milieu du chaos que tu as laissé s’installer. Et ses arômes exquis continuent à envahir l’air avec des contes merveilleux et des lueurs d’espoir.

Je marche à côté de ta mer et je ne peux m’empêcher de sentir une partie de mon âme revivre alors que les vagues murmurent de beaux mantras à mes oreilles.

Enfouie dans les verres brisés étalés sur tes planchers, j’écoute encore les échos d’une ancienne musique qui traduit l’âme du Liban.

Comme une nuit de luxure et de passion, elle m’enivre.

Je goûte la nourriture que ta terre cultive, et même si je te méprise pour nous avoir ridiculisés, chaque bouchée est un souvenir perdu depuis longtemps qui reprend forme et retrouve son chemin dans mon cœur.

Beyrouth, ville de confusion : tes terres au nom desquelles, lui, il s’est battu pendant si longtemps, pour les protéger et les préserver ; tes terres qu’il regarde maintenant du monde qu’il a rejoint et qui, j’ose l’espérer du fond de mon cœur, est habité par la paix et la fraternité, valeurs qu’il a défendues toute sa vie avec une intégrité irréprochable.

Beyrouth, qu’es-tu devenue ? Plus j’écris, plus je me rends tristement compte que peu importe à quel point j’essaie de t’enfermer au plus profond de moi-même. Peu importe à quel point j’aimerais me libérer de cet amour compliqué que je ressens pour toi, tu fais partie de moi, et moi de toi.

Te perdre serait me perdre dans cette obscurité qui t’a prise de manière calculatrice.

Je t’aime, malgré toutes les pensées raisonnables dans mon esprit, passionnément et peut-être même inconditionnellement.

Tant de tes compagnons ne t’ont pas abandonnée encore car ils travaillent sans relâche jour et nuit pour te révéler à toi-même la vérité et la beauté que tu caches dans tes entrailles, la force magique que tu tiens tant à faire taire.

Alors que je continue mon voyage vers une maison loin de chez moi où le véritable amour m’a guidée, je ne peux qu’espérer qu’un jour notre demeure pourrait être à nouveau toi, afin que je puisse savourer tes merveilles qui renaîtront sans aucun doute de cette fosse sombre que tu t’es creusée.

Je pars avec le sentiment que, contre toute attente, nous reviendrons sous peu, car je ne peux tout simplement pas rester loin de toi trop longtemps.

Comme lui l’a dit autrefois, « nous continuerons à suivre nos cœurs », avec l’espoir qu’un jour, tu feras de même.

Bien à toi…

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Beyrouth, ma ville, notre ville, ou plutôt l’ombre d’une ville, de ce qu’elle était autrefois. Comme beaucoup d’entre nous, je t’écris enfin longtemps après.Je t’ai quittée avant que les ténèbres ne s’emparent de ton esprit, ou peut-être quand les ténèbres, encore inconnues de nous, se faufilaient dans tous les coins de tes belles rues.Pour une ville si ancienne qui a...

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